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Les confettis de la bataille Hadopi

Quand le bâton tomba

Les confettis de la bataille Hadopi

Le 02 avril 2020 à 07h00

La loi Hadopi a été une pierre importante dans l’histoire du Web français. Non pas tant parce que les industries culturelles sont parvenues à faire porter sur les épaules du contribuable des actions en justice qu’elles ne parvenaient ou ne souhaitaient plus assurer. 

L’épisode parlementaire a surtout été l’un des moments clefs pour mettre à niveau toute une génération d’internautes au regard des problématiques technico-juridiques que ce texte soulevait. À l’époque, les comptes rendus des audiences en séance n’étaient assurés que plusieurs jours plus tard. Il était donc difficile pour quiconque de suivre l’intégralité des débats et d’en comprendre les tenants et aboutissants.

C’était un temps où il n’était pas rare qu’un texte soit adopté sans que ceux qui n’avaient eu le temps d’en suivre l’accouchement en connaissent les raisons. Voilà pourquoi nous avions entrepris un exercice chronophage, dupliqué à d’autres reprises depuis : retranscrire en temps réel l’intégralité des débats. Par ce levier, le lecteur a pu plus facilement comprendre les amendements en jeu, les arguments en présence et la position du gouvernement (représenté par l’inévitable Christine Albanel), toujours suivie par le fidèle rapporteur, Franck Riester.

Outre le « coup du rideau », l’apothéose fut évidemment la censure constitutionnelle qui fusilla les convictions des industries culturelles, et avec elle un exécutif moutonnier. Mais avant cela, revenons un instant sur l’historique de cette loi. 

Graines de la Hadopi

Les graines d’Hadopi furent plantées non pas en 2009 ou lors des accords de l’Élysée, mais bien plus tôt. Le 17 mai 2003, dans la Déclaration de Cannes, Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture d’alors, et Jack Valenti, président de la Motion Picture Association, militaient déjà pour un usage débridé de « tous les outils technologiques pour défier les pirates ».

Le puissant représentant des studios américains souhaitait alors que la France soit « fer de lance » de cette politique. L’année suivante, des réunions ont lieu, notamment à la SACD, avec l’ARP, société de gestion collective du cinéma, mais aussi des FAI, ou encore la Procirep (société des producteurs de cinéma et de télévision), l’ALPA et évidemment les majors nord-américaines. Le 10 janvier 2005, le milieu du cinéma publie un communiqué demandant sans détour « l’application d’une riposte graduée dans les actions répressives ». Une procédure est envisagée, comme suit :

  1. Envoi d’un ou plusieurs messages d’avertissement
  2. Réduction du débit permettant à l’internaute de continuer à utiliser les fonctions d’Internet à l’exception du téléchargement
  3. Suspension de l’abonnement
  4. Résiliation de l’abonnement 

Renaud Donnedieu de Vabre, locataire de la rue de Valois, fait siens les vœux de ces lobbyistes, non sans adaptation. À l’article 24 du projet de loi DADVSI (Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information), sont envisagées des contraventions pour les échanges non autorisés sur les réseaux P2P. Ces partages échappent ainsi aux peines habituelles de contrefaçon, à charge pour un décret d’en jauger le quantum. La suite est connue.

Le Conseil constitutionnel flingue cette disposition : « Les particularités des réseaux d’échange de pair-à-pair ne permettent pas de justifier la différence de traitement qu’instaure la disposition contestée. » Il censure alors cette disposition sur l’autel du principe d’égalité devant la loi pénale. Qu’une contrefaçon ait lieu en ligne ou dans la cour de récréation, elle doit être punie de la même manière, sous peine de violer le principe d’égalité.

De plus, la loi était stupide puisqu’une contrefaçon aurait été punie jusqu’à trois ans de prison et 300 000 euros d’amende lorsque réalisée par téléchargement direct, mais par une simple contravention si opérée sur réseau P2P.

Tout l’édifice rêvé par les ayants droit s’effondre.

La chasse aux pirates, un bras de fer entre la CNIL et le conseil d'État

Au même moment, le 18 octobre 2005, la CNIL refusait d’autoriser la SACEM, la SCPP, la SDRM et la SPPF à traquer les présumés pirates sur les réseaux P2P. Il s’agissait du premier maillon de la machine Hadopi à venir quatre années plus tard.

Ces repérages allaient leur permettre de constater les délits de contrefaçon, mais également d’envoyer des messages pédagogiques. La commission leur avait rétorqué que « l’envoi de messages pédagogiques pour le compte de tiers ne fait pas partie des cas de figure où les fournisseurs d’accès à Internet sont autorisés à conserver les données de connexion des internautes ». En outre, seul le juge pouvait exiger de révéler l’identité d’une personne derrière une IP, jugeait la CNIL.

L’autorité dénonçait ainsi une collecte massive de données personnelles flirtant avec la disproportion. Le 23 mai 2007, le Conseil d’État annula cependant cette décision. Il releva notamment « qu’en l’absence de toute disposition législative en ce sens, la CNIL ne pouvait légalement refuser d’accorder les autorisations sollicitées au motif que les traitements envisagés reposaient uniquement sur des critères quantitatifs ». Il estima toutefois que ces relevés d’IP ne pouvaient servir qu’à démarrer des procédures pénales, non à envoyer des messages pédagogiques.

Fin 2007, la CNIL délivrait finalement ces autorisations, sous l’aiguillon de l’arrêt du Conseil d’État.

L'obligation de sécurisation dans la loi DADVSI

Retour à la loi DADVSI. Un article moins visible passe sans difficulté, sans doute parce qu’il se limite à enfoncer une porte ouverte. Un blabla législatif sans conséquence, pouvait-on penser alors.

L’article 25 de cette même loi DADVSI posait en effet que « le titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne doit veiller à ce que cet accès ne soit pas utilisé à des fins de reproduction ou de représentation d’œuvres de l’esprit sans l’autorisation des titulaires des droits […] en mettant en œuvre les moyens de sécurisation qui lui sont proposés par le fournisseur de cet accès ».

Par ces lignes, la loi de 2006 plantait le décor que la Hadopi allait occuper trois ans plus tard dans un nouvel épisode parlementaire. La logique fut finalement de partir de ce principe de responsabilité pour lui harnacher un régime contraventionnel, avec dans la besace une autorité indépendante et une série d’encadrements procéduraux.

Les accords de l'Élysée

Ce package a été fait selon un plan rondement mené. Après DADVSI, Christine Albanel charge Denis Olivennes, patron de la Fnac, de mettre en place la préfiguration de la riposte graduée, rapidement rebaptisée « réponse graduée » – terme un peu plus dénué de son versant militaire. La musique est alors en ébullition, rêvant de placer des « radars » sur les autoroutes de l’information pour flasher les contrevenants.

Le SNEP, syndicat des grosses majors, plaide pour du filtrage à tous les étages, en ayant même pris soin de commander une étude à Cap Gémini, révélée dans nos colonnes. Longue de 44 pages, cette étude validait « la faisabilité technique du filtrage sur haut débit » et assurait que ces restrictions allaient « désengorger les réseaux ». Elle devait « permettre de substantielles réductions des investissements liés au dimensionnement des infrastructures ». Du gagnant-gagnant.

En 2007, les accords de l’Élysée (Accord pour le développement et la protection des œuvres et programmes culturels sur les nouveaux réseaux) posent l’édifice Hadopi : une autorité publique spécialisée, placée sous le contrôle du juge, chargée de garantir les droits et libertés individuels. Elle devait surtout disposer d’un pouvoir de sanction à l’encontre des FAI qui auraient ignoré ses injonctions.

Elle aurait même eu la capacité « d’exiger des prestataires techniques [hébergeurs, fournisseurs d’accès, etc.] toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication en ligne ». Donc à mettre en place un filtrage des contenus. Cette même autorité, qui n’avait pas encore de nom, aurait été chargée de tenir un répertoire national des abonnés privés de connexion Internet suite à des téléchargements illicites sanctionnés par ses soins.

Les FAI s’engageaient de leur côté « à envoyer, dans le cadre du mécanisme d’avertissement et de sanction […], les messages d’avertissement et à mettre en œuvre les décisions de sanction ».

25,20 décisions par seconde

Les débats parlementaires ont été particulièrement houleux, nourris et parfois délirants d’incompétence. Rappelons, juste pour le citer, l’inévitable « pare-feu Open office » cher à Christine Albanel.

Parfois, ils ont été encore plus cosmiques. On se souvient de ce chiffre fourni par la même ministre, en mars 2009 : le projet de loi était calibré « au départ » pour envoyer – chaque jour ! – 10 000 emails d’avertissement, 3 000 lettres recommandées et générer 1 000 décisions pouvant conduire à une suspension d’abonnement.

Le tout décidé par un collège de trois personnes. Avec 7 heures de travail quotidien, ces 1 000 décisions par jour représentaient donc 142,85 décisions par heure. 

Le coup du rideau 

L’épisode a aussi été marqué par le fameux « coup du rideau », expression entrée dans les mœurs depuis. Ce 9 avril 2009, l’Assemblée, après le Sénat et la commission mixte paritaire, examine en dernière ligne droite le projet de loi Création et Internet. Le texte est alors gorgé de mesures très ambitieuses.

Si la modulation des débits a finalement été abandonnée, il prévoyait une peine de suspension pour les abonnés plusieurs fois avertis, accompagnée de l’obligation de payer son abonnement. « Si on se fait supprimer le permis de conduire, on continue à payer ses traites. Ce n’est pas une double peine », dixit le sénateur Michel Thiollière.

Les parlementaires avaient refusé que la riposte graduée ne soit réservée qu’aux seuls ayants droit mettant leurs œuvres au sein des offres légales en ligne. « Si on explique que ce qu’on ne trouve pas sur l’offre légale, on le trouve en volant, ce n’est pas élégant » poursuivait le même parlementaire. De retour à l’Assemblée, les députés Patrick Bloche, Jean-Pierre Brard, Martine Billard, Lionel Tardy, Christian Paul, Aurélie Filippetti et les autres « mousquetaires » démultiplient les critiques : un texte dépassé, coûteux, inefficace, techniquement difficile à mettre en œuvre… Une vraie ligne Maginot.

Lors des explications de vote, les partisans sont en légère majorité. Le texte devrait passer telle une lettre à La Poste après le discours rodé de Christine Albanel. À l’instant fatidique, certains députés UMP quittent néanmoins l’hémicycle, parfois pour aller manger, suivre les « ateliers du changement » du groupe, et même ne pas cautionner ce véhicule.

Ce flottement ouvre une brèche. Une demi-heure avant la séance, quelques députés opposés se placent dans les starting-blocks, juste à côté de l’hémicycle. « En fait, au niveau des socialistes et du groupe GDR, on avait quelques députés en réserve qu’on a fait entrer juste au moment du vote… », nous révéla la députée Marine Billard. Lors du scrutin, la poche est ouverte.

Les députés de l’opposition déboulent. Les élus PS décident à la dernière minute de ne pas faire d’explication de vote pour presser davantage encore le temps. Le rôle du président de séance de l’Assemblée nationale, ce jour-là le socialiste Alain Néry, aura été également déterminant. Un président UMP aurait trouvé des arguments pour permettre à l’UMP de sonner le tocsin. Mais pas lui. Il décide de passer au vote immédiatement, avec la complicité de ses collègues et députés PS qui refusent finalement toute intervention conclusive. Le vote « contre » l’emportera finalement à 21 voix contre 15, avec les voix de Jean Dionis du Séjour, Nicolas Dupont-Aignan et, évidemment, des députés précités.

« C’est hallucinant ! Sarkozy va piquer une crise de dingue, une colère noire, au groupe UMP, au gouvernement. Un texte rejeté comme cela, c’est incroyable ! » nous commenta à chaud un attaché parlementaire. Le gouvernement use néanmoins d’une procédure du règlement de l’Assemblée nationale pour faire repasser le texte. Cette fois, plus d’incident. La loi Hadopi 1 est votée avec 296 voix « pour » et 233 « contre ».

La Quadrature du Net, une jeune association

Le 27 mars 2008, une toute jeune association nous accorde sa première interview par la voix de l’un de ses cofondateurs, Christophe Espern. C’est la Quadrature du Net.

Les « promoteurs de projets qui nous inquiètent cherchent à résoudre un problème comparable à la quadrature du cercle dénonce-t-il. Ils n’ont pas compris que nous avons changé d’ère, que certaines approches sont dépassées, qu’il faut repenser collectivement notre façon d’aborder le contrôle de l’information. Selon nous, il est impossible de contrôler efficacement la circulation de l’information à l’ère du numérique par le droit et la technique, sans porter atteinte aux libertés publiques et freiner le développement économique et social. C’est ce que nous appelons la quadrature du net. »

Parmi ces sources d’inquiétudes, le projet de loi Olivennes sur la riposte graduée, l’extension des pouvoirs du CSA à Internet, le plan de lutte contre la cybercriminalité ou encore le projet de décret étendant la rétention des données de connexion.

Loi Hadopi 1 : des mesures adoptées, d'autres abandonnées ou censurées

Lors des débats, des mesures ont été rafistolées pour être plus présentables. Dans la version du gouvernement, une disposition prévoyait qu’en présence d’une atteinte à un droit d’auteur, « le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits […] toute mesure de suspension ou de filtrage des contenus portant atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, ainsi que toute mesure de restriction de l’accès à ces contenus, à l’encontre de toute personne en situation de contribuer à y remédier ou de contribuer à éviter son renouvellement ».

Au Sénat, la mesure sera réécrite pour laisser plus de liberté au juge, mais sans user du mot filtrage, considéré comme un gros mot. Le texte dispose ainsi que le juge est désormais en capacité d’ordonner « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ». Difficile de faire plus généreux.

Mais le filtrage allait nécessairement faire partie de ces « mesures » propres à « prévenir » un fait de piratage que les FAI devraient mettre en place. Cet article fut d’ailleurs utilisé à de nombreuses reprises, et notamment quelques années plus tard dans l’affaire dite AlloStreaming. Pour la première fois, un dossier aboutit au blocage d’une série de sites dédiés au streaming illicite de films chez les FAI, à la demande de l’industrie du cinéma.

D’autres mesures ont été abandonnées en cours de route, comme la survalorisation de l’offre légale dans les moteurs : un logo apposé sur ces sites adoubés par les industries culturelles devait conduire les services de recherche en ligne à une « mise en valeur dans la hiérarchisation des résultats et à leur référencement complet », expliquait un amendement de Patrice Martin-Lalande (UMP). En séance, Albanel assurait mordicus que ce mécanisme aiderait à valoriser l’offre légale.

Sa source d’inspiration ? Ces notes attribuées aux plages en fonction de « la pureté de l’eau et les labels qualifiant ces endroits ». Le Web, un funeste marécage où, grâce à la Hadopi, de l’eau minérale allait jaillir… Les ambitions furent finalement revues à la baisse. Dans la loi du 12 juin 2009, la Hadopi se voit avant tout confier une « mission d’encouragement au développement de l’offre légale », d’où naîtra plus tard le site LOL qui se limite à répertorier l’offre légale labellisée sans perturbation dans les moteurs. 

J'aimelesartistes.fr et la manipulation

Pour inciter les élus à voter en faveur de la Hadopi, les ayants droit avaient mis en ligne JaimeLesArtistes.fr (cache au 10 février 2009). Sur ce site, une liste de 10 000 signataires intensément favorables à la loi. Des auteurs, compositeurs, éditeurs, artistes, producteurs, réalisateurs et acteurs du monde de la musique.

Problème : comme l’avait pointé notamment la Quadrature du Net, la liste intégrait des centaines de salariés des maisons de disque (Universal, Warner, EMI et Sony) et de leurs représentants (SNEP, SCPP, SACEM) : Pascal Nègre, Hervé Rony et Laurent Petitgirard, mais aussi de simples assistants, des responsables (financiers, marketing, etc.) sans rapport direct avec les artistes.

Pire, des personnalités s’étant plus ou moins élevées contre la loi s’étaient retrouvées dans cette liste, comme Marc Cerrone ou Gilbert Montagné. Le premier avait pourtant avoué ne « jamais autant [avoir] gagné [sa] vie qu’aujourd’hui grâce aux droits dérivés alors que [ses] musiques sont pillées par les DJ pour des samples et que [ses] albums sont piratables ». Nicola Sirkis, emblématique chanteur d’Indochine, s’était quant à lui étonné de sa présence alors qu’il n’avait rien signé.

Le volet sanction de la loi Hadopi 1

Mais le très gros morceau, qui s’écrasera comme une vulgaire mouche sur le pare-brise du Conseil constitutionnel, a été le volet sanction. Puisque le législateur n’avait pu créer des micro-amendes contre les échanges illicites en P2P, la stratégie avait été de charger la barque de l’abonné Internet.

L’article L. 336 - 3 du Code de la propriété intellectuelle détaille les obligations posées par la loi DADVSI : l’abonné doit veiller à ce que son accès à Internet « ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits ».

En somme, il doit prévenir le « piratage » de musiques ou encore de films et autres séries. Sinon ? Il risque une sanction. Pour l’éviter, notre abonné doit apporter l’une des trois preuves alternatives : avoir utilisé un moyen de sécurisation labellisé par la Hadopi, « destiné à prévenir l’utilisation par une personne de l’accès » à des contenus illicites. Un moyen défini par des « spécifications fonctionnelles pertinentes » concoctées par la même autorité.

Ou bien, démontrer que l’atteinte aux droits « est le fait d’une personne qui a frauduleusement utilisé » sa connexion. Une démonstration très complexe, d’autant plus pour le profane ! Ou enfin, prouver un cas de force majeure (une météorite est tombée sur le bouton Download…).

Ce régime « n’est ni plus ni moins que la transposition d’un principe fondamental en droit, […] selon lequel on est responsable des choses de notre propre fait qui causent un dommage, mais aussi du dommage causé par les choses qu’on a sous sa garde », nous soutenait alors David El Sayegh, secrétaire général du SNEP, qui rejoindra les sommets de la SACEM peu de temps après. « Ce n’est pas une présomption de culpabilité, c’est une responsabilité par rapport à l’utilisation de la connexion ». Et celui-ci de contester notre interprétation qui concluait le contraire.

Si l’IP est repérée sur les réseaux de pair-à-pair et sans démonstration de l’une de ces trois causes d’exonération, alors l’abonné tombait dans le volet « sanctions ». Celui de la riposte graduée qui pouvait aboutir, au choix de la Hadopi, à une suspension d’accès et/ou à une injonction d’installer un logiciel de sécurisation labellisé par elle. Là encore, l’intervention du Conseil constitutionnel va être fatale pour les rédacteurs du texte.

Dans le recours révélé dans nos colonnes et déposé par le PS, les Verts et les Communistes, 11 points sont mis en avant, dont la fameuse présomption de culpabilité que refusait de voir David El Sayegh. Dans sa décision du 10 juin 2009, le conseil dénonça un tel mécanisme : « Pour s’exonérer de ces sanctions, il [l’abonné] lui incombe de produire les éléments de nature à établir que l’atteinte portée au droit d’auteur ou aux droits voisins procède de la fraude d’un tiers ». Or, « en opérant un renversement de la charge de la preuve, l’article […] institue, en méconnaissance des exigences résultant de l’article 9 de la Déclaration de 1789, une présomption de culpabilité à l’encontre du titulaire de l’accès à Internet, pouvant conduire à prononcer contre lui des sanctions privatives ou restrictives de droit ». La censure ne s’arrêta pas là.

Compte tenu du droit à la liberté d’expression et d’information, il était inenvisageable qu’une peine de suspension d’accès puisse être infligée par une autorité administrative. « En l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne, ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services. » La sanction ne pouvait incomber qu’au seul juge. Juge que voulaient absolument éviter les ayants droit, compte tenu de la publicité des décisions, du temps de traitement et des questions de coûts.

Au passage, le juge constitutionnel avait considéré qu’indirectement, l’adresse IP est bien une donnée nominative dont le traitement automatisé doit être strictement encadré. C’est là encore un coup de pied à ceux qui affirmaient le contraire, malgré les positions très claires de la CNIL, confirmée dix ans plus tard par le fameux RGPD.

Le gouvernement et le législateur seront contraints de relancer la machine infernale. Hadopi 2 sera débattue, puis votée et enfin publiée au Journal officiel le 29 octobre 2009.

Hadopi 2 passe comme un avertissement à La Poste

Le texte passe sans difficulté devant le Parlement, puis devant le Conseil constitutionnel. La mécanique change néanmoins du tout au tout. L’abonné ne risque plus qu’un mois de suspension, mais il revient au juge de décider, en sus de la contravention de 1 500 euros qui devient peine principale.

Les contrefacteurs risquent toujours une peine complémentaire d’un an de coupure d’accès. La logique de négligence caractérisée fait son entrée. Elle sera la persistance d’un défaut de sécurisation constaté par de multiples lettres d’avertissements, soit autant de rappels à la loi. Le 21 septembre 2010, nous révélions que la Commission de protection des droits, tourelle pénale de la Hadopi, venait d’adresser ses premières demandes d’identification d’abonnés.

Tous les FAI avaient été contactés, du moins les principaux (Orange, Numericable, Free, SFR, Bouygues). Toujours sur Next INpact (à l’époque PC INpact), nous apprenions que l’envoi des premiers emails débutait le 1er octobre 2010 chez Numericable et Bouygues avant d’être généralisé. Conformément à la loi Hadopi, les courriers seront transmis par ces intermédiaires au nom et pour le compte de la haute autorité.

Un charpentier, premier abonné « Hadopié »

Deux ans plus tard, nous interviewions le premier abonné condamné, en l’occurrence par le tribunal de police de Belfort. Un Kim Dot Com made in France… En fait, un charpentier dont la future ex-épouse utilisait la ligne pour télécharger.

L’exception culturelle française est sauve : « Ce sont deux musiques de Rihanna, nous confie-t-il alors, je ne peux pas vous dire les titres, je ne connais pas du tout ! C’est madame qui avait ça et je suis en instance de divorce ». Déboussolé, il avait fait venir un technicien pour nettoyer son ordinateur. Trop tard : les faits étaient constatés par la toute-puissante Hadopi.

Ce vilain « pirate », qui s’est défendu sans avocat, a dû payer 150 euros d’amende. Tout ça pour ça. 

La fin de la suspension

En juillet 2013, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture qui avait compté parmi les « Mousquetaires » Hadopi, annonce que
la peine complémentaire de suspension va être finalement abrogée. « La coupure Internet, c’est fini. Le changement c’est maintenant », s’enchante-t-elle sur le site de micro-blogging Twitter.

De fait, à l’époque, la coupure d’accès à Internet n’est en rien supprimée. Elle est toujours prévue par l’article L335-7 du Code de la propriété intellectuelle pour les faits de contrefaçon. La défaillance congénitale demeure également. Le texte prévoit en effet « la suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d’un an ». Par ces mots, le législateur n’a prévu de coupure d’accès qu’aux sites Internet, non aux messageries, aux courriers électroniques, à la visioconférence privée, à la télévision, à la téléphonie…

Autant dire qu’une mise en pratique fut et restera tout bonnement impossible. Depuis sa mise en route, la Hadopi est montée en puissance. Année après année, elle a démultiplié les envois d’avertissements. Selon un décompte total dressé en 2018, elle dépassait les 10 millions de courriers envoyés aux abonnés. Le 30 juin, elle relevait avoir fait condamner plus de 100 personnes devant les tribunaux de police, essentiellement pour des faits de négligence caractérisée.

Seule une petite dizaine de cas a été requalifiée en contrefaçon, transformation possible dès lors qu’un juge estime que l’abonné a lui-même téléchargé les œuvres sans autorisation. Soixante-deux ordonnances pénales ont été rendues. Une procédure sans débat, expéditive. Le gros des troupes a fait l’objet d’une composition pénale (731 dossiers en tout), soit une alternative aux poursuites comme les stages de citoyenneté, aux frais de l’abonné.

S’y ajoutent 11 jugements de relaxe et 232 classements de dossiers sans suite. Depuis, les chiffres se suivent et se ressemblent, tout en s’amplifiant. La question de l’efficacité reste posée. La Hadopi peut toujours affirmer qu’un grand nombre d’abonnés n’est plus repris sur le fait. Cela dit, d’autres mauvaises langues estiment que ces petits poissons ont quitté la rivière P2P pour l’océan du streaming et du « direct download », un univers où la Hadopi n’a aucune emprise.

Pour le moment.

9 millions par an, frais d'indemnisation des FAI inclus

Pour accompagner ce chantier perpétuel, la Hadopi bénéficie d’environ 9 millions d’euros de subventions votées à l’occasion de chaque loi de finances. Les dernières intègrent depuis le remboursement des fournisseurs d’accès puisque le Conseil d’État a été clair sur ce point suite à une procédure lancée par Bouygues Télécom.

Qu’il est loin le temps où le ministère de la Culture annonçait ne pas vouloir rembourser les coûts de l’identification des adresses IP, ignorant l’article 34 - 1 du Code des postes et des télécommunications… Le sujet de l’indemnisation des FAI est désormais à conjuguer au passé, tout comme l’a été le litige entre Marie-Françoise Marais et Éric Walter, premier secrétaire général de l’autorité. Celui-ci avait eu le tort de quelques grands écarts, comme cette tribune avec Laurent Chemla qui avait particulièrement déplu aux industries culturelles.

Il fut licencié par la présidente du collège, réintégré par la justice administrative, puis à nouveau cible d’une procédure de licenciement… L’histoire s’est depuis terminée, paraît-il, par un accord amiable. 


Notre émission #14h42 du 23 mai 2014, avec Laurent Chemla et Éric Walter

Hadopi, une autorité pleine d'avenir

L’avenir de la Hadopi n’est pas au ministère de la Culture proprement dit. Pour le connaître, rien de plus simple. Il suffit d’écouter les revendications du monde du cinéma avant tout.

En novembre 2018, lors des Rencontres cinématographiques de Dijon, Radu Mihaileanu, président de l’ARP, société de perception et de répartition des droits, souhaite que la Hadopi puisse opérer des transactions forfaitaires, histoire de rendre optionnel le recours au Parquet en bout de riposte graduée. Avec cette procédure, c’est finalement la Hadopi qui infligerait une sanction financière, évitant le goulet d’étranglement des tribunaux.

Une étude commandée par la Hadopi à deux conseillers d’État, révélée là aussi dans nos colonnes, avait justement conclu début 2018 à la faisabilité d’un tel dispositif. Selon ce document, « la personne contrevenante, soit sait qu’elle a été négligente (voire qu’elle est l’auteure de la mise à disposition illégale) et peut accepter de transiger et de payer la somme demandée ; soit elle s’estime innocente et elle la refusera. Pour le ‘tout-venant’ de la négligence caractérisée, cela permet d’avoir une procédure rapide, fondée sur une forme de reconnaissance par la personne de sa culpabilité ».

De même, le monde du cinéma voudrait que l’autorité soit compétente pour s’attaquer aux sites de streaming et de direct download, ce qui éviterait à ses ayants droit d’avoir à mener cette bataille sur leurs propres deniers. La chose est entendue depuis plusieurs mois. En avril 2018, Françoise Nyssen, alors ministre de la Culture, avait par exemple annoncé vouloir mettre en place des listes noires afin d’épingler les sites considérés comme illicites et couper leurs outils monétiques ou vivres publicitaires. C’est l’approche dite follow the money.

La ministre avait aussi souhaité disposer de « moyens efficaces pour bloquer ou déréférencer les sites et tous les sites miroirs qui se créent après la fermeture du site principal ». À Dijon, Franck Riester reprend les éléments de langage : « Tout doit être mis en œuvre pour les assécher de toute ressource, en lien avec les intermédiaires de paiement et les annonceurs ; cela passera par la création de ‘listes noires’ des sites pirates, et la lutte contre la réapparition des sites miroirs ».

Et l’ancien rapporteur de la loi Hadopi de regretter qu’« on s’attaque au peer-to-peer, alors que le piratage se fait en flux ou en téléchargement direct. C’est sur ce terrain qu’on doit se concentrer ». 

Hadopi supprimée, remplacée, puis finalement musclée

La Hadopi que voulait supprimer le candidat François Hollande, avant de finalement promettre son remplacement, est ainsi sur la voie du changement. La réforme tant attendue par les ayants droit est désormais programmée pour la transposition de la directive sur les services de médias audiovisuels. Une loi devrait en ce sens être adoptée en 2020.

Pour lancer un tel chantier, rien de plus simple, pourrait-on presque dire. Des esquisses sont prêtes depuis longtemps. Le 11 juin 2015, nous diffusions des bouts de l’avant-projet de loi Création, du moins la partie rédigée par Mireille Imbert-Quaretta, alors présidente de la commission de protection des droits de la Hadopi.

Deux articles devaient intégrer ce texte défendu en séance par Aurélie Filippetti, puis Fleur Pellerin. La rue du Texel se voyait confier le soin d’identifier et étudier « les modalités permettant l’usage illicite des œuvres et des objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sur les réseaux de communications électroniques ».

Elle pouvait à cette fin dresser une liste des sites « principalement utilisés pour la mise à disposition illicite d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin ». L’avant-projet de loi lui donnait la possibilité d’obtenir les « informations ou des documents » détenus par d’autres personnes publiques, les « données techniques » conservées par les opérateurs de communications électroniques, et l’ensemble des notifications adressées aux hébergeurs par les ayants droit, notamment, au cours des six derniers mois.

La Hadopi se voyait encore confier la mission d’être saisie par les ayants droit si un hébergeur n’avait pas retiré dans les temps un contenu dénoncé par eux. Dans de tels cas, la Hadopi aurait pu leur adresser une injonction « précisant les mesures qui lui paraissent de nature à faire cesser le fait litigieux ». Et donc des mesures de filtrage.

Les premières briques du nouveau projet de loi ont également été révélées dans nos colonnes. Il arme l’autorité d’une ribambelle de nouveaux pouvoirs, dont celui d’évaluer les mesures de filtrage imposées par la nouvelle directive sur le droit d’auteur, de lutter contre les sites miroirs ou encore de caractériser les sites « pirates » pour épauler la justice ou les ayants droit. La Hadopi est donc loin d’être morte, contrairement à ce que certains croient parfois.

Certes, un épisode lui a presque coûté la vie. En avril 2016, dans un hémicycle presque vide, l’Assemblée nationale examinait ainsi une proposition de loi sur le statut des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes (AAI et API). Quatre députés présents votèrent un amendement prévoyant tout simplement sa mise à mort pour le 4 février 2022, date de fin de mandat des actuels membres.

Des élus EELV avaient en effet estimé « nécessaire de remettre en question la Hadopi, comme le promettait le président de la République [François Hollande] durant la campagne présidentielle ». Le texte était passé contre l’avis du gouvernement, mais Jean-Vincent Placé, en charge de la Réforme de l’État, n’avait pas trouvé de députés socialistes dans les couloirs pour renverser ce vote. Le coup du rideau ne réussit pas à tout le monde.

En seconde lecture au Sénat, le gouvernement socialiste et les élus d’opposition, ici en majorité, annulèrent cette disposition, l’exécutif faisant adopter son amende ment supprimant le décompte mortel et garantissant la survie de l’institution au-delà de 2022. « Le changement, c’est maintenant » promettait Hollande durant sa campagne. Le projet de loi sur l’audiovisuel pourrait consacrer cette prophétie : est envisagée la fusion de l’autorité avec le CSA, lequel gagnerait de nouvelles compétences en ligne. Une vraie fausse nouveauté.

Le sujet avait déjà été évoqué en 2010, ou encore en 2013 par Pierre Lescure, ou plus récemment par Aurore Bergé dans son rapport en quête d’« une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère du numérique ».


Cet article a été publié dans le #1 du magazine papier de Next INpact distribué en janvier dernier. Il est rediffusé ici dans son intégralité et sans modification. Il sera accessible à tous d'ici quelques semaines, comme l'ensemble de nos contenus. D'autres suivront, puis le PDF complet. Pour soutenir cette démarche, précommandez le #2 de notre magazine.

Commentaires (11)

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les industries culturelles sont parvenues à faire porter

sur les épaules du contribuable des actions en justice…







“rien..que le principe, déjà..m’a suffit !




  • les ‘con.’ qui payent pour des ‘privés’ (AD)



    mais, dans quel Monde vit-on ?

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Aaah, la DADVSI, ça me rappelle à chaque fois Capitaine Orgazmo&nbsp;<img data-src=" />

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Merci de partager les articles du premier magazine.



Par contre est-il possible de l’indiquer dans le titre de l’article ou d’une autre manière visible.

Ce serait sympa de pourvoir différencier les articles d’actualités des rétrospectives issues du magazine.

En cliquant et sur le début de la lecture, je pensais que vous alliez traiter de l’activité actuelle de la HADOPI.

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Quelle honte, ce truc qui ne sert à rien, ne ralentit en rien le piratage qui est dorénavant passé au streaming, qui limite les libertés publiques et coûte de l’argent au contribuable pour rien.

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une météorite est tombée sur le bouton Download



&nbsp;<img data-src=" />

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Tu as oublié de dire que quand l’association Videolan pose la question de l’interopérabilité des moyens de protection (dont la loi leur a confié la copétence) HADOPI répond qu’ils ont pas compris la question et qu’il faut demandé à Sony …

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Licence globale SVP !

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Comme on a pas fait une licence globale publique, maintenant on ce retrouve avec une pseudo licence privé ( netfix, amazone prime), comme le voulait les aillant droit, mais au détriment des consommateurs.

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Allez, écoutes ça, tu iras mieux après <img data-src=" />



youtube.com YouTube

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En plus! Mais ça c’est la mission de la partie ARMT de Hadopi.

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Putain, j’avais oublié ce truc <img data-src=" />

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