Contenus politiques : que présage le changement de politique de Meta ?
Meta politique
Meta a modifié ses conditions d’utilisation pour, peu à peu, cesser de recommander les contenus politiques sur Instagram et Threads, comme il l’a déjà fait sur Facebook. Pour Iris Boyer et Stéphanie Lamy, la décision soulève plus de questions qu’elle n’en résout.
Le 23 février à 08h48
9 min
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Le 9 février, Meta annonçait un important changement de ses conditions d’utilisation : sur Instagram et Threads (2 milliards d'utilisateurs actifs mensuels pour la première, 130 millions d’utilisateurs actifs mensuels fin 2023 pour la seconde), l’entreprise s’apprêtait à cesser « de recommander proactivement du contenu politique de la part de comptes » que l’internaute ne suit pas déjà.
Sans donner d'éléments factuels précis, Meta explique que « les gens nous ont dit qu’ils voulaient voir moins de contenu politique » sur les différentes plateformes qu’ils utilisent. L’évolution se fait par ailleurs dans un contexte d’année importante en matière d’échéances politiques à travers le monde, avec des élections dans plus de 80 pays courant 2024. De leur côté, les États-Unis doivent élire cette année la personne qui succédera au président sortant Joe Biden.
« On peut comprendre la volonté de Meta d’apaiser les débats sur ses plateformes, de se cantonner à une forme de « banalité » » pointe la responsable de l’observatoire sur l’information et la démocratie Iris Boyer. Le problème, c’est que « définir la politique, c’est très contextuel, ça évolue avec l’actualité : les conflits récents le montrent, de même que la crise des agriculteurs… Dans quelques mois, les Jeux Olympiques seront surement l’espace de discussions à caractères politiques. Est-ce que Meta les caractérisera comme telles ? »
Sur Threads et ailleurs, la décision a eu droit à son lot de commentaires plus ou moins ironiques :
Mais la spécialiste de la désinformation Stéphanie Lamy craint que l’évolution n’impacte pas de la même manière tous les bords. « À gauche, il y a une culture de la critique qui est plus facilement étiquetable comme politique. Alors que des discours productivistes comme on en trouve du côté de Renaissance, ou les logiques de soutien d’une seule ligne comme on peut le voir à droite, ce sera peut-être moins le cas. »
À un niveau « plus philosophique », elle s’interroge : « pourquoi est-ce qu’on laisserait Meta décider de ce qui est politique ou non ? »
Des sujets sociaux « ayant un impact sur les gens » et causés par « d’autres personnes »
Que les utilisateurs soient d’accord ou pas, Meta a déclaré qu’elle procéderait à la modification. Dans son communiqué du 9 février, l’entreprise indiquait que les contenus qu’elle qualifierait de « politiques » étaient des publications « potentiellement liées à des choses comme le droit, les élections ou des sujets sociaux ».
Auprès du Washington Post, une porte-parole de Meta a précisé la définition de ces derniers : « les sujets sociaux peuvent inclure des contenus qui identifient un problème ayant un impact sur les gens et causés par l'action ou l'inaction d'autres personnes, ce qui peut inclure des questions telles que les relations internationales ou la criminalité. » Elle a par ailleurs indiqué que Meta affinerait sa définition au fil du temps.
Au moment du lancement de Threads, à l’été 2023, le directeur d’Instagram Adam Mosseri avait déclaré que le but était « de créer un espace public pour les communautés d’Instagram qui ne sont jamais vraiment passées à Twitter, et pour les communautés de Twitter (et d’autres plateformes) qui cherchent un espace de conversations moins énervées ». À l’époque, il notait : « la politique et l’actualité chaude vont forcément apparaître sur Threads, mais nous ne ferons rien pour encourager ces verticales ».
Pour autant, la nouvelle politique laisse à désirer. « À ma connaissance, ils n’ont rien défini sur leurs logiques de publicités internes », note par exemple Iris Boyer. Les campagnes impulsées par Meta sur le Covid ou les élections à venir, « ce sont des pratiques de sensibilisation des citoyens, qui sont plutôt louées par les communautés numériques. Mais c’est aussi très politique. »
Modifications à tous les niveaux
En pratique, les comptes qui dépasseront un seuil de contenus politiques actuellement non précisés par Meta ne seront plus recommandés. Les autres verront leurs publications politiques exclues des recommandations. L’évolution, qui doit être déployée au fil des semaines, aura lieu dans tous les espaces : les fils des deux applications, les Reels, les suggestions d’utilisateurs et l’onglet Explore.
Dans les paramètres, dans l’onglet contenu suggéré, un nouvel élément intitulé « contenu politique » permettra aux utilisateurs d’indiquer s’ils souhaitent passer outre la modification et continuer de se voir recommander des contenus politiques.
Quant aux politiciens, influenceurs et autres détenteurs de comptes professionnels, ils pourront aller vérifier dans le statut du compte si leurs publications récentes sont considérées ou non comme du contenu politique, et les amender en fonction.
Approche par les contenus ou cartographie des acteurs ?
Sauf qu’apposer un sceau « politique » à une page ou un contenu ne suffit pas à endiguer les discours de ce type. « Meta se focalise toujours sur les contenus et a du mal à faire des cartographies d’utilisateurs », regrette ainsi Iris Boyer. Selon l’ancienne chercheuse de l’Institute for Strategic Dialogue (ISD), de telles logiques permettraient de mieux suivre la propagation de discours politiques et de les endiguer.
« On l’a vu pendant la présidentielle française : les pages de partis n’ont pas pu soumettre de publicité politique, comme prévu, mais ça n'a pas empêché celui d’Eric Zemmour de s'appuyer sur un réseau de pages amies, créées par des associations ou des personnes. » Des opérations menées de telle sorte qu’il était compliqué, pour les utilisateurs, de les détecter. Et qui ont permis aux pages en question « de diffuser beaucoup de publicités sur ses sujets : contre l’immigration, en la liant à la criminalité, etc ».
Sans cartographie, difficile aussi de répondre à « la question de la sponsorisation de publications par des médias. Quand Le Figaro ou Mediapart paient pour promouvoir leurs articles sur des contenus politiques, par exemple, comment Meta considère ces publications ? » De même, quid des représentants de la société civile ? Des publications d'experts en politique ? Des influenceurs qui se mettraient, avec ou sans expérience, à traiter de ces thématiques ?
Chez Twitch, qui fait face à des problématiques spécifiques de modération en direct, une approche par le type d’acteurs a été adoptée début 2022, relève Iris Boyer.
Logiques marchandes ?
« Sur la désinformation, les potentielles ingérences étrangères, les problématiques de type harcèlement » contre des personnalités politiques ou pour des motifs politiques, Stéphanie Lamy considère que les adaptations de Meta n'auront « aucun effet ».
Pour l’autrice d’Agora Toxica, le but de l’opération se situe plus probablement dans « une volonté de mettre l'accent sur les contenus marchands : ceux de marques, ceux d’influenceurs qui vendent des produits, etc ». Une telle approche par le business aura tout de même un effet sur les types de discours politiques acceptés ou non sur Instagram et Threads, estime-t-elle toutefois.
« Prenons l’exemple des discours féministes et anti-féministes » : d’un côté, l’experte décrit des modes de mobilisation plutôt classique, « par le rapport de force, la tentative de visibiliser des sujets méconnus du grand public ». En face, elle relève une logique de « profit avec un message : on vend des choses, des formations, des livres, des stages, on fait des placements de produits, et en même temps, on fait passer des idées ». Pour elle, ces discours-là « seront certainement considérés comme apolitiques par Meta, alors qu’ils ne le sont pas ».
« La communauté fitness est un très bon exemple de ces pratiques. », ajoute-t-elle. Le média Blast a par exemple signé une enquête sur la manière dont l'influenceur ultra-suivi TiboInShape promeut des idées conservatrices sans réellement l'assumer. Celui-ci attaque le média en justice.
Une fuite vers d’autres plateformes ?
Le défi, résume Iris Boyer, « c’est soit de faire en sorte que le pluralisme politique soit représenté, soit qu’on le fasse totalement taire. Sauf que les gens voudront toujours parler d’actualité et que l’actualité, c’est politique. » Pour elle, peut-être que rediriger vers les contenus artistiques et lifestyle peut fonctionner un temps, mais « sur le long terme, je ne sais pas si ce sera suffisant ».
Si les nouvelles logiques mises en place par Meta fonctionnent réellement, ceux qui voudront discuter politique iront ailleurs. À l’ISD, la chercheuse a participé à cartographier le caractère trans-plateformes d’une communauté politique comme celle des identitaires. « Les gens s’adaptent, ils iront potentiellement vers des applications de messagerie », où les règles de modération sont différentes. Au détriment probable de la recherche.
Et des possibilités de discussions communes. Car l’un des risques, « c’est aussi de nous renfermer dans des bulles de contenus » sans plus d’exposition à une diversité de points de vue.
Contenus politiques : que présage le changement de politique de Meta ?
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Des sujets sociaux « ayant un impact sur les gens » et causés par « d’autres personnes »
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Modifications à tous les niveaux
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Approche par les contenus ou cartographie des acteurs ?
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Logiques marchandes ?
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Une fuite vers d’autres plateformes ?
Commentaires (5)
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Abonnez-vousLe 23/02/2024 à 09h29
Le 23/02/2024 à 09h42
Modifié le 23/02/2024 à 10h10
Ce que beaucoup de gens considèrent comme de l'"actualité" est en fait une succession de faits divers agrémentée d'un soupçon de politique politicienne.
De toute façon je ne vois pas pourquoi FB serait un lieu dédié à l'échange politique. Quant à la pluralité ou à l'enfermement dans des bulles c'est aussi un faux problème, vu que c'est le principe même de ce genre de réseaux sociaux.
PS: pour la pluralité des avis, je conseille un truc INCROYABLE: l'échange en direct et l'écoute des autres IRL.
Le 23/02/2024 à 13h57
Forcément, l'entreprise Meta a pour seul objectif que tout se passe sur ses réseaux. Mais le concept même n'est pas adapté à la politique, puisqu'il faut faire du forçage sur l’engagement et retenir au max les utilisateurs => avis tranchés, communautés en opposition générant une activité permanente de friction, polarisation des opinions, bulles de confort pour chaque utilisateur etc...
Le 23/02/2024 à 17h10
Les réseaux sociaux devraient justement pouvoir laisser le débat