De retour à la CEDH, la responsabilité pénale d’un élu pour des commentaires haineux sur Facebook
De la modération des commentaires
Le 02 février 2022 à 10h29
7 min
Droit
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La Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme va examiner le recours de Julien Sanchez, porte-parole du RN et élu d’extrême droite. Celui-ci avait été condamné au pénal en France pour ne pas avoir supprimé rapidement des commentaires xénophobes délestés sur sa page Facebook.
Julien Sanchez, maire RN de Beaucaire, était alors conseiller régional du FN dans le Languedoc-Roussillon. Le 24 octobre 2011, celui qui était aussi candidat aux élections législatives posta un message sur son compte Facebook qu’il gérait personnellement. « Alors que le FN a lancé son nouveau site Internet national à l’heure prévue, une pensée pour le Député européen UMP Nîmois [F.P.], dont le site qui devait être lancé aujourd’hui affiche en une un triple zéro prédestiné (...) ».
Deux utilisateurs se délestaient de commentaires xénophobes visant cet adversaire politique, l’eurodéputé Franck Proust, également premier adjoint au maire de Nîmes. Morceaux choisis : « Ce grand homme a transformé Nîmes en Alger, pas une rue sans son khebab et sa mosquée ; dealers et prostitués règnent en maître, pas étonnant qu’il est [sic] choisi Bruxelles capital du nouvel ordre mondial celui de la charia ».
Ces messages étaient restés « publics », et donc visibles de tous, sans que l’élu FN ne les modère. Simplement, invitait-il les intervenants le 27 octobre 2011 à « surveiller le contenu » de leurs commentaires. L’un des messages fut retiré néanmoins par son auteur dès la veille, mais non l’autre.
Par un jugement du 28 février 2013, le tribunal correctionnel de Nîmes condamna l’élu frontiste à une amende de 4 000 euros pour provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes, à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée. Une infraction réprimée par la loi de 1881 « sur la liberté de la presse ».
L’élu avait eu beau se défendre en rappelant qu’il n’était pas l’auteur de ces propos venus de tiers, outre qu’il n’avait pas le temps de surveiller ces commentaires, alors qu’il comptait alors 1 829 « amis » sur le réseau social. En vain. Il aurait dû agir « promptement » pour cesser la diffusion des messages. Faute de quoi, l’éditeur de la page devenait auteur principal des faits.
Le 18 octobre 2013, la cour d’appel de Nîmes confirma cette condamnation. L’amende fut légèrement réduite. Le 17 mars 2015, la Cour de cassation confirmait à son tour : « Le délit de provocation (…) est caractérisé lorsque, comme en l'espèce, les juges constatent que, tant par leur sens que par leur portée, les textes incriminés tendent à susciter un sentiment de rejet ou d'hostilité, la haine ou la violence, envers un groupe de personnes ou une personne à raison d'une religion déterminée ».
Pas d’atteinte à la liberté d’expression selon la CEDH
Le 2 septembre 2021, la Cour européenne des droits de l’Homme, saisie par l’élu frontiste, releva que des contenus litigieux étaient restés en ligne près de 6 semaines après leur publication.
Or, « si la possibilité pour les individus de s’exprimer sur Internet constitue un outil sans précédent d’exercice de la liberté d’expression, les avantages de ce média s’accompagnent d’un certain nombre de risques, avec une diffusion comme jamais auparavant dans le monde de propos clairement illicites, notamment des propos diffamatoires, haineux ou appelant à la violence »
Elle considérait alors que « les conclusions des juridictions internes étaient pleinement justifiées ». Pour la CEDH, « le langage employé incitait clairement à l’incitation à la haine et à la violence à l’égard d’une personne à raison de son appartenance à une religion, ce qui ne peut être camouflé ou minimisé par le contexte électoral ou la volonté d’évoquer des problèmes locaux »
L’élu frontiste « avait sciemment rendu public le mur de son compte Facebook et donc autorisé ses amis, soit 1 829 personnes au 25 octobre 2011 selon le tribunal, à y publier des commentaires ».
La CEDH releva en outre que les juridictions internes « en ont déduit que le requérant avait donc l’obligation de contrôler la teneur des propos publiés », et ce d’autant que le titulaire de compte « ne pouvait ignorer le fait que son compte était de nature à attirer des commentaires ayant une teneur politique, par essence polémique, dont il devait assurer plus particulièrement encore la surveillance »
Le 2 septembre dernier, la Cour de Strasbourg a donc jugé, par six voix contre une, qu’il n’y avait aucune violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui protège la liberté d’expression. Et pour cause, « la décision des juridictions internes de condamner le requérant, faute pour celui-ci d’avoir promptement supprimé les propos illicites publiés par des tiers sur le mur de son compte Facebook utilisé dans le cadre de sa campagne électorale, reposait sur des motifs pertinents et suffisants, eu égard à la marge d’appréciation dont bénéficie l’État défendeur ».
Une opinion dissidente, un recours devant la Grande chambre
Dans une « opinion » dissidente, la juge Mourou-Vikström regrettait néanmoins le sens de cette décision, en relevant qu’elle ferait à l’avenir peser sur le titulaire d’un compte Facebook « une obligation de contrôle très lourde, puisque des poursuites pénales le concernant sont en jeu ».
Le risque ? Que la crainte de sanction pénale transforme le titulaire d’un compte « en véritable contrôleur, et même en censeur des propos écrits sur son mur ».
Ainsi, « confronté à un doute quant au caractère litigieux d’un propos dont il n’est pas l’auteur, le titulaire du compte sera bien évidemment enclin à supprimer ou dénoncer un message au nom d’un principe de précaution. L’effet dissuasif est bien là et la liberté d’expression s’en trouve grandement menacée ».
Cette affaire ne va pas rester à ce stade puisque l’élu condamné a déposé un recours devant la Grande Chambre de la CEDH. Recours qui vient d’être jugé recevable le 17 janvier dernier. La Cour va désormais encourager « les parties à parvenir à un règlement amiable ». À défaut de terrain d’entente, elle procèdera à l’examen au fond, « c’est-à-dire qu’elle juge s’il y a eu ou non violation de la Convention », explique la juridiction.
Une responsabilité issue de la loi Hadopi
Cette série de décisions s’est appuyée sur une disposition aiguisée au détour de la loi Hadopi, première du nom. L’article 93 - 3 de la loi du 29 juillet 1982 fut en effet modifié par la loi 2009 afin de prévoir que :
« Lorsque l'infraction résulte du contenu d'un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s'il est établi qu'il n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message ».
En clair ? Ce nouveau régime a durci la responsabilité des éditeurs de sites que ce soit un blog ou une simple page Facebook. Celui aux manettes d’une telle page est responsable de la longue liste des infractions dites « de presse » commises par les contributeurs non modérés a priori.
Il est responsable au même titre que l’auteur des propos sauf s’il supprime « promptement » les contenus litigieux, lesquels n'ont pas besoin d'être manifestement illicites, et sans que le responsable de la page ait été alerté (ou « notifié ») suivant un formalisme particulier.
Lors que l’enquête, l’élu FN/RN avait déclaré qu’il consultait sa page « tous les jours », assurant que « de tels commentaires lui paraissaient compatibles avec la liberté d’expression ».
De retour à la CEDH, la responsabilité pénale d’un élu pour des commentaires haineux sur Facebook
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Pas d’atteinte à la liberté d’expression selon la CEDH
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Une opinion dissidente, un recours devant la Grande chambre
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Une responsabilité issue de la loi Hadopi
Commentaires (9)
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Abonnez-vousLe 02/02/2022 à 07h53
Et les auteurs des messages en question ? Eux ne sont pas inquiétés ?
On palabre sur le fait de supprimer les messages illicites, mais pas sur cette illicéité
Quand le sage montre la xénophobie, l’idiot regarde le doigt.
Le 02/02/2022 à 08h20
non……………rien (à dire) !
Le 02/02/2022 à 09h05
Oups
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Sinon je ne vois pas l’incitation à la haine dans la citation du premier message, c’est dans la version longue ?
Le 02/02/2022 à 16h49
Je pense que présenter la présence d’un groupe de personne bien identifié comme un problème, est un appel au rejet de ce même groupe.
S’il avait dit :
“Ce grand homme a transformé Nîmes en Jérusalem, pas une rue sans son resto casher et sa synagogue ; dealers et prostitués règnent en maître, pas étonnant qu’il est [sic] choisi Bruxelles capital du nouvel ordre mondial celui du talmud »
Tu aurais trouvé ça antisémite par exemple ?
Le 02/02/2022 à 10h45
Même pas illicites, mais potentiellement. Tant que ce n’est pas confirmé par un juge, l’illicéité n’est pas forcément clairement établie…
Le 02/02/2022 à 12h55
La complicité est un concept tombé en désuetude ?
A quoi bon republier une connerie dans ce cas ? Accusons plutôt les tous premiers lecteurs de ces commentaires de n’avoir rien dit alors que leur machine personelle affichait ces injures. Après tout il faut être dans le so called manifeste…
Ce type de décision montre d’abord l’incohérence du droit et les lourds biais qu’il permet car avec un minimum de clairevoyance électorale, cette décision se classe dans la catégorie des ostracismes acceptables. Une manière polie de retourner les compliments de l’accusé contre le droit en oubliant la paille de ce dernier et les trois oncles.
Le 02/02/2022 à 12h32
Il manquait un B à CEDH.
Maintenant, on peut dire qu’on en est sûrs.
Le 03/02/2022 à 12h17
Du coup, le dernier reportage de M6 sur Roubaix, c’est condamnable ?
Le 03/02/2022 à 14h11
Une question après l’autre, j’ai posé la mienne en premier :)