Nouvelle image du trou noir M87* : entre confirmations et questions
Rendez-vous en 2042 pour la suite ?
En avril 2019, la photo d’un trou noir était publiée pour la première fois : M87* qui se trouve dans la galaxie éponyme M87 (ou Messier 87). N’allez pas croire que c’est aussi simple que sortir un télescope et attendre le bon moment.
Le 22 janvier à 10h07
7 min
Sciences et espace
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On a déjà des images de M87* et Sagittarius A*
Cette publication scientifique, majeure pour les astrophysiciens, a nécessité des dizaines de Po de données, des mois de calculs, une collaboration internationale de 200 scientifiques et la mobilisation de huit télescopes sur quatre continents. Les observations avaient été faites en avril 2017, deux ans auparavant.
Trois ans plus tard, en mai 2022, c’était au tour du trou noir supermassif Sagittarius A* d’être pris en photo. Il se trouve au centre de notre galaxie. Sa masse n’est « que » de 4 millions de fois celle notre Soleil (environ), contre 6,5 milliards de fois notre étoile pour M87*, mais ce dernier se trouve bien plus loin, à plus de 50 millions d'années-lumière.
La collaboration Event Horizon Telescope (EHT) revient sur le devant de la scène – avec une publication scientifique dans Astronomy & Astrophysics. On y retrouve de nouveau le trou noir M87*. Mais pourquoi donc est-ce important ? Les raisons sont multiples. La suite se prépare aussi en coulisse.
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Le premier point mis en avant par les scientifiques est la reproductibilité des résultats, « une des exigences fondamentales de la science », explique Keiichi Asada, chercheur à l’Institute of Astronomy & Astrophysics, Academia Sinica à Taïwan.
« La confirmation de l’anneau dans un tout nouvel ensemble de données est une étape importante pour notre collaboration et une indication forte que nous regardons l’ombre d’un trou noir et les matériaux qui orbitent autour », ajoute-t-il.
Des données de 2018, avec le télescope du Groenland
Pour obtenir cette image, une nouvelle campagne de mesures a été utilisée, avec des données de 2018. C’était également l’occasion d’ajouter des données provenant du télescope du Groenland (GLT), qui a rejoint l’EHT en 2018, « cinq mois seulement après l’achèvement de sa construction dans le cercle polaire arctique ».
La précision globale de l’Event Horizon Telescope s’en retrouve améliorée, notamment dans l’axe nord-sud, car il n’y a aucun autre radiotélescope dans cette zone.
Le Grand Télescope Millimétrique du Mexique (en service depuis 2011) a aussi participé à cette campagne de mesure, alors que ce n’était pas le cas la fois précédente, là encore cela permet de « considérablement améliorer la sensibilité ».
Enfin, le réseau EHT a « été mis à niveau pour observer quatre bandes de fréquences autour de 230 GHz, contre seulement deux bandes en 2017 ». Autant d’amélioration pour améliorer les résultats, même si l’image finale semble aussi floue que la précédente pour les débutants que nous sommes.
Dans l’image ci-dessus des télescopes ayant pris part à la création de l’image du trou noir, SPT correspond au South Pole Telescope. Il se trouve « derrière » la carte et il est affiché en pointillés. « Bien que le SPT ne puisse pas observer M 87*, […] il a été utilisé pour calibrer les données », expliquent les scientifiques.
Des images « remarquablement similaires »
L’EHT ajoute que l’image de M87* de 2018 est « remarquablement similaire » à celle de 2017 : « Nous voyons un anneau lumineux de la même taille, avec une région centrale sombre et un côté de l’anneau plus brillant que l’autre ». Comme prévu par la relativité générale, le diamètre du trou noir n’a pas bougé de manière significative en un an. Le rayon ne dépend quasi uniquement que d’un seul paramètre : sa masse, qui n'a donc pas changé significativement en un an.
Éric Lagadec, astrophysicien à l'Observatoire de la Côte d'Azur, donne un rapide descriptif des images du trou noir M87* : « en orange, du gaz chauffé, qui évolue dans le temps, dans le cercle noir, au centre, ce mastodonte ! ». Michael Johnson, chercheur au centre d’astrophysique d’Harvard et un des leaders de la collaboration EHT, a accordé une interview à Ciel & espace sur cette image.
Il explique que « cet anneau est constitué de gaz portés à 100 milliards de degrés qui tourbillonnent autour du trou noir quasiment à la vitesse de la lumière et font le tour de l’horizon des événements en seulement quelques semaines ».
Une rotation de 30° de la région brillante
Cela ne signifie pas qu’il ne se passe rien, bien au contraire : « l’emplacement de la région la plus brillante autour de l’anneau a bougé de manière significative. La région brillante a tourné d’environ 30º dans le sens inverse des aiguilles d’une montre pour s’installer dans la partie inférieure droite de l’anneau ».
Ce n’est pas une surprise pour les scientifiques, qui avaient prédit ce changement lors de la publication des premiers résultats en 2019.
Des mesures en 2021, 2022 et 2024. Les jets de matière sous pression
La suite est déjà en route puisque l’EHT a effectué des séries d’observations en 2021 et de nouveau en 2022. La coalition devrait en effectuer de nouvelles durant la première moitié de cette année. Il faudra certainement attendre encore quelques années avoir d’avoir les résultats.
Il faut non seulement le temps de récupérer les données (ce qui peut prendre des mois dans le cas du Groenland), mais aussi les préparer et les traiter. L’augmentation de la puissance des supercalculateurs est une bonne aide, mais dans le même temps la qualité et le nombre d’instruments augmentent, ce qui fait donc toujours plus de données à traiter.
Michael Johnson revient sur la suite des événements concernant M87* : « notre objectif est désormais de discerner les jets de matière titanesques que le trou noir éjecte dans l’espace. Nous rêvons également de produire un jour une photo si nette qu’elle nous permettrait de distinguer ce que l’on appelle "l’anneau de photons" autour de l’horizon. Il s’agit en quelque sorte des photons les plus proches de l’horizon, qui frôlent le trou noir avant d’y plonger ou d’en être éjectés, en fonction de comment ils sont perturbés ».
Black Hole Explorer en embuscade
Pour l’instant, ce jet de matière est noyé dans le donut flou que nous photographions. Mais pour espérer le voir distinctement, il va falloir aller dans l’espace. C’est le but du projet Black Hole Explorer, un télescope qui viendrait se positionner au point de Lagrange L2 et qui serait relié au réseau terrestre. « nous pourrions augmenter la résolution des images d’un facteur cinq », explique Michael Johnson à Ciel & espace.
Nouvelle image du trou noir M87* : entre confirmations et questions
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On a déjà des images de M87* et Sagittarius A*
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Des données de 2018, avec le télescope du Groenland
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Commentaires (14)
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Tiens, pourquoi j’entends encore la B.O. d'Interstellar dans ma tête ?
Le 22/01/2024 à 11h10
On y découvre la complexité de ce sujet, expliquée de manière simple par un spécialiste.
Modifié le 22/01/2024 à 16h49
Le 22/01/2024 à 16h58
Le 23/01/2024 à 07h27
En revanche comme conclure qu'il s'agit d'une photo d'un trou noir ? La photo ne pourrait elle pas montrer un autre objet céleste ?
Le 23/01/2024 à 08h02
M87∗ et le trou noir galactique SgrA∗ ont été la cible des premières observations en 2017 par le réseau radio interférométrique de taille planétaire EHT.
Il a fallu des algorithmes sophistiqués pour recomposer, à partir de la masse monstrueuse des données enregistrées, l'image dans sa totalité, ce qui a demandé deux années de collecte et de traitement (d'après J-P Luminet, op. cit.)
Le 23/01/2024 à 09h51
Après, est-ce vraiment un trou noir ? un trou noir, c'est un objet à la base purement théorique, mais pour lequel on a des mesures qui concordent avec la théorie. Là, on a quelque chose qui a tout l'air d'être coupable d'être un trou noir tel que la théorie le décrit.
Au passage, ce qui est utilisé pour faire cette image, c'est un réseau de radiotélescopes. Je préfère plus parler à ce niveau d'image que de photographie. C'est purement personnel, mais on est sûr des données de mesures qui ont été énormément traitées et travaillées pour créer cette image.
Le 22/01/2024 à 17h28
Le 23/01/2024 à 10h25