Mars : la sonde européenne TGO permet « d’explorer l’atmosphère comme jamais auparavant »
Cent balles et un Mars
Le 11 février 2021 à 14h29
11 min
Sciences et espace
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L’Agence spatiale européenne détaille deux publications issues des données de sa sonde Trace Gas Orbiter (TGO). La première concerne la détection d’un nouveau gaz qui ouvre le chapitre d’un « nouveau cycle chimique à comprendre », tandis que la seconde améliore notre compréhension de la perte de l’eau.
Mars est au cœur des attentions de plusieurs pays depuis plusieurs mois. L’été dernier, l’Agence spatiale américaine envoyait sa mission Mars 2020 en direction de la planète rouge, avec le rover Perseverance à son bord. Le but est de chercher des traces de vies passées dans le sol martien et de préparer des échantillons prometteurs pour une éventuelle mission de récupération par la suite.
1…2… et 3 sondes arrivent autour de Mars
L’Europe devait aussi envoyer sa propre sonde – avec la seconde partie de la mission ExoMars – mais le lancement a été retardé de deux ans, après un premier report de deux ans en mai 2016. Rater une fenêtre de tir oblige en effet à une longue attente, le temps que les planètes se retrouvent à nouveau dans un alignement favorable, c’est-à-dire quand elles sont au plus proches l’une de l’autre.
Deux autres nations se sont également lancées dans l’aventure : les Émirats arabes unis avec la sonde Al-Amal et la Chine avec sa mission Tianwen-1. Cette dernière doit en plus tenter de poser un atterrisseur sur la surface de la planète, puis y déployer un robot.
Pour le moment, les deux sondes viennent de s’insérer sur une orbite martienne. Les deux nations deviennent donc les cinquième et sixième à placer un engin spatial autour de Mars (en plus des États-Unis, de l’Europe, de l’URSS et de l’Inde). Elles rejoignent ainsi les sondes déjà en place, qui effectuent des mesures et des relevés depuis des années déjà, de quoi ouvrir de nouvelles perspectives avec de nouvelles données.
De son côté, l’Agence spatiale européenne fait le dos rond en attendant le lancement d’ExoMars 2022, mais profite tout de même de l’effervescence mondiale pour faire une double annonce : « ExoMars découvre un nouveau gaz et retrace la perte d’eau sur Mars ».
« Du chlorure d’hydrogène pour la première fois sur Mars »
Petit retour en arrière. La première partie de la mission ExoMars a décollé en mars 2016 et s’est placée en orbite en octobre de la même année. La sonde a ensuite passé plusieurs mois à réduire sa vitesse et abaisser son orbite. Ce n’est qu’en mars-avril 2018 que Trace Gas Orbiter (TGO) a « fini de surfer » sur l’atmosphère, qu’elle trouve sa place définitive et que les observations scientifiques peuvent débuter. Pour rappel, l’atterrisseur Schiaparelli a connu un funeste destin, finissant éparpillé façon puzzle à la surface de la planète.
Il s’agissait là d’une moitié de la mission, l’ESA peut continuer à faire de la science avec son orbiteur qui fonctionne comme prévu. L’Agence ne s’en prive d’ailleurs pas. Les premiers résultats tombent en avril 2019 avec « de nouvelles preuves de l’impact qu’a eu l’orage de poussière à l’échelle planétaire sur l’eau dans l’atmosphère, et la surprenante absence de méthane ».
En juin 2020, Trace Gas Orbiter détectait « une lueur verte d’oxygène dans l’atmosphère de Mars », puis des « signatures inédites d’ozone (O₃) et le dioxyde de carbone (CO₂) » en septembre. Récemment, la caméra CaSSIS de la sonde prenait sa 20 000e photo de la planète. Aujourd’hui, l’Agence spatiale européenne annonce donc la découverte d’un nouveau gaz dans l’atmosphère.
« Nous avons découvert du chlorure d’hydrogène [ou HCl, composé d’un atome d’hydrogène et d’un de chlore, ndlr ] pour la première fois sur Mars. Il s’agit de la première détection d’un gaz halogène dans l’atmosphère de Mars, et cela représente un nouveau cycle chimique à comprendre », se réjouit Kevin Olsen, un des principaux scientifiques à l’origine de cette découverte.
D’où vient-il ? Les scientifiques ont des pistes…
Les gaz à base de chlore (ou de soufre) représentent un enjeu particulier dans l’étude des planètes : « ils sont des indicateurs possibles de l’activité volcanique », explique l’Agence spatiale européenne. Mais ce n’est pas le cas cette fois, pour deux raisons principalement : des détections simultanées dans des endroits très éloignés (les deux hémisphères en l’occurrence) et l’absence d’autres gaz que l’on retrouve normalement en cas d’activité volcanique.
Pour les chercheurs, cela « suggère une interaction surface-atmosphère entièrement nouvelle, due aux saisons de poussière sur Mars, qui n’avait pas été explorée auparavant ». Une hypothèse confortée par un autre point : le gaz a été détecté « lors d'une tempête de poussière sur toute la planète en 2018 et il a de nouveau disparu par la suite », avant de revenir avec la nouvelle saison des poussières sur la planète.
Pour rappel, l’importante tempête de 2018 avait obscurci le ciel et recouvert les panneaux solaires du rover Opportunity, conduisant à la fin de cette mission…
Voilà, selon les scientifiques, le procédé de formation de ce chlorure d’hydrogène :
« Dans le cadre d’un processus très similaire à celui observé sur Terre, les sels sous forme de chlorure de sodium – vestiges des océans évaporés et encastrés dans la surface poussiéreuse de Mars – sont soulevés dans l’atmosphère par les vents.
La lumière du soleil réchauffe l’atmosphère, ce qui provoque l’ascension des poussières, ainsi que de la vapeur d’eau libérée par les calottes glaciaires. Les poussières salées réagissent avec l’eau atmosphérique pour libérer du chlore, qui lui-même réagit avec les molécules contenant de l’hydrogène pour créer du chlorure d’hydrogène.
D’autres réactions pourraient voir la poussière riche en chlore ou en acide chlorhydrique remonter à la surface, peut-être sous forme de perchlorates, une classe de sel composée d’oxygène et de chlore. »
Bien évidemment, « des tests approfondis en laboratoire et de nouvelles simulations atmosphériques globales seront nécessaires pour mieux comprendre l’interaction surface-atmosphère à base de chlore, ainsi que des observations continues sur Mars pour confirmer que la hausse et la baisse du HCl sont dues à l’été de l’hémisphère sud ».
Dans tous les cas, c’est une « étape majeure pour la mission ExoMars Trace Gas Orbiter », affirme Håkan Svedhem, scientifique du projet.
De nouveaux « indices sur l’évolution du climat »
En parallèle de cette découverte, l’Agence spatiale européenne annonce avoir trouvé de nouveaux « indices sur l’évolution du climat ». Pour rappel, les experts s’accordent pour dire que l’eau s’écoulait autrefois sous forme liquide à la surface de la planète, comme en témoignent les traces laissées par d’anciennes vallées et canaux de rivières maintenant asséchés. Pour la NASA, on pourrait même en trouver à notre époque, mais il ne s’agit que d’hypothèses pour le moment.
On est par contre certain que, actuellement, elle est présente sous forme de glace dans les calottes et enfouie sous la surface de la planète. Dans le même temps, Mars continue aujourd’hui de perdre de l’eau « sous forme d’hydrogène et d’oxygène s’échappant de l’atmosphère » et des questions demeurent encore sur la compréhension de l’évolution du climat de notre voisine.
Pour essayer d’y répondre, il faudrait pouvoir comprendre l’interaction des différents « réservoirs » d’eau présents sur Mars, et leurs comportements saisonniers sur le long terme. Un des moyens d’y arriver est d’étudier des vapeurs d’eau et d’eau « semi-lourde », c’est-à-dire quand un atome d’hydrogène (H) est remplacé par un atome de deutérium (D). Le deutérium est pour rappel une forme d’hydrogène avec un neutron supplémentaire.
Le rapport D/H fait office de chronomètre
Plus précisément, les scientifiques étudient le rapport deutérium sur hydrogène, c’est-à-dire D/H : « c’est notre chronomètre – une mesure puissante qui nous renseigne sur l’histoire de l’eau sur Mars, et sur l’évolution de la perte d’eau au fil du temps ».
Mais comment fonctionne-t-il ? Laurette Piani (chargée de recherche CNRS) donnait des explications sur son site personnel :
Les chercheurs « utilisent ce rapport isotopique pour estimer la quantité d’eau qui a été perdue par évaporation dans l’espace depuis la formation de la planète. En effet, les molécules d’eau contenant du D (HDO) s’évaporent moins facilement que celles qui ne contiennent que du H (H₂O). L’eau qui reste après évaporation va donc posséder un rapport D/H plus élevé que l’eau initiale.
Supposant un rapport D/H initial similaire à celui de l’eau des minéraux de météorites martiennes [qui ont emprisonné de l’eau durant leurs formations, il y a 4,5 milliards d’années, ndlr], les chercheurs ont évalué la quantité d’eau perdue pour obtenir le rapport actuel et estimé le temps nécessaire pour évaporer cette eau. »
TGO améliore la précision du « chronomètre »
Cette technique n’est pas nouvelle, loin de là, mais la sonde Trace Gas Orbiter permet de « mieux comprendre et calibrer ce chronomètre et tester de nouveaux réservoirs d’eau potentiels sur Mars », explique Geronimo Villanueva, auteur principal de cette nouvelle conclusion.
Avec les données récoltées avec TGO, l’eau vaporisée dans l’atmosphère présente « un rapport D/H six fois supérieur à celui de la Terre dans tous les réservoirs de Mars, ce qui confirme que de grandes quantités d’eau ont été perdues au fil du temps ».
Ce n’est pas tout : les mesures effectuées entre avril 2018 et avril 2019 montrent « trois cas d’accélération de la perte d’eau dans l’atmosphère : la tempête de poussière mondiale de 2018, une tempête régionale courte, mais intense en janvier 2019, et la libération d’eau de la calotte polaire sud pendant les mois d’été liée au changement de saison ».
L’été relativement chaud de l’hémisphère sud « semble être le moteur de nos nouvelles observations telles que la perte accrue d’eau dans l’atmosphère et l’activité de la poussière liée à la détection du chlorure d’hydrogène, que nous constatons dans les deux dernières études », explique Håkan Svedhem, scientifique du projet TGO.
Explorer l’atmosphère « comme jamais auparavant »
Ann Carine Vandaele, chercheuse principale de l’instrument scientifique NOMAd (Nadir and Occultation for MArs Discovery) fait une comparaison : « c’est comme si nous n’avions eu qu’une vue en 2D. À présent, nous pouvons explorer l’atmosphère en 3D ». Une possibilité permise grâce à un « niveau de détail » qu’il était « impossible » d’atteindre sans TGO. En effet, les mesures ne donnaient auparavant qu’une moyenne sur la profondeur de l’atmosphère entière.
« Les observations du Trace Gas Orbiter nous permettent d’explorer l’atmosphère martienne comme jamais auparavant », affirme-t-il en guise de conclusion. L’Agence spatiale européenne veut désormais coordonner des observations avec d’autres sondes, dont MAVEN de la NASA afin d’obtenir « des informations complémentaires sur l’évolution de l’eau au cours de l’année martienne ».
Mars : la sonde européenne TGO permet « d’explorer l’atmosphère comme jamais auparavant »
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Commentaires (1)
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Abonnez-vousLe 13/02/2021 à 12h46
Intéressant. La chimie atmosphérique de Mars semble assez complexe, il y a matière à étudier par la suite.
Souhatons bonne chance aux missions émitaties et chinoises !