Riot Games veut pérenniser les revenus des équipes professionnelles sur League of Legends
Oui, on parle encore de licornes et de gros sous
Le 27 septembre 2016 à 13h15
10 min
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Alors que les cabinets d'analystes jouent la surenchère sur la valeur du marché de l'e-sport, les équipes professionnelles peinent parfois à joindre les deux bouts. Une situation à laquelle Riot Games, l'éditeur de League of Legends, espère mettre fin en remettant à plat le partage des revenus avec les clubs.
Quand on parle d'e-sport, bon nombre d'acteurs du milieu voient ce nouveau marché comme un nouvel El Dorado. Les publicitaires et les marques pensent qu'ils pourront toucher ce public jeune qui boude de plus en plus la télévision, les chaînes de télévision y voient un moyen d'accroître leur notoriété auprès de ses mêmes cibles, tandis que les joueurs professionnels sont de plus en plus nombreux à espérer vivre de leur art.
Même les clubs de football sont touchés par la fièvre de l'e-sport et investissent dans des équipes de joueurs devant les faire rayonner auprès des amateurs du FIFA annuel. West Ham, Schalke 04 et Manchester City, pour ne citer que ceux ont déjà franchi le pas, tandis qu'en France, la rumeur prête au PSG l'envie d'explorer cette Terra Incognita en compagnie d'un grand groupe de médias.
Mais derrière les promesses des analystes qui voient miroiter un marché se chiffrant en milliards, et les millions de dollars fièrement annoncés par les éditeurs en récompense de leurs tournois, il y a aussi des équipes, pourtant populaires, qui ne touchent pas tant d'argent que cela. C'est ce dont nous avons discuté avec l'une d'entre elles.
Riot plaide pour une meilleure répartition des gains
« Nous reconnaissons que l'écosystème actuel, n'est pas toujours rentable pour les propriétaires d'équipes ou pour la ligue » admet Riot Games, l'éditeur de League of Legends. « Les propriétaires d'équipes [participant aux LCS, le circuit professionnel de League of Legends] ont tenté d'être plus compétitifs, en débauchant des joueurs stars avec de hauts salaires, ce qui a abouti à des hausses similaires dans d'autres ligues comme la LCK (Lol Champions Korea) qui cherchent à protéger leurs talents » résume l'éditeur.
Riot Games pense que ces investissements extérieurs sont une bonne chose, notamment pour les joueurs, mais d'un autre côté, les revenus des équipes ne progressent pas forcément aussi rapidement qu'espéré. Pour tenter de trouver une solution à cet épineux problème, Riot veut « donner un coup de fouet à certaines de [ses] tactiques économiques pour atténuer les souffrances à court-terme ressenties par de nombreux partenaires ». L'éditeur reconnait par la même occasion que ces soucis financiers ne concernent pas qu'une poignée d'équipes, mais forment au contraire un problème plus global.
Dans un long billet, la filiale de Tencent explique procéder à plusieurs changements afin d'assurer la pérennité de sa ligue professionnelle. Ils passent notamment par une remise à plat de la méthode de distribution des contenus, des publicités et d'approche des sponsors. L'éditeur ne partagera par contre aucun détail précis à ces sujets.
Des changements rapides
D'autres modifications plus concrètes sont également au menu. À compter de la tenue du « World Championship », c'est-à-dire dans trois jours seulement, les équipes participant aux tournois pourront prétendre à une part des revenus issus des micro-transactions propres à chaque compétition.
Sur le modèle de Valve et de son tournoi The International sur Dota 2, 25 % des revenus liés à la vente de skins et de balises crées pour célébrer la tenue de chaque compétition seront ajoutés à la cagnotte à laquelle les équipes peuvent prétendre. « Si cela avait été appliqué l'an dernier, les gains des équipes auraient plus que doublé » précise la filiale de Tencent. Ils s'élevaient pour rappel à 2,13 millions de dollars.
Pareillement, et à commencer avec l'équipe qui remportera le prochain « World Championship », 25 % des revenus générés par les skins de personnages « inspirés » par les joueurs professionnels seront partagés entre eux, leur équipe et la ligue dont ils dépendent. De nouveaux objets seront également mis en vente, portant la marque des clubs qui en toucheront évidemment une part.
Enfin, chaque équipe participant au circuit professionnel recevra une dotation fixe, dont elle devra reverser 50 % à ses joueurs, en complément de leur salaire habituel. Le montant est fixé par région. Pour l'Europe, il sera par exemple question « d'au minimum » 100 000 euros par saison. « Sans compter les paiements rétroactifs aux champions passés, ces efforts contribueront à hauteur de plusieurs millions de dollars chaque année, pour les équipes et les joueurs » s'exclame Riot Games.
Les difficultés d'une petite équipe, les doigts pris dans la charte
Les difficultés rencontrées par les clubs de milieu de tableau, Romain Bigeard, le directeur général de l'équipe allemande Unicorns of Love, les résumait il y a deux semaines sur l'antenne de O'Gaming. Le budget de fonctionnement nécessaire augmente d'année en année, et atteint désormais environ un million d'euros pour des équipes de milieu de tableau en Europe, et près du double aux États-Unis.
Romain Bigeard, en chair et en corne lors des LCS 2016
De l'autre côté, la dotation fournie par Riot Games, environ 300 000 euros par an (selon les chiffres avancés par Reginald, le propriétaire de l'équipe TSM), est insuffisante pour couvrir la plupart des besoins des structures engagées dans le circuit professionnel. Le reste doit être trouvé via le merchandising et par la signature de contrats avec des sponsors.
Or les règles imposées par l'éditeur sont très strictes de ce point de vue et ne donnent pas énormément de latitude aux équipes. « Ce qui va intéresser un sponsor comme Nike, c'est qu'un joueur puisse expliquer pourquoi son maillot est le plus cool ou qu'il participe à des events Nike. Mais ça prend énormément de temps. Quand tes joueurs doivent s'entraîner cinq jours par semaine juste avant une compétition, ça devient compliqué ».
Dans une entrevue qu'il nous a accordée, le responsable des Unicorns of Love soulève aussi un autre problème : le verrouillage du calendrier par Riot Games. « Quand on est qualifiés pour les LCS (League Championship Series), le découpage de la saison est très strict. Un premier split entre janvier et mars, un deuxième en juillet-septembre et si on se qualifie pour la finale mondiale on joue aussi en octobre. Le reste de l'année, on ne fait rien, parce qu'on ne peut rien faire », nous précise le responsable.
Les contrats entre les équipes engagées dans les LCS et l'éditeur sont en effet très clairs. Les clubs ne peuvent participer à des évènements qui ne sont pas organisés par Riot. « C'est comme si on interdisait à un pilote de Formule 1 de participer aux 24 heures du Mans » tempête Romain Bigeard. Les équipes ne peuvent ainsi pas participer à des compétitions organisées par leurs sponsors pour arrondir leur budget. « Ça pose aussi des soucis d'ordre sportif à l'intersaison. Sans compétitions entre octobre et janvier et entre avril et juin, il nous est difficile de jauger de notre niveau par rapport aux autres formations. On essaie de se débrouiller en faisant des matchs amicaux, mais c'est loin d'être idéal » nous confie-t-il.
L'arrivée d'investisseurs change la donne
Pendant ce temps, certaines équipes se tournent vers des investisseurs pour boucler leurs budgets. Pas plus tard qu'hier, l'équipe NBA des Philadelphia 76ers a annoncé avoir racheté Dignitas et Apex, deux clubs actifs sur League of Legends. Sportivement parlant, la nouvelle n'inquiète pas particulièrement les Unicorns of Love, « Schalke 04 est venu en LCS cette année avec un gros budget, récompensé par une relégation directe ». Sur le long terme, l'équipe craint quand même une inflation de certains coûts, notamment du côté du salaire des joueurs.
« Forcément, quand un investisseur paye un à deux millions d'euros pour acheter son slot aux LCS à une équipe, qu'il vient avec une armée d'avocats, de comptables, de coachs, et un budget à sept chiffres, ça crée une certaine tension pendant le mercato » analyse Romain Bigeard. Une petite équipe comme Unicorns of Love compte ainsi 9 membres, dont sept salariés (cinq joueurs, un coach et un manager), quand certaines grosses pointures peuvent engager trois ou quatre entraineurs, et des dizaines de personnes pour l'administratif. « Après, on connait déjà ce problème d'escalade des salaires avec la ligue américaine, où les équipes ont déjà des budgets plus conséquents qu'en Europe » nuance-t-il.
Il reste encore à voir pendant combien de temps cet engouement des investisseurs perdurera. « Contrairement à un sponsor, un investisseur s'attend à un retour financier. Et pour l'instant la plupart des équipes ne gagnent pas d'argent » assure Romain Bigeard, ce qui est un problème dans une industrie qui cherche à se professionnaliser. Si les équipes de haut niveau ne parviennent pas à joindre les deux bouts, les niveaux inférieurs de la pyramide ne peuvent pas prospérer non plus.
Let’s be clear: LoL doesn’t make teams money in the post-VC world. Merrill is vomiting a line told to him by the Riot eSports department.
— MonteCristo (@MonteCristo) 23 août 2016
L'éditeur s'était d'ailleurs fait remarquer le mois dernier après une déclaration très maladroite à ce sujet de son fondateur, Marc Merrill, plus connu sous le pseudo de Tryndamere. Il reprochait à Reginald, le propriétaire de l'équipe TSM, de profiter de l'argent octroyé par Riot aux équipes qualifiées pour les LCS pour financer ses activités sur d'autres jeux. Réponse de l'intéressé : League of Legends est pour TSM un poste à perte, et ce sont les revenus des titres tiers qui lui permettent de maintenir son rang sur LoL.
L'arrivée d'investisseurs met également l'accent sur un autre problème : celui de la stabilité des équipes, qui est loin d'être garantie. « Chaque année en Europe, sur dix équipes, il y en a deux qui risquent la relégation en Challenger League. Et une fois tombé à ce rang, les 300 000 euros de dotation annuelle de Riot, il faut les oublier », notent les Unicorns of Love. Ces équipes reléguées subissent quant à elles moins de contraintes et peuvent écumer les compétitions tierces où ne figurent pas les grosses pointures.
D'autres pistes pour amener l'argent vers les équipes
Romain Bigeard estime qu'il est encore bien trop tôt pour imaginer un système de redistribution de droits télévisuels aux équipes, « notamment parce que l'e-sport s'adresse à un public de "geeks" habitués à la gratuité des contenus sur Internet ». Riot n'est par ailleurs pas encore dans une position assez forte pour monnayer ses droits de rediffusion à une échelle suffisamment intéressante. Mais d'autres pistes sont à envisager pour générer des revenus.
« Il y a un exemple évident, entre deux manches, Riot affiche sur son stream un bête compte à rebours. Ils ne diffusent pas de publicités, pas même pendant la grande finale mondiale. Vous imaginez le Super Bowl sans publicités ? S'ils ne veulent rien faire de cet espace d'antenne, ils pourraient le laisser aux deux équipes qui jouent pour qu'elles diffusent des clips mettant en avant leurs sponsors » plaide-t-il.
L'idée de monétiser des objets en jeu pour en redistribuer une part des revenus est également bien accueillie par les Unicorns of Love, même si pour l'heure il est encore bien difficile d'estimer quel montant cela pourrait représenter, une fois la part de Riot et les taxes déduites. Les chances de voir « des millions d'euros » affluer soudainement dans les caisses des équipes sont faibles, mais un peu de beurre dans les épinards ne devrait certainement pas faire de mal.
Riot Games veut pérenniser les revenus des équipes professionnelles sur League of Legends
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Riot plaide pour une meilleure répartition des gains
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Des changements rapides
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Les difficultés d'une petite équipe, les doigts pris dans la charte
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L'arrivée d'investisseurs change la donne
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D'autres pistes pour amener l'argent vers les équipes
Commentaires (7)
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Abonnez-vousLe 27/09/2016 à 13h24
A ma connaissance etre streamer (un gros streamer, du genre 1000 abo / 20K viewers réguliers) être laaaargement plus rentable qu’être joueur pro au top niveau
sur LoL je suis pas ce qu’ils gagnent, mais sur les jeux blizzard bah même en êtant au top (finir dans les 4 premieres équipes de tournois tout au long de l’année) ca fait un salaire normal, à peine. Et la, on parle de la crème de la crème, alors les joueurs juste un peu moins bons s’ils streament pas…
ceux qui s’en sortent font partie d’une écurie qui verse un salaire régulier, et ceux qui streament pour compléter leurs revenus sont largement gagnants (c’est pas négligeable quand t’es un joueur connu sur un jeu connu, même en tant que streamer pitoyable, ca attire toujours du monde)
bref, le genre de plan dont parle l’article est exceptionnel. Alors certes LoL peut se le permettre mais ca serait plus que bien que ca devienne un “modèle” pour d’autres
mais un peu de beurre dans les épinards ne devrait certainement pas faire de mal.
yep voila
Le 27/09/2016 à 13h51
Merci pour l’article :) Hyper cool.
Sinon, pour suivre les LCS depuis leur création, et étant un fan de LoL, les joueurs professionnels (je parle des joueurs, pas des équipes hein) ne sont pas vraiment à plaindre. Pardon, je vais un peu à rebours de l’article, mais un joueur professionnel gagne correctement sa vie dans l’équipe (avec son fixe). Ensuite, s’il gagne un trophé avec cette équipe, son salaire augmente. Ensuite, les sponsors. Ensuite, il s’entraine 10h par jour devant un écran (environ). Sur les 10h de jeu effectives, ~4-5h sont réservées à l’équipe (team plays). Le reste du temps, il joue souvent seul, ou avec un ami (souvent pro lui aussi), dans ce qu’on appelle la soloQ (il ne joue pas pour son équipe, mais pour son “plaisir” personnel et pour s’entrainer seul). Et durant toute cette phase de soloQ, de la publicité s’affiche sur son stream, ainsi que des pubs permanentes en dessous de son stream. On sous-estime souvent trop ce que ça rapporte. Je ne parle même pas des abonnés Twitch (un utilisateur peut s’abonner au canal d’un joueur en payant quelques euros afin de manifester son soutiens, et de ne plus avoir de pubs).
Ensuite, pour les tournois, quand l’ESL/Intel organise un tournoi, ce n’est pas Riot qui organise, et pourtant nous voyons certaines équipes pro (LCS) y jouer … Donc soit j’ai pas compris un truc, ce qui est possible, soit les équipes ont quand même le droit d’aller jouer à certains tournois hors Riot.
Et pour les équipes (ce dont traite l’article), c’est vrai que plusieurs se plaignent pas mal du manque de pognon. Est-ce qu’on pourrait pas imaginer que l’équipe ponctionne une partie des revenus annexes du joueur ? Ce dernier profite de l’équipe pour se faire connaitre parfois (bon ok, des fois c’est l’inverse), fait de l’argent avec l’équipe (stream perso) etc.
C’est épineux comme question.
Le 27/09/2016 à 13h54
Y’a déjà un partage des gains issus des compétitions entre les équipes et les joueurs. Dans le cas le plus courant, les gains sont divisés en 6 parts, une pour chaque joueur et la dernière pour l’équipe. Mais une fois les taxes déduites, il ne reste en général pas grand chose pour le club. C’est une ressource moins importantes que les sponsors pour des équipes de milieu-fond de tableau comme UoL.
Les IEM sont la seule exception autorisée par Riot qui co-organise le truc.
Le 27/09/2016 à 14h09
D’accord, je pensais qu’Intel était seul sur les IEM, j’ignorais que Riot co-organisait.
Pour la redistribution des gains en tournoi, c’est peut-être là qu’il faudrait agir. Un price-pool de 200.000 euros par exemple (bon, c’est déjà du gros price pool) ne devrait pas être divisé en 6. Ça me parait énorme pour chaque joueur. Je vais faire le parallèle avec un club de foot par exemple. Les joueurs gagnent de l’argent sous forme de prime quand ils gagnent un trophée, c’est clair. Mais la majorité du pognon est encaissé … par le club (ce qui ne me choque pas). Le coût de fonctionnement d’une structure et le coût de la vie pour un joueur sont pas vraiment comparables en plus de ça. Donc je trouve la répartition mal foutue.
Le 27/09/2016 à 14h13
J’suis d’accord, mais t’es aussi obligé de prendre en compte le marché et ce que fait la concurrence.
Si tu ne divises pas le pot en 6, une autre équipe le fera et signera tes joueurs au mercato suivant.
Le 27/09/2016 à 14h25
Oui c’est certain. Mais bon comme Riot adore les règles à la con … Pourquoi pas une (utile) de plus ? " />
Merci pour l’article en tous cas il est très bien foutu :)
Le 27/09/2016 à 21h57
“la rumeur prête au PSG l’envie d’explorer cette Terra Incognita en compagnie d’un grand groupe de médias.”
Qu’entendons-nous par là ? Webedia ? lol :-)