[Interview] L’usage des drones à l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale
La Cazaux oiseaux
Le 01 février 2018 à 14h52
9 min
Droit
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Lors du Forum International de la cybercriminalité à Lille, nous avons pu interroger le capitaine Hervé Daudigny. Cet expert en criminalistique au sein du département Signal Image Parole de l’institut de recherche criminelle est pilote de drones à la gendarmerie. L’occasion d’explorer ces usages dans un univers sensible.
L’utilisation des drones a le vent en poupe. Si le gouvernement a certes mis en garde les maires qui voudraient s’en servir pour lutter contre la fraude fiscale, la police les utilise déjà notamment dans certaines unités spécialisées comme la BRI. Une mairie près de Lyon a lui lancé un appel d’offres visant à l’acquisition « d'un drone pour le service de sécurité et tranquillité publique de la ville ».
À la gendarmerie, une unité spécialisée de l’Institut de recherche criminel (IRCGN) est elle aussi équipée. À l’occasion du FIC 2018, l'un des pilotes, le capitaine Hervé Daudigny, a bien voulu nous en détailler leur utilité.
Depuis quand utilisez-vous des drones pour des finalités de criminalistique ?
Depuis environ deux ans. Nous avons été formés à Cazaux, où un centre des forces aériennes de la gendarmerie nationale dispense déjà la formation aéronautique pour le pilotage d’hélicoptère. Un enseignement a été mis en place pour le télépilotage de drones, qui est aussi un aéronef exigeant de tenir compte de la météo, des cartes aéronautiques, etc., bref des composantes similaires au pilotage d’hélico.
Combien de temps dure cette formation ?
Trois semaines, partagées entre théorie et pratique, sur lesquelles nous sommes amenés à utiliser différents types de vecteurs et faire des exercices notamment de maniabilité afin de pouvoir s’en servir en situation réelle dans les meilleures conditions.
Au sein de l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie, nous disposons actuellement de trois drones (sachant qu’on n’est pas limité dans le sens où on travaille en réseau collaboratif). En clair, on peut toujours demander à une force aérienne de gendarmerie de nous en prêter un sur le temps d’une mission. Il nous est arrivé également de prêter nos équipements là où tous les aéronefs étaient déjà engagés.
La force de notre formation à Cazaux a été de permettre de tisser un maillage pour intervenir en tous lieux, en tout temps. Suite à l’ouragan Irma, une permanence drone a par exemple été montée très rapidement après un appel national au niveau de la direction générale afin de disposer d’images nécessaires à la reconstruction.
Quelles sont justement les hypothèses d’utilisation ?
Elles sont nombreuses. Pour mon domaine, la criminalistique, cela peut concerner la prise de vue basique. Par exemple, un incendie vient de se produire. Un drone nous permet alors de monter à une certaine hauteur, prendre une photo de la zone au moment même où on commence la fixation de l’état des lieux afin de disposer d’une vision globale et essayer de comprendre ce qui a pu se passer.
Les données sont confiées ensuite à des experts incendie qui initient différentes hypothèses quant à la propagation du feu et à son origine.
Quelle différence par rapport à un hélicoptère, excepté évidemment le coût ?
L’autre différence est qu’un drone peut descendre beaucoup plus en altitude sans altérer la scène en raison du faible vent généré. Avec un hélicoptère, vous avez l’effet de souffle. Si vous avez déjà prépositionné vos cavaliers d’indices, ces petits chevalets jaunes mis sur une scène de crime, cela fait partir l’ensemble.
C’est aussi un choix opérationnel tactique en fonction de la durée de survol, de la qualité des images, de la possibilité d’accès sur sites. En haute montagne, par exemple, au-delà de 2 000 mètres, l’oxygène se raréfie. La portance du drone est réduite, le risque de crash accentué. L’hélicoptère est cette fois le seul moyen d’obtenir les images nécessaires. On travaille ainsi en pleine complémentarité avec les forces aériennes de gendarmerie.
Il y a aussi une optique d’emprise. En somme, l’hélicoptère permet de traiter des zones très larges, le drone de travailler de façon plus précise.
De quels types de drônes disposez-vous, des modèles du commerce ?
Oui, mais il nous faut systématiquement une autorisation de vol. On ne va pas en magasin acheter un aéronef pour l’utiliser en sortant. Il existe toute une procédure de certification via la Direction de la sécurité aéronautique d'État, pendant militaire de la Direction générale de l'aviation civile. C’est elle qui est chargée de nous donner ces autorisations et préconisations de vols.
Il y a plusieurs drones notamment le Novadem, acheté sur marché public, déployé actuellement dans des forces aériennes et des unités de gendarmerie mobiles. D’autres modèles ont été validés, de marque DJI notamment. C’est avec ce type de petits modèles qu’on peut traiter des scènes assez réduites et d’un encombrement où l’hélicoptère aurait des difficultés à progresser.
Vous arrive-t-il justement d’utiliser un drone en intérieur ?
C’est plus compliqué, car il n’est pas toujours évident de disposer de capteurs anticollision selon le matériel en possession. De manière générale, il faut un environnement assez large pour pouvoir travailler en intérieur. On ne peut non plus négliger l’effet de souffle du drone et donc un risque de pollution de scène.
Et en extérieur, à part l’hypothèse d’un incendie ?
En extérieur, on réalise des prises de vue verticales à partir desquelles on réalise un modèle numérique de terrain nous permettant d’avoir l’ensemble du modèle en 3D. C’est ce qui peut être fait sur un crash aérien.
Ce qui nous sert le plus est l’orthophotographie. À partir du modèle, on applique des algorithmes mathématiques sur des points pour régénérer une image à l’échelle en prenant en compte le relief. On émet ainsi une image superposable en tout point à un plan sur lequel on peut ensuite réaliser des mesures. C’est ce qu’on fait par exemple sur des accidents routiers majeurs, des carambolages.
Qu’est-ce qu’a apporté le drone par rapport aux techniques traditionnelles ?
C’est le fait de bénéficier d’une représentation globale de la scène. Bien souvent, le technicien de scène ou l’expert se focalise sur une trace particulière en fonction de son domaine.
Or, il arrive que l’on perde la trace de certains éléments, qu’on ait alors du mal à interpréter leur signification ou origine. Prendre de la hauteur permet de mieux comprendre ce qui a pu se passer. On peut alors échafauder des hypothèses que ce soit directement au niveau de la fixation de la scène ou par le concours d’autres experts de l’institut de recherche criminelle tels des balisticiens, des morphoanalystes de sang, des accidentologues.
Un exemple : avec un accidentologue, on avait du mal à déterminer la nature des traces au sol dans le cadre d’un accident de la circulation, du moins en visée rasante, à hauteur d’homme. En faisant des prises de vues par drone, on a remarqué que les traces réalisaient un demi-cercle. Après calculs à l’IRCGN, on est tombé exactement sur ces demi-cercles.
Nous avons ainsi bénéficié d’une meilleure intelligibilité et compréhension des éléments du site. Au final, nous avons compris que le véhicule avait fait demi-tour avant d’être percuté. Ce sont des choses qu’on n’aurait pas forcément vu au sol.
Comment gérez-vous les contraintes de vie privée lors d’un vol ?
La règle est de voler sur des zones clairement identifiées et sanctuarisées. Lorsqu’il y a un accident routier, on ne s’intéresse non aux abords, mais à la rubalise jaune qu’on tire autour. De manière générale, on enregistre les données de vol pour montrer qu’on n’est pas allés se promener à droite à gauche.
Le respect de la vie privée est fondamental, on n’a pas le droit d’acquérir des images dans une zone dans laquelle on n’a rien à faire, où on n’a pas d’autorisation de vol. Voilà pourquoi lorsqu’on débute une mission, des documents identifient la zone et même les créneaux horaires.
Qu’aimeriez-vous pouvoir faire avec un drone à l’avenir ?
Aujourd’hui, on ne fait pas de pilotage dit FPV (First Person View) en réalité augmentée. Notre doctrine est que le drone doit toujours être à vue afin d’éviter les collisions.
Nos espoirs se concentrent cependant sur les visées tête-haute tel que cela a pu être dans les avions de chasse et qui se développe aujourd’hui dans le véhicule. Une manière de faciliter le pilotage en ayant toujours un visuel, mais aussi les informations de vol directement.
Ce qui nous intéresserait vraiment, c’est la modalisation 3D avec déchargements automatiques des photos et traitements en temps réel de la scène. Dès l’atterrissage, cela nous permettrait d’avoir un premier modèle 3D pour privilégier certaines zones, certains prélèvements, qu’on pourrait ensuite transmettre aux applications de gendarmerie, notamment Néogend. L’avantage ? Des informations directes données aux agents préleveurs pour espérer des conclusions encore plus rapides.
Aujourd’hui, les données sont couplées, mais pas de manière directe et rapide. On est encore limités en termes calculatoires par des opérations d’assemblage et de modélisation. Elles sont moins longues que par le passé, mais non encore immédiates.
Merci capitaine Hervé Daudigny.
[Interview] L’usage des drones à l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale
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Depuis quand utilisez-vous des drones pour des finalités de criminalistique ?
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Combien de temps dure cette formation ?
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Quelles sont justement les hypothèses d’utilisation ?
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Quelle différence par rapport à un hélicoptère, excepté évidemment le coût ?
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De quels types de drônes disposez-vous, des modèles du commerce ?
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Vous arrive-t-il justement d’utiliser un drone en intérieur ?
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Et en extérieur, à part l’hypothèse d’un incendie ?
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Qu’est-ce qu’a apporté le drone par rapport aux techniques traditionnelles ?
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Comment gérez-vous les contraintes de vie privée lors d’un vol ?
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Qu’aimeriez-vous pouvoir faire avec un drone à l’avenir ?
Commentaires (6)
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Abonnez-vousLe 01/02/2018 à 16h16
" />Intéressant si ça permet de mieux lutter contre les incendies, criminalité et autres.
En clair, on peut toujours demander à une force aérienne de gendarmerie de nous en prêter un sur le temps d’une mission. Il nous est arrivé également de prêter nos équipements là où tous les aéronefs étaient déjà engagés.
Au moins on n’a pas la fameuse « guéguerre des polices »" />
Le 01/02/2018 à 16h44
Et l’usage des drones pour contrôler les automobilistes?
Le 01/02/2018 à 16h50
Le 01/02/2018 à 17h28
Le 01/02/2018 à 22h17
Merci pour la réponse
Le 02/02/2018 à 11h35
Et d’un point financier ? Est-ce que c’est aussi intéressant ?