Télescope James Webb : dans les entrailles de l’instrument MIRI, développé en Europe
Il est mirifique
Le 17 mars 2022 à 14h11
10 min
Sciences et espace
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Au sein du James Webb télescope, la France a largement participé à la mise au point de l'instrument MIRI, dont un jumeau se trouve au CEA, dans la région parisienne. Sur place, des chercheurs nous ont expliqué son importance et leurs attentes. Roue crantée, coronographie et Trappist-1 sont notamment au programme.
Après des années d'attente, le James Webb Space Telescope a décollé fin décembre pour se rendre au point de Lagrange L2. Tout s'est parfaitement déroulé, avec un placement sur une trajectoire aux petits oignons par Ariane 5 qui permettra au télescope d'avoir une durée de vie plus longue que prévue.
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Tout va bien pour le James Webb
Désormais arrivé a sa destination, l'équipe en charge du JWST prépare et vérifie les instruments pour débuter les opérations scientifiques. Cette mise en place dure six mois environ et devrait s'achever fin juin. La Science – avec un grand S – pourra alors débuter.
Des étapes critiques d'alignement des miroirs viennent de se terminer avec succès. La NASA et l'ESA s’attendent « à ce que les performances optiques de Webb soient en mesure d’atteindre ou de dépasser les objectifs scientifiques pour lesquels l’observatoire a été construit ».
Quatre instruments sur le James Webb
En octobre, nous avions évoqué les enjeux et attentes de la communauté autour du télescope spatial James Webb, et ils n'ont évidemment pas changé depuis. Le satellite embarque pour rappel quatre instruments regroupés au sein d'ISIM (Integrated Science Instrument Module).
Sur le site officiel JWST.fr (développé par le CNES, le CEA et le CNRS), les chercheurs rappellent qu'« intégrer quatre instruments majeurs et de nombreux sous-systèmes dans une seule charge utile est une tâche ardue. Pour la simplifier, les ingénieurs ont divisé l’ISIM en trois régions ». Les quatre instruments ont des zones d'observations différentes et ne regardent pas le même point dans le ciel. Certains peuvent en revanche fonctionner en parallèle et des zones peuvent se recouper pour certains besoins. Tous les détails se trouvent ici.
Aujourd'hui nous allons nous attarder sur un des deux instruments développés en partenariat avec l'Agence spatiale européenne et la France : MIRI (Mid InfraRed Instrument) qui est le seul à observer dans l'infrarouge. James Webb embarque aussi le spectrographe NIRSpec, la caméra NIRCam et le spectographe NIRISS qui s'intéressent pour leur part au proche infrarouge.
Il y a quelques mois, nous nous étions rendus au CEA et avions discuté avec les scientifiques travaillant sur l'instrument MIRI. Nous avions également eu droit à une présentation de son « jumeau » resté sur Terre, dans les locaux du Centre de recherche à Saclay.
Baisser la température pour éviter les « courants d'obscurité »
Comme nous l'avons déjà expliqué, ajouter l'instrument MIRI n'a pas été une mince affaire puisqu'il nécessite d'être dans un environnement froid pour offrir de bonnes performances. La température doit être descendue à 7 K (kelvins) seulement, soit - 266 °C. Sans jeu de mot, cela a un peu refroidi la NASA au départ, mais un accord a finalement été trouvé.
Baisser la température est important pour éviter un « courant d'obscurité » et donc améliorer la précision. Même « sans lumière, plus un détecteur est chaud, plus il a de l'agitation et donne du signal », rappelle un des chercheurs. La température de 7 K n'est pas fixée au hasard, elle est « déterminée par le détecteur ».
Ce n'est pas tout, car il faut tenir compte d'une autre réalité de la physique : « tout corps rayonne ». Afin de ne pas venir perturber les mesures, le reste de l'instrument devait être à une température de 20 K maximum, mais « en réalité, on met tout à la même température de 7 K ».
Trois modes de fonctionnement
Pour revenir à MIRI, cet instrument est en fait « constitué de deux composantes indépendantes : MIRIM (imageur, spectrographe de basse résolution et coronographes) et MRS (spectrographe de moyenne résolution à "Intégrale de Champs") ».
Le fonctionnement de MRS est expliqué dans l'image ci-dessous :
Principe de fonctionnement de MRS. Crédits : JWST.fr
MIRIM dispose de trois modes de fonctionnement, nous explique Pierre-Olivier Lagage, responsable scientifique du CEA et premier investigateur associé :
- « imagerie » pour photographier le ciel,
- « spectrographie » pour décomposer la lumière et chercher la signature d’éléments et molécules cosmiques,
- « coronographie » pour occulter (ou « éteindre ») une source lumineuse (une étoile par exemple) afin de mieux observer son voisinage sans être ébloui.
Une roue à filtres pour multiplier les possibilités
Pour profiter des modes différents sur différentes longueurs d'ondes au sein d'un seul instrument, les chercheurs ont développé une roue à filtres.
Elle permet de choisir entre 15 traitements de la lumière (certains filtres sont doublés pour renforcer la fiabilité) qui est reçue par le télescope Webb : « Dix filtres à bande passante large sont ainsi disponibles pour l’imagerie classique, 4 filtres pour la coronographie et un prisme double pour le spectrographe basse résolution ». Les coronographes (fournis par le Lesia) « sont d'une technologie qui n'a jamais volé jusqu'ici », précise-Pierre-Olivier Lagage.
Dans la vidéo ci-dessous on peut voir les quatre masques coronographiques : 3 masques de phase 4QPM sur la gauche et un masque de Lyot un peu plus grand sur la droite. Ils sont tous les quatre positionnés au niveau de l'entrée de la source de lumière.
Les trois premiers masques – que l'on voit en gros plan sur cette photo – se composent de quatre cadrans, explique le Lesia (Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation) :
« En centrant l’image d’une étoile sur un 4QPM, l’énergie diffractée est rejetée en dehors de la pupille géométrique du système. Un diaphragme placé dans le plan pupille permet de bloquer le flux de l’étoile. En revanche, une planète angulairement proche de l’étoile ne sera pas centrée sur le 4QPM et ne subira pas cet effet. Une grande partie de son flux passera par la pupille géométrique sans être bloquée par le diaphragme ».
En gros, cela permet de supprimer la lumière de l'étoile pour se concentrer sur ce qui se trouve autour, des exoplanètes notamment.
MIRI a quatre objectifs : les exoplanetes, l'univers lointain, la formation d'étoiles et l'évolution des galaxies. Dans le cas des exoplanètes, les chercheurs nous expliquent que le but de MIRI « n'est pas d'en chercher de nouvelles, mais de passer à la deuxième phase : étudier leur atmosphère », « même si on pourrait en détecter de nouvelles », ajoutent-ils. La suite est déjà prévue avec la mission Ariel de l'ESA, qui sera dédiée à cette étude et ira beaucoup plus loin.
Un des scientifiques nous explique pourquoi cette recherche est importante : « c'est dans l'atmosphère des exoplanètes qu'on peut espérer un jour voir des biosignatures ». Wikipédia rappelle qu'il s'agit d'une « trace chimique (substance organique sous forme d'élément, de molécule…) ou une trace physique qui peuvent être préservées dans le sol, dans un gaz accumulé dans l’atmosphère, ou être issues de tout processus dont la seule explication raisonnable est la présence, à un moment donné au cours de l'histoire, d’une forme de vie ».
La singularité de Trappist-1
Parmi les milliers d'exoplanètes que nous connaissons déjà, Trappist-1 est souvent revenue dans les discussions. Nous avons demandé pourquoi aux chercheurs et s'il n’était pas possible de trouver prochainement une meilleure candidate.
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Dans ce cas serait-il possible de changer de cible en cours de route ? Ils nous expliquent que c'est très peu probable :
« Les étoiles ultras froides sont particulièrement intéressantes pour James Webb, car il est dans l'infrarouge, et pour les planètes tempérées ce sont vraiment les étoiles à regarder.
On a regardé toutes les étoiles ultras froides autour de nous. Si on trouvait une planète en zone habitable, on a calculé quel serait le rapport signal/bruit et s'il serait ou non meilleur que celui de Trappist-1. Il n'y a que 43 étoiles pour lesquelles il pourrait être meilleur, mais nous n'avons pas trouvé d'exoplanètes autour de ces 43.
Et c'est très peu probable qu'il en ait sept, dont trois en zones habitables comme Trappist-1 et qu'elles soient en résonnance si parfaite et qu'on puisse trouver leur masse. Avec Trappist-1 tout s'aligne [...] il est très peu probable de trouver mieux ».
Une cuve cryostatique sur Terre pour les tests
Lors de notre visite, nous avons également pu voir la cuve dans laquelle les instruments sont plongés dans le laboratoire afin de « reproduire les conditions réelles » de l'espace, ou du moins s'en approcher au maximum. « On va baisser la pression, on va faire le vide - le vide complet n'existe pas, on va faire du mieux qu'on peut - et on va baisser surtout la température pour arriver à celle de fonctionnement de l'instrument », c'est-à-dire 7 K dans le cas de MIRIM.
Il s'agit d'un système de refroidissement avec de l'hélium ou de l'azote liquide dans un cycle fermé, nous précisent les scientifiques. Ensuite, les chercheurs vont fabriquer « un chemin optique qui va apporter de la lumière et éclairer le détecteur » : « On va simuler une étoile en laboratoire », et si besoin le transit d'une exoplanète devant cette étoile.
Et des tests, les chercheurs ont pu en faire... beaucoup plus que prévu puisque l'instrument a déjà plusieurs années au compteur. Sa réalisation a débuté en 2004 et cela fait plus de 10 ans qu'il a été livré. Les scientifiques ont donc eu des années pour effectuer leurs simulations et ainsi estimer le bruit qui en résultera.
Ce sera un avantage indéniable lors que les premières données arriveront, car les informations cherchées sont très discrètes et cachées dans le bruit de fond. Dans la course à la publication, les chercheurs qui travaillent sur l'instrument auront donc une longueur d'avance. Les scientifiques précisent que malgré les années de préparation, il faudra s'adapter à la situation finale puisqu'il y aura « d'autres sortes de bruit, notamment les rayons cosmiques ».
Nous demandons enfin comment vont se passer les transmissions de données : elles se feront « deux fois par jours, avec 8 h de transmission » à chaque fois. En cas de problème, il ne sera donc pas possible de « corriger une observation en temps réel » et la latence pourra atteindre 8 h. La quantité de données attendue est de 1 To par jour environ.
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Baisser la température pour éviter les « courants d'obscurité »
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Une cuve cryostatique sur Terre pour les tests
Commentaires (12)
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Abonnez-vousLe 17/03/2022 à 14h14
La mission ExoMars suspendue suite à l’arrêt de la coopération avec la Russie, annonce l’ESA
Le 17/03/2022 à 14h59
Là on a du détails et j’ai presque tout compris, merci pour cet article !
Le 17/03/2022 à 15h06
Le 17/03/2022 à 15h32
.JAR merci pour l’article, très interessant
Le 17/03/2022 à 16h22
Matériel de très haute précision valant des dizaines de millions :
Le 17/03/2022 à 16h28
Oui moi aussi j’ai tiqué sur le scotch alu
Le 17/03/2022 à 17h36
Il me semble que le matériaux avec lequel le bouclier thermique déployable du JWST est fait est facilement trouvable dans le commerce aussi.
C’est vrai que c’est toujours amusant de voir ces combinés de high et low tech
Le 18/03/2022 à 11h25
Le matériau qui compose le bouclier thermique du James Webb est du Kapton, comme le bout de scotch sur la photo :)
Le 17/03/2022 à 16h57
” La quantité de données attendue est de 1 To par jour environ.”
ça fait près de 140 Mb/sec de signal utile (16h/24) pour une sonde à 1.5 millions de km…
Un article parlait de 24 Mb/sec de capacité de transmission: Ça me semblait déjà énorme !
Ou bien (plus vraisemblable) la différence vient d’une compression des données attendues…
Le 17/03/2022 à 19h32
Et ils ne vont pas en perdre une miette !
Le 21/03/2022 à 22h51
La commission copie privée doit penser à faire payer le stockage locale
Le 23/03/2022 à 03h05
Pour parodier Jack Lang: “Quel beau projet…”!
Tel un gosse depuis que j’ai vu la photo de mise au point des miroirs, je trépigne d’impatience en attendant les premières vraies observations scientifiques inédites que ce télescope va permettre, à mon humble avis on n’est pas au bout de nos surprises concernant l’univers profond vu en infra-rouge !