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L’Arcep et l’Arcom en route vers un référentiel général de l’écoconception des services numériques

Contraintes sans contraintes

L'Arcep et l'Arcom en route vers un référentiel général de l’écoconception des services numériques

Le 12 octobre 2023 à 12h39

L’Arcep et l’Arcom, en collaboration avec d’autres agences, viennent de lancer une importante consultation publique sur l’écoconception des services numériques. Objectif, recueillir autant d’avis que possible chez les structures concernées et publier un nouveau référentiel l’année prochaine.

Ces dernières années, une intense activité règne au sein de plusieurs agences sur la question de la consommation d’énergie. Une série d’études a été publiée, témoignant d’une collecte croissante de données pour parvenir à mieux analyser la situation.

La collecte elle-même passe au second plan, même si elle continue et se renforce, les agences concernées passant davantage à l’action et livrant les premiers résultats de leurs analyses. On se souvient notamment des scénarios principaux d’évolution de la consommation du numérique en France à horizons 2030 et 2050, selon les efforts fournis pour en maitriser l’explosion.

Il est temps désormais de passer à nouveau à l’étape suivante. La loi relative à la réduction de l’empreinte environnementale du numérique (loi REEN) a ainsi confié à l’Arcep et l’Arcom (via son article 25) la création d’un référentiel général de l’écoconception des services numériques. Sa définition va se faire en collaboration avec l’ADEME, la DINUM, la CNIL et Inria. Ce référentiel doit constituer un « socle commun de bonnes pratiques pour réduire l’empreinte environnementale des services numériques ».

La consultation publique a débuté le 9 octobre et ne dure qu’un mois. Le 30 octobre, un atelier de concertation technique sera organisé à l’Arcep, en collaboration avec l’Institut pour un numérique responsable. Tous les « métiers liés de près ou de loin à la conception d’un service numérique » peuvent donner leur avis et sont encouragés à le faire, dans la mesure où les questions posées par l’Autorité les concernent. Les réponses seront intégralement publiées plus tard, à l’exception des passages entre crochés et surlignés en gris, marquant les éléments confidentiels. Cependant, « l’Arcep se réserve le droit de déclasser d’office des éléments d’information qui, par leur nature, ne relèvent pas du secret des affaires ».

Le référentiel général de l’écoconception des services numériques, auquel doit aboutir la consultation, est défini comme « un document technique destiné aux experts et métiers du développement, de la conception et du design de services numériques ». Il doit promouvoir – sans rendre obligatoire – « l’intégration des caractéristiques environnementales dans la conception du produit en vue d’améliorer la performance environnementale du produit tout au long de son cycle de vie ». Un score d’avancement est même prévu pour accompagner les parties intéressées.

Derrière les terminaux, les services

La création du référentiel ne fait pas oublier que les terminaux représentent l’écrasante majorité de la consommation d’énergie liée au numérique (de 65 à 90 % selon l’indicateur). Selon l’étude Arcep/ADEME publiée en mars dernier, le numérique représentait en 2020 2,5 % de l’empreinte carbone de la France. Cependant, au rythme actuel de croissance, le nombre d’équipements serait 65 % plus grand en 2030 et le trafic de données serait multiplié par 6. Avec à la clé des augmentations de 45 % de l’empreinte carbone du numérique et de 14 % pour la consommation des ressources abiotiques (métaux et minéraux).

Dans cette étude, l’écoconception des équipements et services numériques était identifiée comme levier important pour inverser la tendance. Celle des équipements fait l’objet d’un travail à part.

Quatre grands objectifs sont affichés pour les services :

  1. La conception de services numériques plus durables permettant d’allonger la durée de vie des terminaux
  2. La promotion d’une démarche de sobriété environnementale face aux stratégies de captation de l’attention de l’utilisateur pour des usages en ligne
  3. La diminution des ressources informatiques mobilisées et l’optimisation du trafic de données et de la sollicitation des infrastructures numériques
  4. L’accroissement du niveau de transparence sur l’empreinte environnementale des services numériques

Des recommandations évidentes…

La consultation fait en sorte de ne pas brasser des concepts creux. Face aux terminaux, de nombreux exemples sont donnés. Par exemple, inciter les entreprises à rendre leurs services utilisables sur des terminaux anciens, tout en conservant des performances adaptées. Ce seul point a de quoi ouvrir un vaste débat, car il vient notamment taper dans le monde des terminaux Android, où le support laisse clairement à désirer sur une bonne part des appareils vendus. En outre, il n’a rien de simple, notamment dans le cas d’applications requérant un niveau de sécurité, comme celles des banques.

Adapter le service au contexte d’utilisation et de visualisation est également un point fort. L’exemple le plus évident est la vidéo, même s’il n’est pas nouveau. Nous avons déjà vu le cas à plusieurs reprises, l’ADEME conseillant par exemple de limiter la qualité de la vidéo (surtout sur smartphone) et d’utiliser le Wi-Fi dès que possible. Dans la consultation, il est surtout demandé de réfléchir à la disponibilité des contenus sur le plus grand nombre possible d’appareils et d’optimiser la définition des flux.

L’open source est également vu comme un levier important de « prolongation de la durée de vie des services et de l’utilisation de terminaux, en particulier pour l’IoT ». Rappelons que l’open source en lui-même n’est pas une garantie de durabilité ou même de sécurité, surtout dans l’IoT. Par le passé, on a pu voir de nombreux exemples, comme avec les caméras connectées : versions dépassées du noyau Linux, code peu ou pas entretenu, failles de sécurité béantes, etc. Comme avec le reste, tout dépend du soin apporté à la partie logicielle.

Autre point évident, la disponibilité des mises à jour essentielles. Nous avons abordé récemment cet aspect dans l’annonce des Pixel 8 de Google. Pour la première fois, l’entreprise a en effet assorti son nouveau fleuron d’un support de 7 ans, comprenant à la fois les mises à jour de sécurité et les versions d’Android. Nous espérions alors que ce mouvement, allant clairement dans le bon sens, ferait tache d’huile dans l’industrie, d’autant qu’il est accompagné d’une période équivalente de disponibilité des pièces détachées pour garantir sa réparabilité.

Le document fournit aussi une liste de conseils « évidents », ayant trait à la technique : limiter les ressources utilisées par les différentes briques du service en interrogeant les cibles sur leurs véritables besoins, réduire le poids des contenus multimédias, limiter le nombre de requêtes envoyées aux serveurs, minimiser les ressources nécessaires aux calculs asynchrones, favoriser l’usage d’hébergements « efficients » (qui limitent leur empreinte environnementale), ou encore réduire l’empreinte de techniques énergivores. Sur ce point, deux exemples sont donnés : les techniques de minage utilisées par les blockchains et l’apprentissage automatique (donc l’IA).

Il faut noter toutefois qu’un mouvement de fond s’est lentement créé ces dernières années. Les entreprises concernées peuvent passer à côté de recommandations non contraignantes, mais elles sont plus sensibles aux hausses récentes de la facture énergétique. La maîtrise du budget est un argument de poids, y compris chez le grand public.

… et d’autres moins

Le document propose d’autres recommandations qui n’ont pas fini de faire froncer des sourcils dans les entreprises concernées. Par exemple, restreindre autant que possible les comportements poussant les utilisateurs à un « usage incontrôlé du service » : mur de contenu infini, déclenchements automatiques des contenus vidéos, notifications intempestives. Nul doute que Meta appréciera, d’autant que ces conseils en appellent d’autres.

La consultation propose en effet de « redonner à l’utilisateur le contrôle de ses usages » via des fonctions telles qu’un bouton Stop, un mode « économie de données » ou « sobriété énergétique », l’affichage d’un indicateur de suivi de consommation. Certaines applications le font, comme WhatsApp et Telegram, mais elles sont encore rares. Ces mesures seraient complétées par une limitation de la captation des données et métadonnées à des fins de profilage publicitaire, selon une équation simple : moins de données captées, moins de traitement, moins de consommation. Pas certain que Google y voit autre chose qu’une profonde remise en question de son modèle commercial.

L’Arcep et l’Arcom militent en outre pour une transparence des acteurs numériques, par la publication « d’indicateurs environnementaux fiables, robustes et comparables », dans une forme de « régulation par la donnée ». Les acteurs sont ainsi invités à publier leur empreinte environnementale avec une « approche multicritères dans la mesure du possible, considérant a minima les émissions de gaz à effet de serre, la consommation énergétique, en eau et en ressources abiotiques minéraux/métaux ».

Des dizaines de questions, des priorités et un score

Les structures intéressées sont invitées à répondre à 91 questions réparties en six grandes catégories, notamment à donner leur avis sur les objectifs principaux envisagés par le futur référentiel, comme « l’allongement de la durée de vie des terminaux, la limitation des stratégies de captation de l’attention, la minimisation de l’utilisation des ressources et la transparence environnementale des services numériques ». Les 91 critères sont également répartis en trois niveaux d’importance : prioritaire, recommandé et modéré.

Le périmètre visé est particulièrement large : « sites web, API, logiciels à installer, plateformes vidéo, logiciels " software as a service" (SAAS), outil reposant sur un système d’intelligence artificielle, registres de blockchain… ».

Le remplissage de ces informations est assorti du score d’avancement évoqué précédemment. Le document en donne la formule :

[(Nombre de critères validés ou N/A « Prioritaire » x 1,5 + Nombre de critères validés ou N/A « Recommandé » x 1,25 + Nombre de critères validés « Modéré » ou N/A) /109,5] x 100

On peut y voir que chaque niveau d’importance a son propre coefficient et que la validation des éléments prioritaires fait grimper plus rapidement la note. D’après la consultation, l’objectif est autant de fournir une note à un instant T que d’accompagner l’acteur dans sa progression, puisque la note change au fur et à mesure que des étapes « vertueuses » sont franchies. Note qui d’ailleurs pourrait être récupérée comme argument commercial. C’est du moins ce qu’espèrent l’Arcep et l’Arcom.

Parmi les questions prioritaires, voici quelques exemples :

  • Le service numérique a-t-il été évalué favorablement en termes d’utilité en tenant compte de ses impacts environnementaux ?
  • Le service numérique s’adapte-t-il à différents types de terminaux d’affichage ?
  • Le service numérique est-il utilisable sur d’anciens modèles de terminaux ?
  • Le service numérique limite-t-il la collecte de données utilisées pour la phase d’apprentissage ?

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Questions prioritaires

Dans la consultation, on peut voir en annexe des fiches pratiques pour chacune des 91 questions. Pour la première par exemple, il est recommandé de se référer à divers documents tels que les 17 objectifs de développement durable définis par l’ONU, la taxonomie européenne sur les activités vertes, la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) ou encore certaines normes ISO comme la 26000.

Il faut également que certaines questions trouvent leur réponse. Par exemple, l’utilisation du numérique pour ce service est-elle nécessaire ? Quels sont les réels besoins justifiant la création du service ? Sa valeur ajoutée justifie-t-elle la mobilisation des ressources requises à sa création ? Chaque fonction est-elle vraiment nécessaire ?

Il ne s’agit que de quelques exemples, mais ils montrent l’orientation prise par la consultation. C’est un élément de plus dans la réflexion générale sur la consommation des ressources, une inversion de méthode à contre-courant de ce que l’on pourrait qualifier « d’héritage des Trente Glorieuses ». Un début de bascule entre les paradigmes que l’on retrouve notamment dans les réflexions entourant le développement des réseaux mobiles, en particulier l’après-5G.

L’ensemble de ces informations doit faire l’objet d’une déclaration volontaire, idéalement à chaque modification significative du service. Elle peut être centrée sur celui-ci ou être plus générale, pour refléter les avancées d’une structure dans son ensemble. Cette déclaration rassemble tout ce qui touche aux engagements pris pour réduire l’impact environnemental, le profil des cibles utilisatrices, les chemins critiques et unités fonctionnelles évalués par le référentiel, les noms des fournisseurs et prestataires d’hébergement, la documentation liée à la mise en œuvre des critères du référentiel et, bien sûr, le score d’avancement.

L’effet sera-t-il concret ?

C’est la grande question que l’on peut se poser devant un tel train de mesures non-contraignantes. L’Arcep et l’Arcom en appellent à la bonne volonté des acteurs du numérique, dont on ne sait pas encore s’ils seront sensibles aux avantages commerciaux supposés d’une communication sur les responsabilités environnementales. Dans le cas des GAFAM, on peut en douter.

La consultation devrait néanmoins engranger d’importantes contributions d’ici au 9 novembre. La question sera alors de savoir dans quelle mesure les retours seront pertinents, avec à la clé une influence directe sur le nouveau référentiel général de l’écoconception des services numériques. L’ampleur de ce dernier reste à déterminer, d’autant qu’il ne sera pas, lui non plus, imposé aux acteurs.

En revanche, le document respecte le calendrier proposé par les agences, qui ne démordent pas de la ligne fixée il y a quelques années. La collecte des données laisse place, en première ligne, aux recommandations qui, dans un futur plus ou moins proche, pourraient finir par laisser place à une nouvelle série d’obligations.

Commentaires (5)

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Aucun rapprochement avec les Web Sustainability Guidelines du W3C ?
C’est dommage, de la part du journaliste et de ces agences franco-françaises.



https://www.w3.org/blog/2023/introducing-web-sustainability-guidelines/

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Dans un monde ou demander un document de conception me fait passer pour un extraterrestre, et ou les bricolages a court terme semblent devenir la norme, bon courage pour imposer ce type de regles… De plus, beaucoup de dogmes semble gouverner ces recommandations ; pourquoi le wifi serait plus ecologique que la 5g?

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(reply:2158623:guimoploup) Une connexion filaire consomme moins qu’une antenne, c’est pas un dogme, c’est un constat.


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Le wifi n’est pas filaire : il faut aussi une antenne et une box😃

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Pour l’impact des différents types de réseaux, une étude a été publiée par Greenspector https://greenspector.com/fr/quel-est-limpact-du-reseau-dans-les-services-numeriques/

L’Arcep et l’Arcom en route vers un référentiel général de l’écoconception des services numériques

  • Derrière les terminaux, les services

  • Des recommandations évidentes…

  • … et d’autres moins

  • Des dizaines de questions, des priorités et un score

  • L’effet sera-t-il concret ?

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