Des nanosatellites pour la science ? Ils « n’ont rien à envier à leurs camarades plus grands »
C’est pas la taille qui compte !
Le 25 juin 2020 à 14h02
12 min
Sciences et espace
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Les nanosatellites ont le vent en poupe : coûts de fabrication et de lancement réduits, avec la possibilité de « faire de la science » intéressante tout de même. L’Observatoire de Paris revient sur leurs avantages et côtés sombres, en particulier l’encombrement de l’espace et la pollution.
Ce n’est un secret pour personne : les satellites sont de plus en plus nombreux dans le ciel, et cela ne va pas aller en diminuant. On peut citer le cas de SpaceX avec les milliers de satellites Starlink, mais il ne s’agit là que de la partie visible de l’iceberg.
« Après l’ère des gros satellites placés en orbite géostationnaire, nous passons à des petits satellites déployés en constellations globales », expliquent Boris Segret (chef de projet C²ERES pôle spatial de PSL Université Paris) et Benoît Mosser Professeur (membre du Laboratoire d’Études Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique) dans un article sur The Conversation et repris par l’Observatoire de Paris (Obspm). Pour l’ESA, les nanosatellites « ne mesurent que dix centimètres d'arête, mais n'ont rien à envier à leurs camarades plus grands ».
Comme nous l’avons déjà expliqué, cela soulève de nombreuses questions sur la pollution visuelle et les coûts environnementaux du lancement et de l’utilisation des satellites (vidéo, accès à Internet partout dans le monde, etc.). Les chercheurs reviennent de leur côté sur « une utilisation moins polémique et très prometteuse des nanosatellites » : « l’observation du ciel avec un impact écologique minime, car mutualisé entre plusieurs missions ». Plusieurs exemples sont donnés.
Mais au fait, c’est quoi un nanosatellite (et un cubesat) ?
Le CNES rappelle qu’un nanosatellite est un petit satellite pesant généralement moins de 10 kg. On parle aussi souvent de CubeSat, un « format de nanosatellite défini en 1999 par l'université polytechnique de Californie et l‘Université de Stanford (États-Unis) pour réduire les coûts de lancement des très petits satellites et ainsi permettre aux universités de développer et de placer en orbite leurs propres engins spatiaux ».
La dimension standard d’un cubesat « 1U » est 10 x 10 x 10 cm. Il est possible de créer des multiples 2U, 3U, etc. avec des dimensions de 20 x 10 x 10 et 30 x 10 x 10 cm. Principalement utilisé par des universités – à cause de leurs faibles coûts de développement et de la possibilité de faire du « cofusage » avec un satellite classique – à ses débuts, les lancements commerciaux, militaires et gouvernementaux de Cubesats prennent de l’importance depuis 2013.
« Je n'aurais jamais pensé concevoir un satellite de ma vie parce que je me disais toujours qu'il n'y avait que la NASA qui en construisait, mais aujourd'hui, je peux le faire moi aussi dans mon université », expliquait il y a quelques années à l’ESA Marta Hang, assistante du programme CubeSat au centre Mektory de Tallinn.
Roger Walker, qui coordonnait les recherches sur les nanosatellites au Centre technique de l’ESA aux Pays-Bas y va de son explication : « Les ordinateurs se sont miniaturisés avec le temps : on est passé d'un ordinateur qui occupait toute une pièce il y a des décennies à quelque chose qui aujourd'hui, tient dans un téléphone portable, indique-t-il. Dans le secteur spatial, on constate que les composants des satellites se sont miniaturisés de quelque chose de la taille d'une machine à laver à aujourd'hui quelque chose de la taille d'un CubeSat : en gros, c'est un satellite dans une boîte à chaussures ».
Et ces nanosatellites ont tout des grands : « On trouve toutes les fonctionnalités d'un satellite réunies dans cette boîte : on a la possibilité de générer de l'énergie avec des panneaux solaires, de distribuer cette énergie en interne, de communiquer avec la station au sol sur Terre, mais aussi de mener des expériences et de transmettre les données à la Terre ».
Étudier le vent solaire, les « âges sombres de l’univers » et les astéroïdes
Le premier cas d’utilisation mis en avant par les scientifiques est l’étude du vent solaire. « Ces particules (électrons, protons) sont éjectées avec une très forte énergie lors des éruptions à la surface du Soleil et arrivent jusqu’à nous après un voyage de quelques heures à quelques jours. Elles sont connues pour générer de magnifiques aurores boréales », mais aussi des perturbations plus ou moins importantes sur Terre. Nous en parlions en détail dans la première partie de notre dossier sur le système solaire.
Que viennent donc faire les nanosatellites dans cette histoire ? « Actuellement, des petits satellites observent comment les signaux des (gros) satellites GPS sont déviés par l’ionosphère, étudiant en temps réel ses caractéristiques et son impact sur le climat »
Loin de nous – et surtout du bouclier magnétique terrestre qui « filtre » les particules cosmiques – elles peuvent devenir un risque pour les missions d’exploration spatiale. C’est le cas de celles habitées vers la Lune ou Mars (bien qu’intéressante comme planète, un voyage vers Vénus est très compliqué). Afin de préparer au mieux ce genre de lancement, les nanosatellites pourraient avoir leur utilité pour « sonder la quantité et la directivité du vent solaire et des rayonnements cosmiques ».
Si l’atmosphère agit comme une protection contre les vents solaires, elle agit également comme un filtre géant et pénalisant pour certaines recherches, notamment la compréhension des « âges sombres de l’univers », c’est-à-dire l’« "image" du ciel peu après le big bang à des fréquences radio très basses ».
La carte détaillée du ciel dans le spectre inférieur à 30 MHz « est tout simplement inconnue à ce jour », affirment les chercheurs. Notons que l’atmosphère n’est pas la seule source de perturbation, les émissions radio humaines (toujours plus nombreuses) sont également bien présentes.
Placés sur une orbite terrestre basse, les nanosatellites seraient toujours soumis à des interférences et des blocages importants. Pas d’une grande utilité dans le cas présent donc. Mais une autre approche est possible : « Avec un essaim de nanosatellites orbitant autour de la Lune, on pourrait réaliser un interféromètre spatial qui enverrait des données vers la Terre (face visible de la Lune) et serait à l’abri des pollutions radio (face cachée) ».
Des nanosatellites avec Insight (2018), d’autres avec DART (2021)
Dernier point abordé par les chercheurs : l’étude des astéroïdes. Il s’agit pour rappel d’objets célestes pas encore sphériques et qui tournent en suivant leurs propres trajectoires autour du Soleil.
Ils passent parfois à proximité de la Terre, mais il leur arrive d'entrer dans l’atmosphère et de s’y consumer pour former des étoiles filantes. S’ils sont petits. Plus gros, ils peuvent tomber sur Terre sous forme de petits morceaux. Si la taille est imposante (une situation rare), les dégâts peuvent être très importants. Citons l’événement de la Toungouska en 1908 et l’extinction des dinosaures comme exemples extrêmes.
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La mission DART de la NASA a comme objectif de mesurer l’efficacité de l’impact d’une sonde sur un astéroïde pour dévier sa trajectoire. Aucun risque pour la Terre dans le cas présent, mais il s’agit de se préparer.
Le décollage est prévu pour juillet 2021 (arrivée à destination en septembre 2022) avec des nanosatellites : « un prendra des images rapprochées pendant l’impact de la mission DART de la NASA sur l’astéroïde Didymos, les deux autres avec la mission HERA de l’ESA descendront vers la surface pour des mesures rapprochées trop risquées pour le vaisseau mère ».
Les mesures dans le cadre de cette mission nécessitent de voler à proximité de l’astéroïde, « lentement et longtemps ». « Des nanosatellites, autonomes et peu chers, amenés sur place par la mission principale seront parfaits », expliquent les chercheurs.
Il y a un peu plus de deux ans, Insight décollait de la Terre en direction de Mars, avec deux nanosatellites pour l’accompagner sur sa route : les Mars Cube One (MarCO A et B). La réussite de cette mission ne dépendait pas directement d’eux, ils étaient là en plus pour permettre à l’Agence spatiale américaine de réaliser des essais en situation : « Ils devaient servir à titre expérimental de relais de télécommunications entre la Terre et InSight pour suivre cette dernière au cours de sa descente », rappelait la Cité des Sciences.
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Les dessins ne sont évidemment PAS à l’échelle…
Un secteur encore « jeune »
S’ils sont aussi performants et utiles, pourquoi n’ont-ils pas été démocratisés avant ? Deux raisons principales, selon l’Observatoire de Paris. Premièrement, « la croyance qu’un CubeSat se fait en trois ans seulement. Ainsi, une équipe s’engage sur un calendrier trop ambitieux, réserve son tir de fusée à l’avance puis réalise qu’elle doit faire des impasses dans les tests par manque de temps. Or le spatial ne pardonne pas : ce qui n’a pas été testé ne marchera pas, dit-on ».
Une manière polie de répondre à l’ESA qui publiait en 2016 une interview de Mart Vihmand, directeur du Centre spatial Mektory : « De la planification du projet à l'assemblage final du satellite, il faut trois ans: en général, 80 % de ce temps est consacré à des réunions et à de la conception sur ordinateur. En réalité, quand on commence à construire l'appareil final qui va voler dans l'espace, qu'on l'assemble dans un certain environnement et qu'on réunit les différents composants, cela ne prend qu'une minute ».
Deuxièmement, la jeunesse du secteur des nanosatellites : « D’un côté, des fournisseurs survendent leurs produits à des conditions discutables (paiements d’avance, délais flexibles, performances en vol non garanties…). De l’autre, les scientifiques n’ont pas encore l’expérience. Les délais d’approvisionnement sont alors sous-estimés et les livraisons sont trop laxistes ».
Un débat public est impératif
Malgré tous les avantages des nanosatellites, Boris Segret et Benoît Mosser n’oublient pas leurs côtés sombres : « un débat public est impératif sur la pertinence et le coût environnemental réel de telle ou telle consommation de données : vidéo en streaming par satellite, imagerie en continu pour gestion des catastrophes ou accès Internet pour toute la planète ».
Ils parlent ainsi du coût direct d’un lancement (la fusée, son carburant, etc.), mais aussi « celui induit par la multiplication des débris spatiaux et désormais aussi celui de la pollution visuelle du ciel nocturne ». Il est évidemment question de SpaceX qui prévoit d’envoyer 12 000 satellites pour Starlink, voire 42 000. Ce qui « promet de générer de la pollution lumineuse dans chaque degré-carré du ciel à tout moment (1 degré-carré représente une zone équivalant à 4 pleines lunes) ».
Elon Musk avait annoncé (mollement) se saisir de cette problématique. Un premier satellite Starlink avec une visière a récemment été lancé, mais cela ne règle en rien la question de la pollution spatiale et des débris, qui deviendront inévitablement de plus en plus nombreux.
Les fusées sont parées pour lancer des dizaines de satellites en une fois
Les lanceurs aussi s’adaptent à cette évolution du marché spatial, permettant à plusieurs satellites de voyager facilement à bord d’un même lanceur, afin de partager le coût du voyage. En 2017, l’Inde envoyait ainsi pas moins de 104 satellites en orbite avec une seule fusée, un record.
SpaceX tire ses satellites Starlink par paquet de 60 (parfois en laissant un peu de place à des partenaires). Même l’Europe s’y met avec Vega et le SSMS, son service modulable de lancement de petits satellites. La mission VV16, qui doit qualifier SSMS, devait partir il y a quelques jours, mais elle est pour le moment reportée.
Arianespace rappelle que « SSMS est fondé sur des clauses contractuelles simplifiées et une chaîne d’intégration optimisée, une intégration des CubeSats et la revue d’aptitude au vol effectuées pour la première fois en Europe (République tchèque). Ce service tire parti de la grande souplesse offerte par le concept de dispenseur modulaire, qui propose une interface avec tous types de petits satellites, dont la masse varie entre 1 et 500 kg, et ce dans plusieurs configurations reposant sur des éléments structurels identiques ».
Reste maintenant à réussir ce vol de validation (PoC). Ariane 6 et Vega-C, qui devraient réduire les coûts de lancement de 40 %, sont également pensées dès le début pour le « rideshare ». Nous aurons l’occasion de revenir en détail sur ces futurs lanceurs européen dans le magazine #2 de Next INpact, financé via Ulule.
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Un débat public est impératif
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Commentaires (11)
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Abonnez-vousLe 25/06/2020 à 14h57
Ça me fait penser aux anciennes pubs Clio «Elle a tout d’une grande, pas assez cher mon fils»
Le 25/06/2020 à 15h59
Tiens, c’est marrant que des universités américaines aient choisi comme unité de base un cube de 10cm. À moins qu’en interne, ils appellent ça 3 pouces 15⁄16 ? (ce ne serait étonnant qu’à moitié)
Le 25/06/2020 à 16h35
Peut-être que les américains en ont marre de leur système de mesure de longueur qui est quand même bien bâtard…
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Le 25/06/2020 à 16h39
Les satellites de Starlink font environ un mètre cube.
Je ne sais pas si les nanosatellites posent les mêmes problèmes aux astronomes.
Le 25/06/2020 à 16h57
Le 25/06/2020 à 19h13
C’est pas la taille qui compte !
Je n’ai jamais entendu Rocco dire ça…
Le 25/06/2020 à 19h44
Le 26/06/2020 à 07h15
C’était justement parce que les scientifiques (Nasa) utilisaient les unités SI mais un sous contracteur industriel (Lockheed) utilisait des unités du néolithique.
Le 26/06/2020 à 11h42
Le 26/06/2020 à 13h17
Voir ma réponse précédente…
Le problème est qu’aux US les scientifiques utilisent le système USI mais s’ils sont les seuls.
Le 29/06/2020 à 14h33
Ils utilisent de l’électronique standard dans les nanosat ? Pas de version “radhard” quite coute 20k la puce ?