L’archéologie galactique
En attendant Gaïa
Comment s’est formé l’Univers et, plus égoïstement, notre galaxie, la Voie lactée ? Réponse ô combien complexe dont on ne connait toujours pas tous les détails. Comme sur Terre, il faut plonger dans le passé pour remonter le fil des événements. Pour cela, les scientifiques profitent d’un élément en leur faveur : la lenteur de la vitesse de la lumière.
Le 04 mars à 10h02
9 min
Sciences et espace
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Les instruments deviennent de plus en plus précis. Ils permettent de voir de plus en plus loin et donc – d’une certaine manière – de voyager dans le temps pour essayer de comprendre ce qui s’est passé après le Big Bang (avant, c’est une autre histoire…). « Reconstituer l’histoire de notre Voie lactée, du Big Bang [qui pourrait être un trou blanc, ndlr] à nos jours : c’est l’objectif, désormais à portée d’instruments, de l’archéologie galactique », explique le CNRS.
« En regardant "loin", nous regardons "tôt" »
Commençons par reprendre une citation de Hubert Reeves (Patience dans l’azur, éditions du Seuil, 1981) largement utilisée par des professeurs (ici ou là par exemple). « À l'échelle astronomique, la lumière progresse à pas de tortue. Les nouvelles qu'elle nous apporte ne sont plus fraîches du tout ! Pour nous, c'est plutôt un avantage. Nous avons trouvé la machine à remonter le temps ! En regardant "loin", nous regardons "tôt". La nébuleuse d'Orion nous apparaît telle qu'elle était à la fin de l'Empire Romain, et la galaxie d'Andromède telle qu'elle était au moment de l'apparition des premiers hommes, il y a deux millions d’années ».
La raison est simple : la nébuleuse d’Orion se trouve à environ 1 500 années-lumière. La lumière met 1 500 ans à nous arriver, malgré sa vitesse de 300 000 km/s environ. La lumière de notre Soleil met huit minutes à nous arriver. Alors, imaginez des étoiles perdues dans la grandeur de notre Univers.
Pour en revenir à la Nébuleuse, on voit donc la lumière émise il y a environ 1 500 ans, soit à la fin de l’Empire Romain (à peu de chose près). Simplifions un peu les choses. Imaginez prendre une photo de la nébuleuse, la mettre dans une enveloppe et l’envoyer à la Terre avec un trajet de 1 500 ans. Même chose avec la galaxie d'Andromède, avec plus de deux millions d’années-lumière cette fois-ci et une image de ce qu’elle était il y a deux millions d’années.
Il faut regarder vraiment très loin pour remonter au Big Bang
Mais, on parle là d’objets qui sont juste à côté de nous (ou presque) à l’échelle de l’Univers. D’autres objets célestes se trouvent à des milliards d’années-lumière de la Terre ; on change complétement d’échelle. Nous avons, par exemple, observé des images de la galaxie NGP-190387 à 12 milliards d’années-lumière. La lumière a donc mis 12 milliards d’années à nous parvenir. Nous la voyons telle qu’elle était lorsque l’univers avait 1,4 milliard d’années seulement. On en revient alors à la citation de Hubert Reeves : « En regardant "loin", nous regardons "tôt" ».
En multipliant les observations lointaines, on peut ainsi essayer de comprendre ce qu’il s’est passé juste après le Big Bang. C’est notamment la mission du satellite Gaia qui cartographie l’Univers. Un premier jeu de données a été mis en ligne en 2016 (DR1 ou Data Release 1) sur plus d'un milliard d’étoiles. En 2018, c’était au tour de DR2 sur 1,7 milliard d’étoiles. En 2020, DR3 sur 1,8 milliard d’étoiles, avec toujours plus de détails.
On peut ensuite affiner les résultats avec Hubble et maintenant James-Webb, deux télescopes dans l’espace, mais le second est bien plus récent et plus précis. Il existe bien d’autres observatoires sur Terre et dans l’espace.
Il y a 13 milliards d’années, les débuts de notre galaxie
« Notre galaxie, telle qu’elle est aujourd’hui, a commencé à se former il y a environ 13 milliards d’années. Ce que nous voulons savoir avec Gaia, c’est ce qu’il s’est passé au cours de son histoire, comment nous en sommes arrivés là », explique Alejandra Recio-Blanco (astronome à l’Observatoire de la Côte d’Azur) au CNRS.
Mais il y a un « problème » avec certaines galaxies et le modèle cosmologique standard, explique le CNRS. Il « ne permet pas d’expliquer comment on en est arrivé à des galaxies spirales semblables à la nôtre ». Depuis toujours, les scientifiques essayent de comprendre le fonctionnement de l’Univers et de le mettre en équation avec une règle d’or : il faut coller aux observations. Pour affiner les modèles, il faut des observations très précises. C’est valable dans tous les domaines.
« Une évolution constante » de l’Univers
« Les modèles ne sont pas suffisamment précis, et l’archéologie galactique, notamment via les découvertes de Gaia, a ajouté de la complexité à cette image simpliste. Dorénavant, nous pouvons étudier l’évolution d’une galaxie, la Voie lactée, avec une grande précision », explique Alejandra Recio-Blanco.
Les analyses scientifiques « ont montré qu’il n’y a pas eu une bouillie post-Big Bang suivie de quelques milliards d’années de calme, mais une évolution constante qui s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui ». Pour bien comprendre les mouvements et les évolutions des étoiles, il faut un échantillon suffisamment grand : « On ne pourrait pas retracer l’histoire de France en ne s’intéressant qu’à une dizaine de personnes », s’amuse à expliquer le chercheur.
1,8 milliard d’étoiles pour Gaia… qui a encore beaucoup de travail
Avec 1,8 milliard d’étoiles, Gaia « a déjà pu observer 2 % des étoiles de la Voie lactée [voire moins selon les estimations, ndlr], est ainsi capable de révéler des événements et des structures du passé qui avaient jusqu’à présent échappé aux astronomes ». On se rend alors compte du travail qu’il reste à abattre pour avoir un échantillon significatif, mais cela n’empêche pas de commencer les travaux.
Plus de dix ans après la mise en orbite du satellite Gaia, « le nouveau portrait biographique de notre galaxie demeure imprécis, mais on y discerne de mieux en mieux les différents courants stellaires qui s’y sont amalgamés pour former la Voie lactée telle que nous la connaissons ».
Le projet Pristine et la quête des plus anciennes étoiles
La quête des étoiles lointaines est la spécialité de Nicolas Martin (à ne pas confondre avec l'ancien animateur de l'émission de France Culture « La Méthode scientifique ») avec son projet Pristine. Il est en effet possible de faire un premier tri : « Les étoiles de très basse métallicité (moins d’un millième de l’abondance en fer mesurée dans le Soleil) sont aussi les plus anciennes puisqu’il est attendu qu’elles se sont formées durant les deux premiers milliards d’années de l’âge de l’univers », peut-on lire sur le page du projet sur le site de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
« Peu après le Big Bang, il n’y avait aucun atome plus lourd que l’hélium dans l’Univers. Les autres éléments ont été apportés plus tard, avec l’explosion des premières étoiles […] Ce qui veut dire qu’une étoile apparue plus récemment aura un peu plus de métaux dans sa composition qu’une plus ancienne », explique Nicolas Martin.
Ces étoiles sont toutefois rares – moins d’une sur 1 000 – « et difficiles à isoler dans la masse d’étoiles formées plus tard dans le disque Galactique qui nous entoure ». Mais les chercheurs peuvent s’appuyer sur les « caractéristiques idéales du Télescope Canada-France-Hawaii ». Pour les explications techniques, c'est par ici (dans la partie « Le relevé Pristine »).
« Nous commençons à dessiner les débuts de la Voie lactée »
Une fois des étoiles identifiées (plusieurs centaines de candidats en 10 ans du projet), les données sont couplées avec celles de Gaia pour comprendre leur évolution. « Grâce à ces “fossiles”, nous avons une fenêtre sur ce lointain passé. Nous commençons à dessiner les débuts de la Voie lactée, même s’il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir », reconnait le chercheur.
Pour les aider dans leur voyage, les scientifiques vont pouvoir s’appuyer sur des tonnes de données. Gaia est en effet loin d’avoir fini sa mission et toutes les informations déjà récoltées ne sont pas encore publiées. « Le dernier catalogue de données paru en octobre dernier ne comprend que les 34 premiers mois de sa mission ». Il s’agit du FPR (Focused Product Release). Le satellite a été lancé en 2013 et devrait continuer sa mission jusqu’en 2025.
Gaia : DR4 en 2025 et DR5 pas avant fin 2030
L’Observatoire de Paris rappelle que la publication DR4 « n’est pas attendu avant la fin de 2025 » et que ce catalogue sera le résultat de 66 mois d’analyse. Il comprendra aussi une liste d’exoplanètes. « Enfin, le catalogue Gaia DR5 est prévu à la fin de 2030 au plus tôt. Il sera basé sur l’ensemble des données de la mission. Ce sera l’archive complète de l’ensemble des données de Gaia ».
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Commentaires (4)
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Abonnez-vousLe 04/03/2024 à 10h19
"L'espace a su évoluer jusqu'à pouvoir engendrer
Une effarante forme de vie capable de l'observer"
D'ailleurs, j'ai lu y a pas longtemps de ça qu'il va y avoir des satellites vers les 160 km au-dessus de nous, ils aiment bien s'observer entre eux également.
Encore merci Sébastien pour ces articles !
Le 04/03/2024 à 12h20
Si d'autres sont sensibles aux images d'illustration comme moi, la dernière est disponible ici:
https://www.cosmos.esa.int/web/gaia/gaiadr2_gaiaskyincolour
Le 04/03/2024 à 15h30
Le 04/03/2024 à 16h34