Bpifrance : la Cour des comptes salue les investissements, mais doute de l’avenir
Un « bras armé » financier à muscler
Le 17 novembre 2016 à 15h30
8 min
Économie
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Si Bpifrance va bien aujourd'hui, il doit rationnaliser ses investissements et limiter les coûts pour survivre dans les prochaines années. Entre autres mesures, la Cour des comptes propose de revoir la rémunération des dirigeants et de supprimer l'établissement public qui gère la participation de l'État, jugé opaque.
Le financement des entreprises par l'État se porte bien, mais son avenir est incertain. C'est en substance ce qu'a déterminé la Cour des comptes dans son rapport sur Bpifrance, la banque publique d'investissement mise en place il y a presque quatre ans. Elle est née du regroupement de la CDC Entreprises, du Fonds stratégique d’investissement (FSI), du FSI Régions et d'Oséo, et est détenue à parts égales par la Caisse des dépôts et l'État.
Cette superstructure doit couvrir l'ensemble des types de financement dont peut avoir besoin une entreprise, du crédit jusqu'à l'investissement. Ses crédits sont en constante hausse, pour atteindre 18,8 milliards d'euros en 2015, dans 71 200 projets. Sur le numérique, l'entité a notamment investi dans l'outil d'auto-hébergement Cozy et dans le logiciel de messagerie « confidentielle » CaliOpen en 2016. Deux projets open source qui ont donc été officiellement soutenus par la banque.
Si l'objectif initial de créer un acteur unique puissant semble accompli, de nombreuses questions restent. Que ce soit sur les frais de fonctionnement en hausse, les rémunérations élevées des dirigeants et sur la pérennité des financements de l'État, les pistes de clarification et de réforme sont nombreuses.
Un regroupement réussi, même si l'État joue l'opacité
« Trois ans après sa création, et au regard de ses objectifs initiaux, la mise en place de Bpifrance doit être considérée comme réussie, alors même qu’un tel succès était loin d’être acquis au départ » débute la Cour des comptes. L'entité est devenue « un point d'entrée unique » pour ces financements publics. Comme l'a schématisé la Cour des comptes, elle simplifie grandement le système, face à l'enchevêtrement précédent :
Malgré le nombre d'institutions regroupées, la Cour des comptes estime la gouvernance stable, même dans les relations avec les régions. Cela même si État et Caisse des dépôts ont des points de vue divergents. Pour le premier, Bpifrance serait « une priorité politique » en tant que bras armé économique, quand la seconde « a subi une amputation de la moitié de ses fonds propres et a dû abandonner l’activité d’investissement dans les PME qu’elle considérait comme un de ses succès ».
Si cela n'a pas provoqué de conflit pour le moment, la présence de cinq conseils d'administration après l'assemblage des filiales complique bien les décisions stratégiques.
En fait, le principal reproche actuel de la Cour des comptes est adressé à l'État. Celui-ci a construit un établissement public (EPIC Bpifrance), pour gérer sa participation dans la banque publique (Bpifrance). Un organe injustifié pour les gardiens des comptes publics, qui estiment qu'il s'agit d'un moyen de contourner certaines règles de financement. « Le rôle de l’EPIC Bpifrance apparaît superflu » estiment-ils. Les justifications apportées par l'État sur son existence seraient aussi floues, voire non-documentées. Surtout, il nuirait à l'information des parlementaires sur cette activité, estime la Cour.
Une banque dynamique, voire un peu trop
La création de Bpifrance a donné plus de force à chacune de ses composantes, estime encore le rapport. Ses auteurs craignent d'ailleurs que la banque amène une concurrence indue avec certains financements privés, voire d'autres investisseurs publics.
Les crédits aux entreprises sont ainsi jugés plus dynamiques qu'au temps d'Oséo, même si l'entité représente encore que 3,6 % des encours vers les TPE et PME en 2015. Pour la Cour des comptes, il faut stabiliser ces investissements. « C’est la stabilité et non plus la croissance de l’activité de son pôle financement qui doit être l’objectif de Bpifrance » écrit-elle. Cela pour laisser plus de place au secteur privé, que le contexte financier encourage dans ces investissements.
Les interventions en fonds propres vers les PME, travail de l'ex-CDC Entreprises, sont aussi saluées. Les auteurs du rapport craignent tout de même que « la surabondance de fonds publics » n'amène une baisse des investissements privés. De même, l'institution estime que la banque publique devrait privilégier le financement de fonds aux investissements directs, qui impliquent trop de risques. En clair, il vaudrait mieux alimenter des fonds d'investissements tiers, plutôt que d'entrer directement au capital des projets.
Bpifrance investit surtout dans des entreprises de taille intermédiaire, même si elle hérite encore des participations nombreuses dans des moyennes et grosses structures. Il s'agissait de sauvetages passés de sociétés et d'emplois par ce biais, jugés stratégiques. Si, une nouvelle fois, le rapport félicite les adaptations au marché, il affirme que la banque publique a trop apporté ses fonds à des projets peu (voire non) stratégiques, qui auraient pu être financés par le secteur privé.
D'ailleurs, le positionnement de la banque publique doit être clarifié, pense la Cour. La raison : une concurrence partielle avec d'autres financements publics, comme ceux du Programme d'investissements d'avenir (PIA) de la Caisse des dépôts. Pour référence, en 2014, Bpifrance disposait de 60 % de parts de marché dans les levées de fonds en capital innovation, contre 19 % en 2011.
Un modèle économique fragile, des dirigeants (très) bien payés
Globalement, les activités de la banque sont rentables, affichant un résultat net de 676 millions d'euros en 2015. « Les ratios de solvabilité du groupe sont aujourd’hui largement au-dessus des exigences du régulateur » se réjouit même l'inspecteur des comptes publics. Pourtant, tout est loin d'être rose.
Les charges d'exploitation, dont les charges salariales, sont en constante hausse. Elles représentaient 504 millions d'euros de dépenses en 2015. Sont aussi pointés une forte externalisation des activités, une politique immobilière « coûteuse » et des frais de déplacement et de représentation « élevés ». L'augmentation des charges pourrait vite devenir plus rapide que celle des revenus sur l'activité de prêt, prévient la Cour des comptes.
Le rapport décortique aussi les contreparties salariales fournies au rassemblement des quatre entités sous un même toit, et sous un même statut. Ces dépenses incluent des augmentations de dirigeants « mal maitrisées ». À la tête de la banque publique, les rémunérations ont grimpé en moyenne de 12 % par an entre 2012 et 2015, pour atteindre 274 300 euros... « sans être toutes motivées par des changements de postes » tacle la Cour. Un montant pourtant significativement inférieur au plafond de 450 000 euros bruts par an imposé aux dirigeants d'entreprises publiques.
Dans le même temps, l'organisation est toujours dépendante des fonds publics, dont ceux de l'État. Les allocations ont augmenté graduellement, et Bpifrance a cédé des participations dans des activités au fort potentiel de développement, pour se financer. Elle doit donc s'assurer que les nouveaux investissements apportent une rentabilité suffisante pour maintenir le régime, estime le rapport.
Car, note la Cour des comptes, il n'est pas sûr que l'État puisse apporter l'ensemble de sa part aux fonds d'ici 2019. Des difficultés sont mêmes attendues dès l'an prochain, l'excellent ratio de solvabilité actuel pouvant rapidement passer sous les seuils réglementaires. « À défaut d’autre source de financement, les résultats produits par le pôle investissement risquent de devoir recapitaliser le pôle financement, moins rentable structurellement » est-il estimé.
La Cour des comptes veut stabiliser les financements et investissements
La stratégie établie pour la période 2016 - 2019 ne répond pas complètement aux besoins de Bpifrance, estime la Cour des comptes. Il faudrait notamment pérenniser la stratégie du pôle investissements, qui représente 80 % du résultat du groupe.
Les recommandations sont d'ailleurs nombreuses. La Cour veut supprimer l'EPIC Bpifrance, qui serait source d'opacité et ne remonte pas tous les dividendes perçus au budget de l'État. Elle souhaite aussi mettre en place une gestion des risques conforme à la réglementation. S'il se met en place, les contrôles internes sont insuffisants (sans vraie traçabilité ni charte) et ceux des activités externalisés jugés inexistants.
Un pilotage budgétaire « efficace » doit aussi être mis en place, pour limiter la hausse des coûts de fonctionnement. La Cour des comptes propose d'ailleurs de stabiliser les rémunérations des cadres dirigeants, sur la période 2016 - 2019. Le développement doit aussi être maîtrisé à moyen terme, quand l'État devrait préciser « de manière explicite » la manière dont sera financée l'entité.
Enfin, elle doit éviter « tout recoupement » entre ses investissements et ceux des autres groupes publics, comme la Caisse des dépôts. L'investissement direct dans les PME doit aussi être limité, au profit de participation à des fonds qui financent ces entreprises, dans le but de limiter les risques. Enfin, les deux actionnaires (l'Etat et la Caisse des dépôts) sont invités à mettre en place « un dispositif d’évaluation externe de l’impact socio- économique des interventions de Bpifrance », qui ne serait donc pas encore en place.
Bpifrance : la Cour des comptes salue les investissements, mais doute de l’avenir
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Un regroupement réussi, même si l'État joue l'opacité
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Une banque dynamique, voire un peu trop
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Un modèle économique fragile, des dirigeants (très) bien payés
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La Cour des comptes veut stabiliser les financements et investissements
Commentaires (3)
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Abonnez-vousLe 17/11/2016 à 15h42
cinq conseils d’administration
Cela fait un peu trop quand même, et d’après schéma , quelques entités qui ont vraiment l’air superflu.
Et toujours trouver bizarre que les institution dépendant de l’État loue des locaux chère dans le privé, c’est pas comme si l’État n’avait pas des locaux vides qui traine.
Le 17/11/2016 à 21h29
Doit on rappeler que la BPI a justement été créé pour palier au manque d’investissement des banques privés alors critiquer la dynamique de ses investissements c’est peu se foutre de la gueule du monde. Elle n’a fait que palier un manque, et maintenant que les choses commencent à s’améliorer il faudrait qu’elle fasse machine arrière.
C’est au secteur privé de prendre le relais et de venir concurrencer et s’ils ne sont pas capable, la BPI continuera à faire le travail pour lequel elle a été créé.
Le 19/11/2016 à 14h51
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Sans l’ intervention de l’ État par la nationalisation à l’ époque de Mitterrand beaucoup d’ entreprises d’ aujourd’ hui n’ existerait pas. Ces gens sont des ignares qui ne méritent pas de siéger à ces postes quand dans le même temps les américains poussent leur industrie à l’ aide des budgets de la défense.
Et nous subissons maintenant la domination de leurs entreprises. Alors parler de fonds publics ou privés pour se développer est une perte de temps. Qu’ importe d’ où vient l’ argent pourvu que l’ entreprise qui en bénéficie “assure”.
Internet sans cet “investissement” n’ existerait même pas sous la forme sous laquelle nous le connaissons. Entre subventions, financements et crédits ces crétins oublient qu’ il s’ agit d’ une guerre commerciale mondiale où les cons comme eux finiront au chomage. Déjà 9 millions de pauvres en France selon le dernier rapport du Secours Populaire pendant que ces bédouins se frottent la panse avec satisfaction. Quelle indignité !!!