Proposition de loi contre les « Fake News » : le Conseil d’État, bouée des députés
Nake few
Le 23 mai 2018 à 15h31
8 min
Droit
Droit
La commission des lois, saisie pour avis, a terminé l’examen du projet de loi contre les fausses informations (« fake news »), en s’inspirant largement de l’avis du Conseil d’État. En attendant le passage en hémicycle le 7 juin, le texte sera examiné en commission des affaires culturelles la semaine prochaine.
Sur le texte qui fut révélé dans nos colonnes, les députés de la commission des lois ont adopté en tout trente amendements. 17 n’ont pas été soutenus, et 23 rejetés. Quelles ont été les modifications suggérées ?
Dans un inventaire à la Prévert, Naïma Moutchou, rapporteure du texte, a fait évoluer le périmètre de l’article L.97 du Code électoral, qui prévoit aujourd’hui que « ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15 000 euros ». En adoptant son amendement CL68, l'incrimination a été étendue à l’auteur d’une « fausse information ».
Si le texte perdure, il reviendra donc au juge de bien faire la distinction.
Un autre de ses amendements, le CL69, sera sans doute utile puisqu’il est censé clarifier ce qu’est une fausse information. Il s’agit de « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ».
Explications de la rapporteure : « Plus large que la notion de "fausse nouvelle", la "fausse information" vise les informations dépourvues de tout élément de fait contrôlable de nature à les rendre vraisemblables. Elle n’a donc ni pour objet, ni pour effet, d’attraire dans cette catégorie juridique des opinions ou des articles satiriques ».
L'enjeu est d'« éviter qu’une atteinte disproportionnée puisse être portée à la liberté d’expression », sachant que « la lutte contre les fausses informations serait circonscrite aux cas dans lesquels il est établi que la diffusion de telles informations procède de la mauvaise foi » (c’est d’ailleurs une précision apportée par l’amendement CL80).
Inspiré par l’avis du Conseil d’État, un autre de ses amendements définit plus précisément le point de départ de la période qui imposera une obligation de transparence des plateformes (identité, montants perçus des sponsors, nom des débiteurs, mais également le siège social et l’objet social des annonceurs déclarés, cf. amendement CL60 et CL75).
Cette période débutera trois mois avant le premier jour des élections générales, à l’exclusion donc des élections partielles. La version initiale de la proposition de loi avait opté pour fixer ce départ au décret convoquant les électeurs, alors que sa diffusion n’obéit à aucun agenda précis.
L'aiguillon du droit européen
Pour justifier ces nouvelles obligations, qui viennent limiter le principe de liberté des prestations de services des intermédiaires techniques posés par le droit européen, la commission des lois a suivi une autre recommandation de la juridiction administrative (p.4 du document).
Elle justifie ces obligations de transparence à « l’intérêt général attaché à l’information éclairée des citoyens en périodes électorales et à la sincérité du scrutin ». Un principe inédit dont on ne sait s’il satisfera la Commission européenne.
Pour éviter que ces nouvelles obligations ne soient généralisées à toutes les informations diffusées par les plateformes, l’amendement CL90 a circonscrit cette obligation aux seules informations se rattachant à un débat d’intérêt général. Une modification également suggérée par la haute juridiction (point 16).
En suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ce sont donc celles « qui touchent le public dans une mesure telle qu’il peut légitimement s’y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu’elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité ».
Adoptée dans le texte définitif, il reviendra donc aux intermédiaires de faire un tri dans leurs tuyaux... Pas simple, d'autant que ces opérations flirtent dangereusement avec l'interdiction d'imposer aux intermédiaires techniques une obligation de surveillance généralisée. L’article 15 de la directive e-commerce interdit en effet aux États membres d’imposer aux prestataires « une obligation générale de surveiller les informations qu'ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ».
Le référé réservé aux élus, groupes et partis
Dans l’amendement CL79, la commission des lois a également mieux cloisonné dans le temps la possibilité de saisir le juge des référés, aux fins d’obtenir blocage, déférencement, etc. et autres mesures de son choix. Là encore, la période considérée débutera trois mois avant les élections générales, et non comme dans le texte initial à compter de la convocation des électeurs.
En l’état du texte d’origine, le référé s’attaque aux fausses informations diffusées « artificiellement et de manière massive » en ligne. L’amendement CL81 a revu cette cible, pour se concentrer sur celles diffusées « de manière artificielle ou automatisée ». Avec cette conjonction de coordination, « sont ici visés le sponsoring, mais aussi les robots informatiques ("bots"), les fermes à clics et tout dispositif analogue qui pourrait se développer dans les prochaines années » soutient la rapporteure.
Autre amendement important, le CL82. Ce dernier limite aux seuls candidats, partis ou groupements politiques la capacité juridique de saisir par voie de référé la justice en cas de fausse information. L’enjeu ? « Prévenir tout risque d'engorgement de la nouvelle voie de référé », expose Naïma Moutchou.
Signalons encore l’amendement CL89 qui étend les dispositions de cette proposition de loi aux opérations référendaires, outre donc les européennes, les législatives et la présidentielle (objet d'une loi organique rebaptisée en loi contre la manipulation de l'information).
Pas d'obligation de signalement sur les épaules des intermédiaires
Tout aussi intéressant, le CL94 supprime l’obligation qui était programmée sur les épaules des hébergeurs, à savoir signaler promptement « de toute activité de diffusion de ces fausses informations qui leur serait signalée ».
Plusieurs arguments ont pesé pour la faire sauter, là encore inspirés de l'avis du Conseil d'Etat (point 37).
D’un, explique la rapporteure, « leur caractère manifeste n'est pas nécessairement établi, ce qui complexifie la décision de transmettre les contenus signalés aux autorités ».
De deux, « le volume des contenus signalés en tant que fausses informations risque de saturer les canaux de transmission entre les hébergeurs, FAI et les autorités », déjà empruntés par les contenus pédopornographiques, terroristes ou encore l’incitation à la haine.
Enfin, « les autorités seront dans l'incapacité d'assurer un traitement adéquat des contenus signalés comme des fausses informations transmis par les hébergeurs et FAI, au risque de fragiliser le traitement des contenus dits "odieux" ».
Inversement, deux autres amendements ont été adoptés afin d’astreindre les intermédiaires à de nouvelles obligations. Le CL62 les oblige à désigner en France un représentant légal. Il aura pour mission d’être « référent » contre les activités illicites, afin de « renforcer les relations qu’entretiennent les autorités publiques compétentes et les plateformes en ligne en améliorant les dispositifs de coopération déjà existants ».
Un amendement qui ravira les mastodontes de la presse en ligne
Enfin, le CL96 demande aux opérateurs de plateforme l'engagement d' « identifier et promouvoir les contenus d’information produits par les entreprises de presse dans le référencement des contenus d’information ». Le texte suggère « l’élaboration de chartes de bonnes pratiques ou d’accords signés avec les organisations représentatives des journalistes, des éditeurs de presse et des services de communication audiovisuelle ».
Aucune sanction n’est prévue spécifiquement pour ceux qui seraient à la traine, dont on n’attend d’ailleurs qu’un « engagement ». Malgré tout, la mesure fera sans doute plaisir aux mastodontes du secteur, ceux qui peinent à se frayer un chemin dans la myriade de titres référencés...
Dernier détail, ces deux dernières obligations ne seront enclenchées qu’à partir d’un seuil de connexion, histoire de frapper Google, Facebook ou Twitter, non tel petit hébergeur. Or, on ne connaît pas le mode opératoire (déclaratif ? réel ? etc.). Et seul le CL96 renvoie à un décret le soin de déterminer les modalités pratiques.
Proposition de loi contre les « Fake News » : le Conseil d’État, bouée des députés
-
L'aiguillon du droit européen
-
Le référé réservé aux élus, groupes et partis
-
Pas d'obligation de signalement sur les épaules des intermédiaires
-
Un amendement qui ravira les mastodontes de la presse en ligne
Commentaires (4)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 24/05/2018 à 05h13
hmm … une idée comme ça en passant … avec ça on pourrait éliminer l’église (toutes les, je suis pas raciste) en interdisant de parler de Dieu : “informations dépourvues de tout élément de fait contrôlable de nature à les rendre vraisemblables” c’est pile dedans !
Le 24/05/2018 à 06h23
J’aime pas trop beaucoup ça… Internet est un des derniers bastions de la presse et du journalisme indépendant. Déjà, Sarkozy à l’époque voulait d’une presse labellisée (entendre contrôlée…). Ce texte ouvre la voie à ce genre de contrôle… " />
Le 24/05/2018 à 07h00
D’accord avec toi Kurton. Macron, avec sa suffisance et son arrogance, n’a pas supporté entendre certaines assertions le concernant, lui ou sa femme, et comme il a sûrement en vue 2022, il prépare le terrain …
Le 24/05/2018 à 07h19
Y a qu’à voir l’affaire Sarkozy. Seul médiapart au eu les cacahuètes de faire le boulot en 2011 ou 2012. Et personne n’a osé se mouiller. Avec ce genre de loi, certains risquent de devenir encore plus frigides…. :‘(