« Sans maîtrise de l’espace, pas de souveraineté » pour la France et l’Europe
Plus d’explorations, moins de touristes
Le 17 février 2022 à 11h16
12 min
Sciences et espace
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La petite phrase est signée Emmanuel Macron, durant son discours sur la stratégie spatiale européenne. Le Président cible large en évoquant course à l'armement, exploration, vols habités, souveraineté… Sur ce dernier point, il s’est montré intraitable envers les « non européens »… oubliant un peu vite le Health Data Hub.
Hier, les dirigeants européens se sont rencontrés à Toulouse pour affirmer leur volonté commune « de travailler en étroite collaboration pour propulser l’Europe en position de leader mondial de l’Espace ». Comme avec les géants du Net, l’Europe est pour le moment prise en tenaille entre le continent américain (États-Unis) d’un côté et asiatique de l’autre (Chine, Japon, Inde).
Trois « accélérateurs » étaient à l’honneur : l'espace pour un avenir vert, une réponse rapide et résiliente aux crises, ainsi que la protection des actifs spatiaux. La Commission européenne avait pour rappel déblayé le terrain la veille avec sa « boussole stratégique » dont le but est notamment de « faire face aux menaces actuelles et futures ».
Emmanuel Macron en mode « Pirelli »
De son côté, Emmanuel Macron en a profité pour faire un discours sur la stratégie spatiale française et européenne. Dans son introduction, la question de la souveraineté était centrale :
« Sans maîtrise de l’espace, en effet, pas de souveraineté technologique. L’accès à Internet, la navigation par satellite, tout cela dépend en grande partie de l’espace. Sans maîtrise de l’espace, pas de souveraineté industrielle et économique au-delà des dizaines de milliers d’emplois […] Sans maîtrise de l’espace, pas d’avancée scientifique ni de connaissance fine des grands enjeux environnementaux et climatiques. Sans maîtrise de l’espace, pas de souveraineté stratégique et militaire ».
De la maîtrise des réseaux de communication à l’observation des mouvements des différentes armées sur la planète, « le spatial est devenu aussi un des nouveaux lieux des conflictualités contemporaines ». Un discours parfaitement aligné sur celui de la Commission européenne
Pour le Président de la République, « sans maîtrise de l'espace, il n’existe pas au fond de puissance complète capable tout à la fois de maîtriser pleinement son destin et de conquérir de nouvelles frontières. Pour toutes ces raisons, l'espace est une priorité de la présidence française mais aussi car la France est, de manière concomitante, co-Présidente du Conseil de l'Agence spatiale européenne avec le Portugal ».
L’Europe a loupé plusieurs « tournants stratégiques »
Emmanuel Macron a évoqué les réussites française et européenne avec les missions Copernicus et Galileo, non sans vanter les mérites des centres de recherches (CEA, CNRS, CNES, DLR, ASI…), ou des personnalités comme Thomas Pesquet. « Néanmoins, ces réussites ne doivent pas nous interdire de faire preuve de lucidité […] L'Europe a aussi manqué ces dernières années, certains tournants stratégiques, notamment dans les lanceurs, en sous-estimant des émergences très rapides de certains de nos concurrents ».
Les États-Unis, Chine et Russie devancent ainsi l'Europe en termes de nombre de lancements, où une société comme SpaceX explose les compteurs : 31 lancements en 2021 et une cinquantaine prévus pour cette année. « D'autres, comme le Japon, l'Inde, l'Iran, la Corée du Sud, se sont engagés avec beaucoup de force dans la course » et sont pour certains en train de largement réinvestir.
« SpaceX, Blue Origin ne sont hélas pas européens. Et ils ont fait des paris et ils ont su marier, ce qui est un modèle d'ailleurs dont nous devons nous inspirer, des moyens publics importants, des agences et des organismes de recherche publics et la vélocité d'acteurs privés émergeants ». La Commission européenne a récemment mis les bouchés doubles avec de nouveaux financements pour les acteurs émergents.
Des retards sur « la course à l'armement spatial » et le réutilisable
« Nous avons pris du retard dans la course à l'armement spatial »… Le mot armement est lâché, il n’est donc pas question de surveillance seulement. Comme déjà expliqué à plusieurs reprises, l’espace est de moins en moins un havre de paix avec des jeux d’espions et des démonstrations de forces.
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Emmanuel Macron revient à la charge sur un « buy european act » lui aussi déjà mille fois évoqué, mais jamais concrétisé pour le moment : « Il est plus que jamais nécessaire d'appliquer une préférence européenne pour le lancement de satellites institutionnels comme le font nos concurrents. Et là, je le dis très clairement : il n'y a pas de politique industrielle et de recherche, si l'Europe est la seule puissance naïve, c'est-à-dire la seule puissance qui n'impliquerait pas un principe de préférence pour elle-même ».
Il souhaite aussi que l'Europe prenne « pleinement le virage des mini et micro-lanceurs réutilisables », avec des investissements publics et privés dans les technologies de rupture… enfin SpaceX a déjà « rupté » le marché depuis plusieurs années, Blue Origin est d’autres acteurs américains sont en embuscade.
Emmanuel Macron semble ne pas savoir sur quel pied danser puisque, en plus de se lancer en retard dans la course avec les acteurs du New Space (réutilisable, micro-lanceur), il soutient qu’il « faut continuer à aller de l'avant, pas en cherchant à rattraper notre retard, mais en pensant à l'étape d'après, en visant la frontière technologique ».
Citée dans un rapport sénatorial, la direction générale de l’armement expliquait il y a quelques années que « le lanceur réutilisable n’est pas une solution de 2030, mais de 2018. Il faut viser l’étape d’après, car, en 2030, SpaceX ou ses successeurs seront vraisemblablement passés à autre chose ». Chez SpaceX, ce futur s’appelle Starship, une fusée entièrement réutilisable et modulable.
Comme la Commission européenne, Emmanuel Macron estime que « l'Europe doit prendre sa part dans la révolution des constellations. C'est une question de souveraineté et d'efficacité ».
Souveraineté des données de santé… quid du Health Data Hub ?
« Qui peut imaginer, parce que nous n'aurions pas une constellation européenne, de fait, nous décidions de déléguer la maîtrise des données de circulation ou la maîtrise des données de santé des Européens à d'autres puissances. En tout cas à des acteurs qui, étant non-européens, ne peuvent pas être régulés par le droit européen »… mais alors comment expliquer le choix du Health Data Hub consistant à faire héberger des données de santé chez Microsoft, acteur lui aussi soumis au droit américain ?
Il y a aussi la question du cloud de confiance : des sociétés européennes proposent sous licence des solutions américaines : « Nous avons donc décidé que ces meilleures entreprises de services américaines, je pense en particulier à Microsoft ou Google, pourraient licencier tout ou partie de leur technologie à des entreprises françaises ». Le changement serait-il enfin pour maintenant ?
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Quoi qu’il en soit, « il y a urgence » pour le Président sur la question des constellations, puisque le nombre de celles « pouvant être déployées est réduit. Moins d'une dizaine, sans doute ». En cause, l’encombrement des orbites basses et les risques de collisions.
La France « sera au rendez-vous de cette révolution » affirme-t-il : « D'abord en mettant à disposition de l'Union l'actif précieux que représentent les assignations prioritaires de fréquences dont elle dispose. Ensuite, en se lançant elle-même dans sa part d'investissement et dans les prochains jours dans le cadre de France 2030, deux appels pour mobiliser les acteurs, porteront justement des projets innovants en la matière ».
Une « capacité d’action dans l’espace exo-atmosphérique »
La France doit devenir/rester (tout dépend des points de vues) une des grandes puissances militaires dans l’espace. « Avec notre stratégie spatiale de défense qui acte plus de 5 milliards d’euros d’investissement jusqu’en 2025 nous avons ajouté aux missions classiques d’observation, de télécommunication et d’écoute, une véritable capacité d’action dans l’espace exo-atmosphérique ».
Emmanuel Macron souhaite ainsi que des « éléments de doctrine claire » soient adoptés au niveau international, afin d’avoir « le cadre nous autorisant la meilleure réactivité possible ». Il rappelle en effet que « l'agressivité et peut-être les sujets de conflits ou les provocations se multiplieront » dans le futur. « Notre ambition en la matière est sans agressivité, mais sans naïveté ».
L’espace, une zone de non-droit ?
Le locataire de l'Elysée souffle en outre le chaud et le froid lorsqu'il explique que « l'enjeu est aussi de faire de l'espace un lieu de protection d'un bien commun par la promotion de standards de régulation ». La gestion du trafic est donc une des priorités. « Nous définirons un modèle européen de la gestion du trafic spatial qui sera notre base de négociation d'un accord de niveau international »… Mais encore faut-il que des pays comme les États-Unis et la Chine qui misent des milliards sur l’espace acceptent de jouer le jeu.
La France veut « faire en sorte que les attaques ne se dissimulent plus, comme c'est le cas actuellement, derrière des prétextes de collision et de dysfonctionnements. L'Espace, en effet, ne peut pas être une zone de non-droit. Nous avons trop d'intérêts en jeu sur le plan économique, sur le plan souverain de la continuité du fonctionnement de beaucoup de nos services publics ou sur le plan militaire ». En creux, on comprend qu’il est question de la destruction d’un satellite russe par un missile russe.
Actuellement, « nous sommes dans une logique de faits où s'imposent parfois, les provocations, les actes unilatéraux, en tout cas, les choix faits par certains et en quelque sorte, nous les subissons et réagissons. Il nous faut donc construire ce cadre de régulation », sans céder à l’escalade de la guerre froide.
Plus d’écologie et de voyages habités, moins de touristes
Enfin, dernier point mis en avant par Emmanuel Macron : « la maîtrise de l’espace peut-être un levier décisif pour mesurer, et ainsi tenter de baisser les émissions de gaz à effet de serre. Non seulement parce qu’elles permettent de mieux connaître l’état de la biosphère, en mesurant par des capteurs l’état des océans, des glaces, des eaux douces, des couches de l’atmosphère mais ensuite parce qu'elles permettent de suivre l’évolution du grand réchauffement ». La surveillance est large, elle dépasse largement nos frontières : grâce à Copernicus « nous avons pu détecter des émissions de gaz à effet de serre que d'autres puissances ne souhaitaient pas révéler », affirme Emmanuel Macron.
Le Président de la République en profite enfin pour tacler SpaceX, Virgin Galactic, Blue Origin et d’autres sociétés qui misent sur le tourisme spatial : « le modèle spatial viable n'est pas celui de l'exploitation, n'est pas celui de l'augmentation du nombre de touristes spatiaux pour des milliers, voire des millions de dollars, pas plus que le seul horizon n'est l'exploitation minière de la lune. Nous, Européens, cultivons en effet une certaine idée de l'espace comme un regard décentrant sur le monde et sur la condition humaine, comme un bien commun qui doit être utile à tous ». Aurait-il le même discours si ces acteurs du New Space étaient français ?
Les vols habités sont largement mis en avant par le Président… mais pas la destination finale. L’Europe est partenaire de la NASA pour le retour des humains sur la Lune, mais tous les yeux sont d’ores et déjà tournés vers Mars. Qui sera le premier à se lancer dans l’aventure et surtout à arriver à bon port ?
- Les fortes ambitions de la Chine pour Mars : aller-retour fin 2030, missions habitées dès 2033
- SpaceX : Elon Musk prévoit un vol vers Mars en 2022, puis avec des humains dans 4 ou 6 ans
SpaceX et l’agence spatiale américaine ne cachent pas leur ambition, pas plus que les Chinois et les Européens. « Visons-nous la Lune, où les Chinois retourneront prochainement, puis Mars, que visent les Américains ? Il nous faut là aussi anticiper un positionnement européen pour une première mission internationale humaine vers Mars prochainement à la fin de la prochaine décennie. Visons-nous des coopérations, à la lumière de l’ISS, ou l’autonomie stratégique en la matière ? », se questionne Emmanuel Macron.
Réponse dans les mois et les années à venir. Un conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne se tiendra en novembre 2022, cela permettra certainement d’y voir plus clair.
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Commentaires (8)
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Abonnez-vousLe 17/02/2022 à 12h05
Sur le parallèle entre le health data hub & cette news, je ne vois pas en quoi cela étonne désormais.
Ca fait un certain temps qu’on a des dirigeants (pas que Macron, et pas que en France) qui peuvent dire une chose et leur contraire dans la même journée, voire la même phrase, et tout le monde applaudi. C’est la novlangue dans toute sa logique.
Mais comme personne ne remets ces paroles en questions, ni ne leur expose la vacuité de la logique pour ne pas heurter le prince, bah on fait juste n’importe quoi.
Pour moi ce n’est que de l’incompétence et du clientélisme politique, et ça existe depuis la nuit des temps , donc on vit avec, mais laborieusement.
Sur le fonds de la news je ne sais pas quoi en penser : On est en train de réfléchir à explorer l’espace (ce qui scientifiquement est très valorisant & intéressant) pendant qu’on explique dans le même temps que l’écosystème planétaire ne pourra plus assurer la vie humaine d’ici quelques décennies. Si encore on avait l’espoir d’émigrer sur une planète accueillante, pkoi pas, mais en l’état actuel de nos connaissance c’est pas trop jouable..
J’hésite entre des oeuillères ou un baroud d’honneur.
Le 17/02/2022 à 12h31
Le gros greenwashing.
Franchement autant les arguments de souveraineté sont indiscutables, autant ceux sur l’écologie, comment dire…
Le 17/02/2022 à 14h07
Au lieu de continuer à dépenser de l’argent inutilement dans la guerre, les armes, les armées, ne seraient -il pas judicieux de s’en servir pour approfondir nos connaissances pour aller plis loin dans l’immensité de l’espace.
La station internationale où Thomas Pesquet est allé en balade quelques mois. C’est gentil mais ça sert pas à grand chose ou alors on nous explique pas ce qu’ils y font.
Une fusée pour touriste c’est bien parceque ça amuse les riches et ça reinjecte du cash pour faire autre chose
Le 17/02/2022 à 14h19
Vu les tensions qu’il y a aujourd’hui dans le monde, pas sûr que se défaire de toute sa force armée soit la meilleure idée.
Tu n’as pas reçu le livret explicatif dans ta boite aux lettres ? Si tu veux de l’information, il faut aller la chercher… https://missionalpha.cnes.fr/fr/mission-alpha/la-mission-alpha/programme-bord
Le 21/02/2022 à 10h21
Malheureusement non j’ai rien reçu dans ma boîte aux lettres !!!
C’est pas tant les expériences que le coût exhorbitant pour tout ça. As t’on des retombées, des inventions.
Je connais le micro-onde, les couvertures de survie mais rien d’autres.
Est ce que ça va sauver l’humanité ? Va t’on progresser pour être plus responsable de notre planète ?
Developpe t’on des énergies verte et durables ?
As t’on trouvé des remèdes contre des maladies grave ?
Que font-ils de concret qui est reproductible ici et utile ?
Le 18/02/2022 à 15h22
Il est vrai malheureusement qu’ils ne sont pas à une aberration écologique près…Hélas
Le 19/02/2022 à 11h03
La “souveraineté” est un concept national, lié à un peuple. Or il n’y a pas de peuple européen, mais 27 pays différents, dont un bon nombre qui se détestent entre eux, et qui n’auront jamais les mêmes intérêts géopolitiques et géostratégiques. Ça l’air d’un détail pris dans l’article, mais ça n’en est pas un : ça démontre bien que nos eurofascistes, après avoir trahi notre référendum de 2005, sont tellement pris par leur dogme (car oui : l’UE est la religion de ces débiles), qu’ils n’ont tout simplement plus les pieds sur terre…
Ça pue le discours du banquier qui ment effrontément à son client, en oubliant que si la situation terrestre à permis aux GAFAM d’envahir l’UE, c’est d’abord et avant tout parce que cette même UE s’est laissée faire, déroulant le tapis rouge à l’envahisseur !
Bref : il n’y aura pas plus de souveraineté dans le spatial avec l’UE qu’il n’y en a sur terre. Gallileo se sert à rien puisqu’il n’y aura jamais de défense européenne, l’article 42 du TUE nous l’interdisant de fait.
Quant à airbus et arianespace, ils existaient avant Maastricht - et ces consortiums industriels d’avoir prouvé qu’on peut parfaitement vivre et se développer hors UESS, comme tous les autres pays du monde.
Le 22/02/2022 à 17h43
Le néologisme passe à côté de l’original :
« Ils sont partis du texte du traité constitutionnel, dont ils ont fait éclater les éléments, un par un, en les renvoyant, par voie d’amendements aux deux traités existants de Rome (1957) et de Maastricht (1992). (…) La conclusion vient d’elle-même à l’esprit. Dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes. Seul l’ordre a été changé dans la boîte à outils. La boîte, elle-même, a été redécorée, en utilisant un modèle ancien, qui comporte trois casiers dans lesquels il faut fouiller pour trouver ce que l’on cherche »