Avec ses podcasts, Slate compte combler les manques de la radio
Une initiative très audible
Le 30 août 2016 à 13h36
9 min
Internet
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Ce mois-ci nous avons décidé de nous pencher sur le secteur des podcasts, qui connait un regain d'intérêt, et à son modèle économique. Pour commencer ce dossier nous avons décidé d'analyser le cas de Slate.fr qui a lancé sa nouvelle offre audio en juin. Inspirée des succès américains du domaine, elle doit aider le site à diversifier ses contenus.
Le renouveau promis des podcasts attire les médias web généralistes. À la mi-juin, Slate.fr a inauguré sa nouvelle offre audio avec le lancement de Transfert, des récits de vie, et de Titiou, Nadia et les sales gosses, une émission sur la parentalité. Le but affiché : développer de nouveaux formats, dans la continuité du style Slate, qui se veut très personnel.
« Les auditeurs ont un lien très intime avec la radio. On sait qu'en France, le média dans lequel les gens ont le plus confiance est la radio, avec lequel ils développent un lien très intime. On est dans une crise médiatique, avec une méfiance grandissante. Les podcasts nous permettent de raconter le monde en suscitant la confiance et l’adhésion » nous explique Charlotte Pudlowski, rédactrice en chef adjointe de Slate, en charge des podcasts.
Alors que les initiatives se multiplient aux États-Unis, le paysage du podcast généraliste en France reste dominé par les rediffusions d’émissions radio. Pour Slate, il y a un espace à combler en jouant sur le ton propre au site, qui n’existe que peu sur les stations classiques, et des personnalités fortes parmi ses journalistes. Il s’agit donc de traiter de questions de sociétés laissées de côté par la radio, ce que cible également le projet Binge Audio de Joël Ronez.
Slate et « culture du gratuit » obligent, les émissions sont diffusées librement, sur le plus de plateformes possibles. Pour se le permettre, le site s’est associé à Audible, la plateforme américaine de livres audio d’Amazon, habituée à soutenir ce type de projets.
Serial et le renouveau du format radio
Reste que l’intérêt premier de ces podcasts est éditorial, martèle Charlotte Pudlowski, qui porte l’initiative. Elle a été largement inspirée par le succès de Serial outre-Atlantique. Dans cette série, la journaliste Sarah Koenig raconte son enquête sur la mort d’une étudiante en 1999, soulevant des points oubliés par la justice. La première saison a été qualifiée de révolution aux États-Unis, pour son format et le ton de l’enquête.
Slate s’estime donc parfait pour reprendre ce flambeau. « Par notre héritage américain, on a cette culture du récit à la première personne », habituel aux États-Unis mais peu présent en France, explique Charlotte Pudlowski. Dans un long article, elle souligne d’ailleurs l’impact énorme de Serial outre-Atlantique, qui a contribué à faire connaître la pratique à une majorité d’Américains.
L’idée d’un podcast lui est d’abord venue en lisant l’histoire d’un enfant de musulmans, à qui l’école aurait demandé de jouer le rôle d’un frère Kouachi dans une pièce. Pour Pudlowski, l’affaire « illustre le rapport actuel à la religion, la circulation des rumeurs, le rôle de l'école » et méritait un reportage audio long, en plusieurs épisodes. Las, le site n’a pas de moyens à consacrer au projet, qui était voué à tomber aux oubliettes.
La publicité pour financer les podcasts
Il fallait donc trouver des financements. Proposer un podcast payant ? Hors de question pour Slate, pour qui un éventuel podcast doit compléter l’offre éditoriale, toujours gratuite. De même, elle n'a pas d'argument suffisant pour justifier une offre payante. La publicité semblait donc être la solution logique, d’autant que les principaux podcasts outre-Atlantique se financent de cette manière. Le New York Times lui-même a financé une enquête sur les femmes en prison avec Netflix.
« Avec le service publicité, on s'est arrêté sur les services de livre audio, avec lesquels il ne peut pas y avoir de conflit d'intérêt » explique Pudlowski, qui a fini par conclure un accord avec Audible au bout de plusieurs mois, sur un champ plus large que le premier podcast envisagé, qui deviendra la base de Transfert. La société, détenue par Amazon, finance très régulièrement des podcasts et vidéos sur Internet, avant tous américains.
« On a discuté avec d'autres gens qui nous demandaient de ne pas parler de religion, de politique, de sexualité... On leur a répondu que c'est mal connaitre Slate. C'était inenvisageable pour un média » poursuit la responsable. Au contraire, Audible éviterait toute ingérence, apposant simplement son message sur l’émission. Les écoutes des premiers épisodes par la société se seraient déroulées sans accroc.
Un format et des libertés
« On ne nous a pas mis de pression sur l'audience » ajoute la journaliste Nadia Daam, qui co-anime le podcast Titiou, Nadia et les sales gosses avec Titiou Lecoq. Pour elle, produire un podcast lui offre une liberté inégalée en termes de contenu, et de longueur. Les deux animatrices choisissent les sujets, les invités et les questions, sans refus de Slate pour le moment.
« On a une marge de manœuvre plus importante que sur tout ce que je fais par ailleurs, que ce soit à l’écrit, à la télé ou en radio. C'est le seul format sur lequel je travaille où tu peux discuter quasiment une heure avec quelqu'un » détaille la journaliste, qui semble toujours étonnée d’avoir pu commencer un pilote sur la trisomie, plutôt que sur un sujet plus « sexy ». Le montage se veut d’ailleurs minimal.
Le lien avec l’auditeur passe notamment par le début d’émission, réservé au quotidien des deux journalistes. « Titiou et Nadia sont des personnalités très fortes, appréciées des lecteurs de Slate, avec un rapport très particulier à la parole. Elles portent le sujet de la parentalité, qui n'est pas très présent à la radio française » commente Charlotte Pudlowski, qui rappelle qu’il s’agit d’un sujet habituel de Slate.
L’organisation d’une de ces émissions peut prendre une dizaine de jours, entre le choix du sujet, de l’invité et des questions. L’enregistrement se déroule sur une demi-journée, sans pression immédiate de temps. L’actualité n’est pas non plus un impératif, même si elles y ont réfléchi. « On n'y arrive pas. Avec les podcasts, on n'est pas forcées de coller à l'actualité. L'idée, c'est de parler de quelque chose dont on a envie de parler et d'inviter des personnes que l'on a découvert. Cela doit vraiment fonctionner à l'envi » estime Nadia Daam, qui est « tombée » récemment dans cet univers.
Une diffusion et des coûts
Les premiers épisodes des podcasts ont généré environ 20 000 écoutes chacun. Un nombre important, surtout pour une émission qui débute. Comme chez Binge Audio, l’idée est d’être disponible partout où sont les auditeurs, d’iTunes à YouTube en passant par SoundCloud et Radioline par exemple. Un quart des écoutes viennent de l’application podcasts d’iTunes, contre bien plus de la moitié pour certains des acteurs avec lesquels nous avons discuté.
Le partenariat avec Audible permet de compenser les coûts de production, assez élevés. « Un épisode de Transfert nous coûte entre 2 000 et 3 000 euros. Titiou et Nadia un peu moins » calcule Pudlowski. À chaque émission sa musique originale, une réalisation et une post-production propres... Des éléments qui doivent différencier ces podcasts des productions web amateurs et rapprocher la qualité de celle de la radio.
Il reste que vivre du podcast reste compliqué, comme le confirme Nadia Daam, pour qui une émission lui vaut la paie de quelques piges. « C'est vraiment fait pour le plaisir » affirme la journaliste, qui voit l’exercice comme une respiration. Pour le site, l’enjeu est bien plus aujourd’hui de fidéliser que de monétiser.
Pour référence, l’édition américaine de Slate propose depuis dix ans ses propres podcasts, supprimant leur publicité pour leurs abonnés. L’entreprise a même lancé son réseau Panoply, qui finance plus d’une centaine d’émissions par la réclame.
D’autres podcasts suivront chez Slate
Sur leur podcast, Nadia Daam et Titiou Lecoq ont « quasiment un an » de sujets d’avance. Pour la première, l’envie de créer un podcast plus narratif est là, même si elle ne sait quelle forme il pourrait prendre. « Je fonctionne par lubies. Là je suis à fond aujourd’hui, mais peut-être que dans six mois, je dirais que les podcasts sont « tellement 2016 »... Même si Charlotte a un vrai pouvoir de persuasion ! » pèse-t-elle.
Du côté de Slate, d’autres podcasts suivront d’ici la fin de l’année ou l’an prochain, toujours sur l’idée de talk show ou d’émission narrée. Le modèle de diffusion, lui, ne devrait pas changer, l’entreprise cherchant pour le moment avant tout à créer une communauté autour de ses formats audio, comme elle en a créé autour de ses articles.
Notre dossier sur l'économie des podcasts :
- TargetSpot (Radionomy) nous parle de la monétisation des podcasts et de l'avenir de Winamp
- Patrick Beja : peut-on développer ses podcasts en restant indépendant ?
- Pour Gamekult, les podcasts luttent contre un web « aseptisé »
- Binge Audio veut professionnaliser le podcast en France
- ZQSD : des journalistes financent l'avenir de leur podcast sur le jeu vidéo via Patreon
- Les défis de Podcast Addict, porte d'entrée des podcasts sur Android
- Geek Inc : huit ans d'évolution du podcast vidéo et de son financement
Avec ses podcasts, Slate compte combler les manques de la radio
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Serial et le renouveau du format radio
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La publicité pour financer les podcasts
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Un format et des libertés
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Une diffusion et des coûts
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D’autres podcasts suivront chez Slate
Commentaires (13)
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Abonnez-vousLe 30/08/2016 à 15h41
Moi j’écoute le Moscato Show en podcast depuis presque dix ans. " />
“Allez on y retourne au mastic”
Le 30/08/2016 à 15h54
C’est étonnant de voir qu’en France, le marché des podcasts est complètement trusté par les radio, qui absorbent la très large majorité de l’audience, alors qu’aux Etats-Unis énormément d’émissions ont vu le jour à partir de sites Internet (Slate, Fivethirtyeight, etc.), voire parfois de rien du tout comme Daring Fireball, Comedy Bang Bang ou l’extraordinaire Startalk radio de Neil DeGrasse Tyson…
Le 30/08/2016 à 16h12
J’aime pas trop Slate. Trop américain à mon goût dans ses thèmes et analyses.
Le 30/08/2016 à 16h13
D’un autre côté, notre modèle économique actuel (la créativité est tellement mal vue en France si elle ne rentre pas dans une case, comme tout le reste) et la barrière de la langue, permettent difficilement de sortir à partir de rien comme Daring Fireball qui avait déjà une audience de malade sur le site depuis des années.
Mais oui, c’est étonnant pour les sites les plus connus.
Je dirais que le podcast a longtemps souffert de son côté geek (comme les RSS en gros) en France. Ça ne parlait pas au grand public. Maintenant, avec l’habitude des replay TV par exemple, les gens sont peut-être plus prêts ?
Le 30/08/2016 à 16h42
C’est sûr que l’audience potentielle d’un podcast en anglais est bien, bien plus élevée que celle d’une émission en Français.
Il faudrait sans doute ajouter que les podcasts US bénéficient (comme le dit l’article d’ailleurs) d’annonceurs potentiels plus nombreux et aux caractéristiques très différentes des annonceurs français. D’ailleurs, quand on écoute différents podcasts US, on retrouve des caractéristiques communes : des boîtes qui travaillent en ligne, qui se veulent souvent innovantes et qui travaillent sur des secteurs ciblés, souvent en rapport avec le thème du podcast.
Le 31/08/2016 à 12h12
Est-ce qu’on peut dire que ZQSD est un podcast? Est-ce qu’un podcast est toujours “téléchargeable” (pour une lecture hors-ligne)?
Le 31/08/2016 à 18h39
Les RP de Binge et Slate sont très bons car on voit fleurir des articles sur différentes plateformes vantant le mérite de ces podcasts comme si le média était nouveau et explosait en France grâce à eux.
Patrick Béja en vit depuis quelques mois et en fait depuis 10 ans.
Geek Inc existe depuis 8 ans.
Radio kawa a une grille d’émissions conséquentes sur différents sujet depuis longtemps.
Niptech existe aussi depuis 3-4 ans et a bcp de succès.
Et la liste est longue.
C’est dommage de résumer ce média simplement à Slate et Bing audio !
Le 01/09/2016 à 10h19
C’est aussi relativement dommage (en plus d’être complètement à côté de la plaque) de penser qu’un de nos dossier peut être initié par un RP ou qu’il sera composé de telle ou telle manière en se basant sur un seul article.
Le 04/09/2016 à 19h26
Bonsoir
Ayant animé pendant 3 ans un podcast, je dois dire que l’expérience fût intéressante. 200 euros de matos + 26 euros annuel pour l’hébergement et ça roule. Après c’est sur que vouloir monétiser le podcast, en dehors du système patreon, c’est un peu risqué, tant est grande l’offre, notamment du côté des radios. Perso, j’écoute beaucoup de podcast et je tape pas mal du côté de la RTS (Suisse) et de la RTBF (Belgique) pour avoir des regards différents.
Le 30/08/2016 à 14h20
Me suis mis aux Podcast depuis 1 an environ (vive la bagnole avec Bluetooth), et ceux de RadioKawa + quelques autres sources me conviennent bien dans le ton léger et l’univers techno/geek.
Perso, j’ai pas spécialement envie de me prendre la tête avec la misère du monde après une journée de boulot.
Je ne conteste pas l’utilité et l’intérêt de ce type de sujet hein. C’est juste pas ma came….
Le modèle économique me laisse par contre perplexe pour les podcasts sur le long terme.
La pub effectivement semble la solution logique, mais est ce que ils ne vont pas faire face au même problème que Internet ?. (ras le bol de la pub, tout ça tout ça…)
Le 30/08/2016 à 14h46
Je sis assez d’accord: moi aussi, je préfère me changer les idées à la fin de la journée.
Concernant le mode de financement, à l’heure actuelle, mis à part Patrick Béja (grâce à Patreon), je ne connais aucun “podcasteur” qui vive entièrement de ce média.
Le 30/08/2016 à 15h08
Woah, c’est étrange cette histoire de podcasts. C’est vieux comme le monde pourtant. Ça faisait un bail que j’écoutais France Culture de cette manière (bon là je n’ai plus trop le temps cette année). On choisit pile-poil ce qu’on aime et basta c’est dans la boîte (iTunes pour ma part). Et pour le coup, France Culture possède en général (il y a quelques point vraiment noirs dans leur prog) des formats d’émissions très originaux (courts, longs, artistiques, scientifiques, drôles — j’adorais François Rollin…).
Je ne parle même pas des amateurs qui parfois font du bon boulot.
M’enfin si on dit que c’est révolution, c’est que ça doit l’être (ils doivent ajouter “hashtag connerie” pour se la jouer et puis voilà).
Le 30/08/2016 à 15h31
Concernant les podcasts, on peut faire “confiance” à Google pour rentabiliser le modèle économique…
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