Propriété industrielle : la Cour des comptes veut une « obligation de vigilance » des hébergeurs
L'article 17, version droit des marques
Le 05 mars 2020 à 16h48
6 min
Droit
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Dans un rapport sur la lutte contre les contrefaçons en matière de propriété industrielle, la Cour des comptes préconise plusieurs réformes. Sur Internet, elle s’inspire à plein nez de la directive sur le droit d’auteur, non sans adaptations pour tenir compte des spécificités des droits des marques, brevets, dessins et modèles et autres indications géographiques.
Dans un rapport de 123 pages publié cette semaine par la Cour, et spécialement aux pages 56 et suivantes, elle fustige le statut des hébergeurs définis par la directive de 2000 sur le commerce électronique.
Pour mémoire, ce statut n’engage la responsabilité d’un intermédiaire qui vient stocker des informations à la demande des internautes, que si averti, il décide de laisser en place les données mises à l’index. S’appuyant sur les critiques des titulaires de droits, la CDC relève que « la révision de la directive commerce électronique apparaît donc indispensable et constitue une opportunité pour renforcer les obligations juridiques des plateformes dans la lutte contre les contrefaçons ».
Le régime actuel ne prévoit pas l’obligation légale « de veiller à prévenir la diffusion de contenus illicites, et notamment contrefaisants ». Les intermédiaires n’ont ainsi pas de mesures proactives à mettre en place pour traquer, surveiller, épier les éventuelles contrefaçons mises en ligne par les utilisateurs.
Pour faire évoluer ce statut, deux possibilités : la soft law ou le droit « dur ». La première piste, qui s’appuie sur des chartes et des accords entre les acteurs, n’est pas jugée suffisamment rugueuse. « Côté ayants droit, le bilan de ces protocoles au regard des indicateurs de suivi, qui ne sont pas publics, est jugé peu satisfaisant, car ils ne freinent pas la contrefaçon ».
Délais de retrait des produits « jugés lents et peu homogènes entre les plateformes », « interprétation très variable de la notion de retrait dans les meilleurs délais ». Ainsi, « les obligations sont jugées aussi trop imprécises, voire inexistantes, sur certains points cruciaux, par exemple l’identification des vendeurs ou le traçage des flux ».
L’autre piste, législative cette fois, retient davantage son attention. Parmi les précédents dans le viseur, la directive sur le droit d’auteur, et son article 17, est en bonne place.
Le précédent de la directive sur le droit d'auteur
Cet article a créé une incise dans ce régime de responsabilité puisque certaines plateformes ont l’obligation de filtrer les contenus dès lors qu’elles mettent à disposition un grand nombre d’œuvres à des fins commerciales. Les obligations s’alourdissent selon des critères de taille, de popularité, d’ancienneté et de puissance économique (notre schéma de l’article 17, ex-article 13).
« Les plateformes ont désormais une obligation de moyens, celle de mettre en place des dispositifs techniques facilitant la détection des contrefaçons, grâce à l’identification des œuvres au vu des données transmises par les ayants droit » applaudit la CDC. « Il s’agit d’instaurer une opposabilité du droit d’auteur à travers un devoir de collaboration entre les différents protagonistes, qui ne remet pas en cause l’absence de responsabilité des plateformes dès lors qu’elles déploient leurs meilleurs efforts pour empêcher les actes de contrefaçon ».
Filtre à l’upload, filtre pour détecter la remise en ligne d’un contenu déjà retiré… l’article 17 de la directive ne concerne « que » les droits d’auteur. Mais la réforme, en voie de transposition en France, est jugée suffisamment intéressante par l’institution pour être déporté dans les droits de propriété industrielle.
De nouvelles obligations sur les épaules des hébergeurs
La CDC préconise pour le coup une réforme plus ambitieuse visant à revoir la directive sur le commerce électronique. L’idée soulignée consisterait à obliger les hébergeurs à une obligation de vigilance renforcée.
« Les plateformes conserveraient leur régime de responsabilité limitée caractérisé par une absence d’obligation de surveillance générale en amont pour éliminer les contenus illicites (pas d’obligation de résultat) » indique la CDC, mais seulement « sous réserve de faire leurs meilleurs efforts pour mettre en œuvre un certain nombre de mesures de vigilance pour lutter contre les contenus illicites en général, et la contrefaçon en particulier (une obligation de moyens) ».
Quels moyens ? La Cour imagine plusieurs pistes, très ambitieuses :
- « Vérifier l’identité des vendeurs et communiquer cette information aux consommateurs »
- « Faire les meilleurs efforts pour effectuer un traçage des flux permettant d’identifier les étapes de la chaîne de distribution, communicable aux ayants droit concernés »
- « Mettre en place une procédure de notification des contenus contrefaisant, avec un délai de retrait homogène et rapide (« notice and take down »), et visant également à empêcher que des contenus déjà signalés soient remis en ligne (« stay down ») via la mise en place d’outils techniques adaptés »
- « Informer le consommateur que l’annonce du bien qu’il a acheté a été retirée après la vente au motif qu’elle concernait une contrefaçon »
- « Communiquer aux consommateurs et aux ayants droit les mesures de vigilance mises en œuvre par la plateforme concernée, afin de permettre en toute transparence une évaluation du niveau de confiance dans les transactions sur le site concerné, et également aux ayants droit de travailler avec les plateformes à l’amélioration de l’efficacité des mesures »
La CDC demande à ce titre le déploiement d’« outils techniques de reconnaissance déjà employés par certaines grandes plateformes numériques, dans le cadre d’une coopération avec les ayants droit », en somme des systèmes de reconnaissance par empreinte et de filtrage.
Ces pistes sont soufflées à la communauté dans le cadre de la réforme du Digital Service Act. Selon la cour, le respect de ces obligations pourrait être confié à une autorité de régulation. Dans le cadre de l’article 17, c’est l’ARCOM, soit le nouveau nom du CSA après absorption des compétences de la Hadopi, qui aura cette mission.
Dans ses conclusions, la cour estime « indispensable de réviser [la] directive [de 2000] afin de renforcer les obligations juridiques des plateformes et de les inciter à des diligences renforcées dans la lutte contre les contrefaçons ».
Son rapport préconise d’autres réformes comme la possibilité de saisir plusieurs noms de domaine dans une seule affaire, dès lors qu’ils seraient similaires. La voie est inspirée du droit américain où « le plaignant peut viser un très grand nombre de noms de domaines dans la même procédure, sans avoir besoin de les lier finement entre eux en démontrant de manière exhaustive le caractère contrefaisant de l’ensemble des pages des sites concernés. Les noms de domaines sont en effet automatiquement liés par leur atteinte commune à une marque ».
Le 05 mars 2020 à 16h48
Propriété industrielle : la Cour des comptes veut une « obligation de vigilance » des hébergeurs
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Le précédent de la directive sur le droit d'auteur
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De nouvelles obligations sur les épaules des hébergeurs
Commentaires (3)
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Abonnez-vousLe 05/03/2020 à 22h39
#1
J’adore, page 41 :
À ce jour, ce service [TRACFIN] n’a pas été en mesure d’établir un lien avéré entre commerce de contrefaçons et financement du terrorisme.
Une meilleure information sur le financement des activités criminelles et terroristes par l’argent du commerce de contrefaçons, serait de nature à influencer de manière positive le comportement des consommateurs.
J’ai plutôt l’impression (je ne dois pas être le seul) que ce sont les artistes inclassables qui sont terrorisés, pas les consommateurs facilement emboîtables.
Mais les empires, comme tout autre fantasme de grand soir, ou de grande nuit, sont certainement très peu adaptés pour réguler ces problèmes. Les flux également cités dans le rapport comme base d’une “topologie” n’ont pas grande utilité tout autant que c’est plus ou moins du vol par un procédé connu, le réflexif.
Ainsi, le prix du billet de banque disparaissant de l’équation, on peut spatialiser la question sans la relier à rien. C’est quand même fastoche la cour des comptes… " />
Les mesures de cohérence entre régulateurs de terrain sont plus pertinentes. " />
Le 05/03/2020 à 23h25
#2
Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage…
Le 06/03/2020 à 07h52
#3
Les intermédiaires n’ont ainsi pas de mesures proactives à mettre en place
pour traquer, surveiller, épier les éventuelles contrefaçons mises en ligne par les utilisateurs.