Connexion
Abonnez-vous

Vidéosurveillance : les dysfonctionnements constatés (ou pas) par les préfectures

Qui surveille les surveillants ?

Vidéosurveillance : les dysfonctionnements constatés (ou pas) par les préfectures

Le 09 mai 2023 à 14h11

Les rapports relatifs à l'activité des commissions départementales de vidéoprotection révélaient, en 2013 et 2014, de nombreux dysfonctionnements et irrégularités. Un constat d'autant plus problématique qu'aucun rapport n'a été transmis à la CNIL ni rendu public depuis lors, alors même que le gouvernement n'a de cesse de vouloir déployer toujours plus de caméras.

Des caméras à visées électoralistes, des refus d'autorisation « pour la forme » et régularisés par la suite, des commissions privilégiant la « pédagogie » pro-caméras au fait de les contrôler... les derniers rapports relatifs à l'activité des commissions départementales de vidéoprotection à avoir été transmis à la CNIL, en 2013 et 2014, révèlent qu'elles cherchaient d'abord et avant tout à accompagner le déploiement de caméras (voir notre article).

Dans le rapport daté de 2013, le chapitre consacré au contrôle des systèmes de vidéoprotection n'en évoquait pas moins « une activité à développer au regard des irrégularités identifiées ». A contrario, le rapport 2014 soulignait de son côté que « le contrôle des systèmes de vidéoprotection continue à être une activité peu pratiquée ».

caméras vidéosurveillance 2013 contrôlescaméras vidéosurveillance 2014 contrôles

Après avoir enregistré un pic record de 2 863 contrôles en 2008, le rapport en dénombrait 709 en 2013, mais 538 seulement en 2014, alors que les années précédentes leur nombre tournaient aux alentours de 600 par an.

caméras vidéosurveillance 2013 contrôles

Des contrôles « très inégalement répartis entre départements » : « plus de la moitié » n'en avaient effectué « aucun », tandis que le Tarn (81) et le Rhône (69) comptaient « la moitié » du total des contrôles recensés, sans que le rapport n'explique ces variations.

Le rapport 2014 relevait en outre que les commissions départementales de vidéoprotection n'avaient réalisé, « à leur initiative, que 269 contrôles (et encore les contrôles ne se déroulent-ils que dans 29 départements) », plus 52 contrôles à la suite d’une demande d’un particulier, et 217 « réalisés à l’initiative du préfet par les services de police et de gendarmerie ».

Non-conformes à 86 %, mais maintenus à 90 %

Ces 538 contrôles effectués en 2014 « révèlent des dysfonctionnements importants », soulignait le rapport, ayant entraîné la bagatelle de « 462 constats de dysfonctionnement », soit un taux de non-conformité de près de 86 %.

Dans 24 % des cas, le système fonctionnait « sans autorisation », ce qui était aussi le cas de 38 % des systèmes contrôlés en 2013. Dans 21 % des cas en 2014 (et 11 % en 2013), l’information à destination du public était « insuffisante ou inexistante ». 7 % des cas contrôlés en 2014 (et 11 % de ceux de 2013) concernaient par ailleurs des systèmes visionnés par des personnes non habilitées à le faire : 

« Enfin, comme l’année précédente, la catégorie "autres" est massivement utilisée (31 % des cas, notamment à propos de la découverte de caméras factices). »

Les rapports ne s'étendent pas plus que cela sur ces irrégularités « autres », pas plus que sur les profils des responsables de ces dysfonctionnements et irrégularités, non plus que sur le nombre de caméras factices, ni ce à quoi elles pourraient bien servir.

Tout juste apprend-on que « le plus souvent, le contrôle aboutit à une mise en conformité rapide du système avec la réglementation applicable », et que « l’autorisation d’exploitation est maintenue ». Les rapports dénombraient ainsi 88,3 % de maintien de l'autorisation (« parfois avec mise en demeure de régularisation ») en 2013, et 91,5 % en 2014.

La suspension ou le retrait de l’autorisation ne concernaient que 9,5 % des suites données aux contrôles en 2013, et 6,2 % en 2014, les autres réponses étant « marginales ».

« Seulement 2,2 % » des contrôles avaient entraîné une saisine du procureur de la République en 2013, le rapport 2014 se bornant à mentionner « deux mises en demeure, quatre saisines du procureur et une seule fermeture administrative », soit 1,5 % des 462 constats de dysfonctionnement enregistrés cette année-là.

Les contrôles demandés ne peuvent pas tous être effectués

Les préfectures interrogées sur l’absence de contrôles a posteriori indiquaient que cela résultait du manque de moyens des commissions, et notamment du grand nombre de dossiers de demandes d’autorisation à traiter. 

En 2013, les commissions départementales de vidéoprotection s'étaient en effet réunies 509 fois, pour étudier 32 291 dossiers déposés en préfectures. En 2014, le nombre de réunions retombait à 491, mais celui des dossiers augmentait à 33 299, soit 68 dossiers examinés par réunion en moyenne, contre 63 en 2013, 61 en 2012 et 59 en 2011. 

Les préfectures déploraient par ailleurs le manque de disponibilité des membres des commissions « du fait de leurs fonctions ». Plusieurs faisaient ainsi état de difficultés à désigner un représentant des maires pour siéger à la commission départementale de vidéoprotection.

De plus, de « nombreuses » préfectures expliquaient que les contrôles demandés « ne peuvent pas tous être effectués, la police et la gendarmerie, qui réalisent les contrôles, manquant de temps et d’effectifs disponibles ».

Ce pourquoi, précisaient (dans les mêmes termes, copiés collés) les rapports 2013 et 2014, « les commissions départementales de vidéoprotection investissent plutôt leurs compétences en matière de contrôle a priori des systèmes en cours d’installation lorsqu’elles relèvent des points problématiques dans les dossiers qui leur sont soumis » : 

« Ainsi, les référents sûreté se déplacent avant la réalisation des contrôles, ce qui justifie le nombre élevé d’actions enregistrées dans quelques départements (jusqu’à 62 contrôles à l’initiative du préfet en Haute-Saône). Ils peuvent alors recueillir des éléments supplémentaires ou vérifier que les préconisations qu’elles auraient formulées lors d’un premier examen du dossier ont été mises en œuvre. »

L’existence d’un double régime peut être source de confusion

Le rapport 2013 relevait en outre que si la CNIL indiquait dans son rapport annuel avoir effectué plus de 130 contrôles de systèmes de vidéoprotection en 2013, les préfectures n'en étaient pas toujours tenues informées. 

Une absence de coordination confirmée en 2014 : alors que la CNIL indiquait dans son rapport annuel avoir effectué 88 contrôles cette année-là, ayant entraîné 3 condamnations, les remontées statistiques des préfectures n'avaient répertorié que 6 contrôles effectués par la CNIL, dont 2 à l’initiative d’un particulier.

caméras vidéosurveillance 2013 CNIL

Et ce, alors que dans le même temps, le nombre de dossiers initialement soumis aux commissions préfectorales, mais finalement redirigés vers la CNIL, du fait de la complexité des dispositions légales encadrant la vidéosurveillance, était passé de 3 en 2009 à 19 en 2010, 45 en 2011, 129 en 2012, et 542 en 2013 : 

« Comme le souligne la CNIL dans son rapport d’activité pour 2013, l’existence d’un double régime peut être source de confusion pour les usagers qui ignorent le régime applicable à leur installation. »

Des particuliers sollicitent de plus en plus les préfectures

En 2013, les communes représentaient 64 % des « pétitionnaires autorisés à visionner la voie publique », les banques 19 %, les services de l'État 5 % et les commerces 4 %. Le rapport 2014 relevait de son côté que les collectivités territoriales rassemblaient « à elles seules » 72 % des autorisations de visionnage de la voie publique accordées, « en recul de 8 % » par rapport à 2013.

A contrario, 228 centres de supervision urbains (CSU) avaient été raccordés à un service de police ou de gendarmerie en 2014, « soit une augmentation de 84 % par rapport à 2013 », et « le nombre de centres raccordés jusque-là le plus élevé ».

caméras vidéosurveillance 2013 voie publiquecaméras vidéosurveillance 2014 voie publique

Les autorisations émanant de commerces passaient, dans le même temps, de 4 à 7,7 %, mais celles des banques chutaient à 7 %, contre 19 en 2013, et 30 en 2012.

Le rapport 2014 relevait en outre que « des particuliers sollicitent de plus en plus les préfectures pour obtenir l’autorisation de faire installer des systèmes de vidéoprotection sur la voie publique », incités en cela par un nombre croissant de promoteurs des caméras :

« Un phénomène de démarchage par les installateurs apparait. Les polices municipales, les chambres de commerce et d’industrie réalisent elles aussi la promotion des dispositifs de vidéoprotection. »

Le recours à des professionnels n'est pas une garantie suffisante

En guise de conclusion, le rapport 2013 évoquait « un besoin d’information supplémentaire de l’ensemble des acteurs de la vidéoprotection pour répondre aux évolutions de celle-ci », et concernant notamment des systèmes de vidéoprotection qualifiés d' « atypiques », soit du fait de leur nouveauté technologique, soit du fait de leur inadaptation aux cadres juridiques existants : 

« Sont ainsi recensées des interrogations relatives à : des caméras factices chez des particuliers, des demandes de particuliers pour surveiller la voie publique aux abords immédiats du domicile (notamment afin de prévenir les vols et/ou dégradation de leur véhicule), des demandes pour l’installation de caméras dans les taxis (ou dans des véhicules privés), l’usage du cloud dans le cadre de système de vidéoprotection, les caméras mobiles, les équipements de la police municipale (caméra boutonnière, et véhicule embarquant une caméra). »

La vente libre de matériel de vidéoprotection avait par ailleurs pour conséquence l’installation par des particuliers ou des commerçants de système de vidéoprotection « sans l’assistance d'un professionnel », ce qui conduisait à « de fréquentes irrégularités, sur le plan technique [et] administratif (absence d’autorisation préfectorale) ». 

De plus, lorsque les demandes d’autorisation étaient finalement déposées, « le dossier [était] rarement complet », même et y compris lorsque les systèmes avaient été déployés par des installateurs pourtant censés être informés du cadre légal de la vidéoprotection, comme le soulignait ce même rapport 2013 : 

« Toutefois, le recours à des professionnels ne semble pas constituer une garantie suffisante. En effet, des commissions départementales ont relevé que des installateurs de systèmes de vidéoprotection ne respectaient pas la réglementation en ce domaine. Il n'est ainsi pas rare de constater que les systèmes de vidéoprotection sont installés et mis en fonctionnement chez leurs clients bien avant l'obtention de l'autorisation préfectorale. Dans certains cas, les installateurs ont omis de préciser à leurs clients la nécessité de déposer un dossier. »

1 430 058 caméras autorisées depuis 1997 (en 2014)

Le rapport 2014 notait en outre que « les demandes de déport des images vers l’étranger déposées par des enseignes étrangères commencent à se développer : 24 demandes ont été adressées en ce sens », mais également que des entreprises ambitionnaient de réaliser de tels déports vers l’étranger sans pour autant le mentionner dans leurs demandes, et que les commissions départementales de vidéoprotection refusaient ce type de déports via Internet.

Il concluait en relevant que « 245 701 autorisations préfectorales ont été délivrées depuis 1997 », et que le nombre de caméras autorisées, « qui atteint un total cumulé depuis 1997 de 1 430 058, est en nette diminution cette année », point qui apparaissait comme « le plus marquant de ce rapport ».

Il soulignait en outre qu'« une démarche de sensibilisation et de communication sur l’intérêt de compiler ces données paraît souhaitable, afin, notamment, d’aboutir à une vision nationale du phénomène de la vidéoprotection » :

« Le rapport annuel concernant l’activité 2015, qui sera établi au printemps 2016, pourra ainsi mesurer si la politique de lutte contre le terrorisme s’accompagne d’un développement significatif de systèmes de vidéoprotection, notamment de systèmes particuliers (périmètres, autorisations provisoires, etc.). »

En l'absence de rapport depuis 2014 – et contrairement à ce que prévoyait la loi –, ni le ministère de l'Intérieur ni la CNIL ne seraient donc en mesure d'estimer le nombre de caméras autorisées à surveiller la voie publique, non plus que les enjeux, tendances, problèmes, dysfonctionnements et irrégularités auxquels les commissions départementales auraient été confrontés depuis cette date.

Un trou dans la raquette que déploraient les auteurs du récent rapport promouvant le recours à la reconnaissance faciale. Ceux-ci appelaient aussi à « maintenir l’obligation de publication d’un rapport annuel d’activité » de ces commissions départementales, faisant « notamment » état du nombre d’avis rendus en amont de l’installation des caméras, mais également des suites données à leurs avis, ainsi que des « contrôles diligentés sur le fonctionnement de ces systèmes » : 

« Il convient plutôt de respecter les prescriptions légales applicables, et non de changer celles-ci sous prétexte qu’elles seraient méconnues en pratique. Ce bilan annuel serait d’autant plus utile qu’il permettrait de faire la lumière sur la réalité du fonctionnement de ces commissions départementales, les éventuelles disparités territoriales qui caractérisent leur action, le respect de leurs avis et la portée des contrôles qu’elles réalisent chaque année. »

Commentaires (7)

Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.

Abonnez-vous
votre avatar

De plus, de « nombreuses » préfectures expliquaient que les contrôles demandés « ne peuvent pas tous être effectués, la police et la gendarmerie, qui réalisent les contrôles, manquant de temps et d’effectifs disponibles ».


C’est la police et la gendarmerie qui sont chargés de vérifier la conformité des caméras de surveillances ? C’est moi ou y’a vraiment quelque chose qui cloche dans leur dispositif ?

votre avatar

eliumnick a dit:


C’est la police et la gendarmerie qui sont chargés de vérifier la conformité des caméras de surveillances ? C’est moi ou y’a vraiment quelque chose qui cloche dans leur dispositif ?


Vu que la police contrôle la police :transpi: je trouve ça assez logique.

votre avatar

eliumnick a dit:


C’est la police et la gendarmerie qui sont chargés de vérifier la conformité des caméras de surveillances ? C’est moi ou y’a vraiment quelque chose qui cloche dans leur dispositif ?


D’autant qu’il me semble que les centres de télésurveillance sont financés et maintenus par les communes (sauf à Paris où le maire n’a pas la compétence de police).

votre avatar

  1. Comment faire pour demander un contrôle de conformité d’une installation municipale ?



  2. Est-il possible d’accéder aux appels d’offres, contrats ou autres documents relatifs a l’installation d’un tel système par une municipalité ? Si oui, comment s’y prendre ?




La commune en a installe partout il y a quelques années, y compris a l’entrée de la pseudo rue qui dessert uniquement l’immeuble dans lequel j’habite. Autant dire que les habitant n’ont aucun moyen de sortir de chez eux sans être filmés.

votre avatar

il est possible que le résultat de l’appel d’offres soit consultable sur le BOAMP.
Pour ce qui est du contrôle de conformité, vous pouvez contacter la mairie et/ou la commission départementale pour savoir ce qui aurait été autorisé.
Le forum de Technopolice pourrait potentiellement vous apporter plus de précisions.

votre avatar

Merci, je vais regarder tout ca !

votre avatar

J’ai une question : dans l’article il est fait référence à la double vérification, par les préfectures et par la cnil, les deux sources ne communiquant pas et les chiffres ne coïncidant pas…
Ils se sont mis d’accord pour arrêter simultanément tous leurs contrôles ou est-ce que la CNIL a continué de faire les siens ?

Vidéosurveillance : les dysfonctionnements constatés (ou pas) par les préfectures

  • Non-conformes à 86 %, mais maintenus à 90 %

  • Les contrôles demandés ne peuvent pas tous être effectués

  • L’existence d’un double régime peut être source de confusion

  • Des particuliers sollicitent de plus en plus les préfectures

  • Le recours à des professionnels n'est pas une garantie suffisante

  • 1 430 058 caméras autorisées depuis 1997 (en 2014)

Fermer