Grand collisionneur de hadrons : une rare désintégration du boson de Higgs en deux muons
Asseyez-vous, ça va bien se passer ;)
Le 06 août 2020 à 14h10
12 min
Sciences et espace
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Deux ans après la désintégration du boson de Higgs en quarks lourds, les expériences ATLAS et CMS du Grand collisionneur de hadrons ont détecté « de premiers indices d'une désintégration rare » en deux muons, des particules bien moins massives. On vous explique en douceur de quoi il s’agit.
En 2012, la physique des particules connaissait un important chamboulement. Pour la première fois, le boson de Higgs était observé, c’était alors par les expériences Atlas et CMS du LHC (Grand collisionneur de hadrons). Cette découverte a débouché sur un prix Nobel en 2013 « pour la découverte théorique du mécanisme contribuant à notre compréhension de l’origine de la masse des particules subatomiques », attribué à Peter Higgs et François Englert, qui avaient prédit son existence dans les années 1960.
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Depuis maintenant huit ans, les bosons de Higgs ont continué d’affluer dans le Grand collisionneur de hadrons et les scientifiques en profitent pour l’étudier en détail… du moins dans la mesure du possible. En effet, un problème non négligeable est qu’il « se désintègre presque instantanément en d'autres particules »… pas facile de l’analyser en détail.
L’une des principales manières de faire est donc d’analyser « la façon dont il se désintègre en diverses particules fondamentales, ainsi que le taux de désintégration correspondant »… un peu à la manière d’un puzzle dont on n’a que des pièces.
Durant la 40e conférence internationale HEP (High Energy Physics), les équipes d’Atlas et de CMS du LHC ont présenté « pour la première fois […] de nouveaux résultats montrant la désintégration du boson de Higgs en deux muons ». Cette observation – même si elle demande encore confirmation, le CERN parlant « de premiers indices » – était attendue depuis des années.
Des révisions sur fermions, quarks, leptons, bosons, spin…
Au cours des années précédentes, d’autres désintégrations avaient déjà été observées, notamment « en différents types de bosons, comme le W et le Z, ainsi qu'en fermions lourds, comme les leptons tau », explique le CERN. Perdus dans le vocabulaire scientifique ? Pas de panique, prenons quelques minutes pour des rappels importants pour la suite.
Comme nous l’avons déjà expliqué, « tout ce qui nous entoure est constitué de particules de matière divisées en deux familles : les quarks et les leptons ». Chacune comprend six particules, l’ensemble donnant un total de 12 particules élémentaires appelées fermions. Ces constituants de base de la matière sont classés en trois « générations » (chacune avec deux leptons et deux quarks). La première regroupe les particules les plus stables et les plus légères, on perd en stabilité et la masse augmente avec la seconde génération. Il en est de même avec la troisième génération.
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Il existe aussi une autre famille de particules élémentaires : les bosons de jauge, qui sont le support des interactions élémentaires. On retrouve ainsi le photon – particule de la lumière, de masse nulle – pour l'interaction électromagnétique élémentaire. Les bosons W et Z sont quant à eux vecteurs de l’interaction faible et les gluons de l’interaction forte. Il reste donc une quatrième interaction fondamentale : la gravité. La particule porteuse devrait être le « graviton », mais il n’a jamais été observé et ne doit pas être confondu avec le boson de Higgs.
Dans le Modèle standard de la physique, ces particules élémentaires sont classées « selon une de leurs propriétés connue sous le nom de "spin", qui peut être vu comme la rotation d'un système autour de son axe. Les fermions [qui comprennent donc les quarks et les leptons, vous suivez ?, ndlr], qui constituent la matière, ont tous un spin d'une demi-unité, alors que les bosons, qui portent les forces, ont un spin de 0, 1 ou 2 unités », explique le CERN. Le graviton aurait un spin de 2, alors que gluon, W, Z et photon sont à 1, et que le boson de Higgs est à 0.
Désintégration en quarks de troisième génération en 2018…
Pour en revenir à notre boson de Higgs, les scientifiques des collaborations ATLAS et CMS annonçaient en 2018 avoir enfin observé « la désintégration du Higgs en quarks b ». Pas de panique, il ne s’agit pas d’une nouvelle particule : dans le langage des physiciens, les quarks b sont en fait des quarks – une des deux familles constituant la matière – de troisième génération, c’est-à-dire les plus lourds.
Pour être précis il s’agit du quark bottom (le quark top est aussi de troisième génération, mais avec une charge différente). Pour votre culture personnelle, dans la seconde génération on retrouve les quarks charmé et étrange, et enfin les quarks haut et bas dans la première.
Selon le Modèle standard de la physique des particules, « dans 60 % des cas, le boson de Higgs se désintègre en une paire de quarks b […] Il est crucial de confirmer ou d'infirmer cette prédiction, car le résultat viendra, soit étayer le Modèle standard – qui veut que le champ de Higgs dote d'une masse le quark et d'autres particules fondamentales – soit remettre en question les fondements du Modèle en ouvrant la voie à une nouvelle physique ».
On se retrouve dans le même cas qu’avec le principe d’équivalence de la chute libre : on teste pour vérifier et confirmer la théorie actuelle… ou savoir s’il faut partir sur une autre piste car elle a volé en éclat suite aux observations.
En 2018, le CERN résumait que les équipes du LHC avaient observé la désintégration du boson de Higgs en leptons tau, quark top et bottom ; tous de troisième génération. La suite était attendue : « Avec davantage de données, les collaborations amélioreront la précision de ces mesures, et d'autres mesures, et pourront étudier la désintégration du boson de Higgs en une paire de fermions beaucoup moins massifs appelés muons ».
Les muons sont des leptons (une des deux familles composant la matière) de seconde génération. La première génération correspond aux électrons, la troisième aux leptons taus.
… puis en muons (leptons de seconde génération) en 2020
« La désintégration du boson de Higgs en muons est un processus de physique rare, étant donné qu'un seul boson de Higgs sur 5 000 environ suit ce processus », explique le CERN. « Ces nouveaux résultats sont d'une importance capitale pour la physique fondamentale parce qu'ils indiquent pour la première fois que le boson de Higgs interagit avec des particules élémentaires de deuxième génération ».
Il n’était pas simple de trouver les « bons » muons dans les expériences : « pour chaque boson de Higgs qui se désintègre en deux muons, conformément aux prédictions du Modèle standard, des milliers de paires de muons sont produites, imitant la « signature » expérimentale attendue ».
Le CERN est néanmoins confiant dans les résultats, car cette désintégration a été mesurée par deux instruments du LHC : « CMS a vu des indices de cette désintégration avec une signification statistique de trois sigmas, ce qui signifie que la probabilité que l'indice d'une désintégration d'un boson de Higgs en une paire de muons provienne d'une fluctuation statistique est inférieure à 1/700 ». De son côté, ATLAS n’est « qu’à » deux sigmas, soit une probabilité de 1/40.
Pas encore avec une sensibilité de 5 sigmas
« La combinaison des deux résultats augmenterait la signification bien au-delà de trois sigmas et apporterait une preuve encore plus solide de la désintégration du boson de Higgs en deux muons », affirme le CERN. Le Commissariat reste néanmoins prudent et parle, à juste titre, de « premiers indices » dans son communiqué de presse.
Roberto Carlin, porte-parole de l'expérience CMS, espère « affiner ce résultat » grâce aux données qui seront récoltées durant la prochaine période d'exploitation du Grand collisionneur de hadrons, puis à la mise en place de la haute luminosité.
À l’avenir, les « collaborations ATLAS et CMS espèrent atteindre la sensibilité (5 sigmas [on est à un peu plus de 3 sigmas actuellement, ndlr]) nécessaire pour établir la découverte de la désintégration du boson de Higgs en deux muons, et fixer des limites aux théories de la physique au-delà du Modèle standard en rapport avec le mode de désintégration du boson de Higgs ».
Et voici le mécanisme de Brout-Englert-Higgs
Passons maintenant aux conséquences de cette découverte : « le boson de Higgs est la manifestation quantique du champ de Higgs, qui donne leur masse aux particules élémentaires avec lesquelles il interagit, via le mécanisme de Brout-Englert-Higgs »… mais de quoi s’agit-il ?
Dans les années 70, les physiciens ont découvert un lien étroit entre deux des quatre interactions fondamentales : la force faible et la force électromagnétique. Elles peuvent être décrites dans le cadre d’une théorie unifiée, base du Modèle standard. Par « unification », on entend « le fait que l’électricité, le magnétisme, la lumière et certains types de radioactivité sont tous des manifestations d’une seule et même force appelée force électrofaible », explique le CERN.
Ce dernier ajoute que « les équations fondamentales de la théorie unifiée décrivent de façon correcte la force électrofaible et ses particules porteuses de force associées, à savoir le photon et les bosons W et Z »… mais il y a un hic (c’était trop beau pour être vrai) : « Dans ce modèle, toutes ces particules paraissent dépourvues de masse. Or si le photon a effectivement une masse nulle, nous savons que les particules W et Z ont une masse non nulle, équivalente à près de 100 fois la masse d'un proton ». Il fallait donc trouver une solution.
C’est là que la théorie des trois physiciens fait son entrée : le « mécanisme de Brout-Englert-Higgs donne une masse au W et au Z lorsqu'ils interagissent avec un champ invisible, dit « champ de Higgs », présent dans tout l’Univers ». D’où vient-il ? « Juste après le Big Bang, le champ de Higgs était nul, mais, lorsque l’Univers a commencé à se refroidir, et que la température est tombée en dessous d’une certaine valeur critique, le champ s’est développé spontanément, si bien que toutes les particules interagissant avec ce champ ont acquis une masse. Plus une particule interagit avec ce champ, plus elle est massive ». L’air de rien, on en revient à l’exploration de milliards d’années d’expansion de l’Univers.
« Comme tous les champs fondamentaux, le champ de Higgs est associé à une particule, le boson de Higgs. Le boson de Higgs est la manifestation visible du champ de Higgs, un peu comme la vague à la surface de la mer ». Le photon n’interagissant pas avec le champ de Higgs, il garde une masse nulle.
C’est bien beau… mais ça veut dire quoi concrètement ?
Le boson de Higgs se désintègre donc en plusieurs particules (les scientifiques du CERN en ont observé plusieurs) et, en mesurant le taux de chacune elles, les physiciens peuvent déduire la force de l'interaction de celles-ci avec le champ de Higgs : « plus le taux de désintégration en une particule donnée est élevé, plus l'interaction avec le champ est forte ».
Pour l’instant, ATLAS et CMS ont observé la désintégration du boson de Higgs en différents types de bosons, comme le W et le Z, en fermions lourds (leptons tau), en quarks lourds (top et bottom) et donc en muons. Ces derniers sont, en comparaison, « beaucoup plus légers et interagissent plus faiblement avec le champ de Higgs. Ainsi, aucune interaction entre le boson de Higgs et les muons n'avait encore été observée au LHC ».
Désormais, les physiciens sont ainsi capables de mesurer les propriétés du boson de Higgs « avec un degré de précision inédit, et [peuvent] à présent étudier les modes de désintégration rares ». Une fois n’est pas coutume, cette observation ne fait qu’ouvrir une porte vers un nouveau champ de possibilités.
Grand collisionneur de hadrons : une rare désintégration du boson de Higgs en deux muons
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Des révisions sur fermions, quarks, leptons, bosons, spin…
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Désintégration en quarks de troisième génération en 2018…
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… puis en muons (leptons de seconde génération) en 2020
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Pas encore avec une sensibilité de 5 sigmas
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Et voici le mécanisme de Brout-Englert-Higgs
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C’est bien beau… mais ça veut dire quoi concrètement ?
Commentaires (12)
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Abonnez-vousLe 07/08/2020 à 07h48
Le 07/08/2020 à 08h17
Le 07/08/2020 à 09h35
J’ai presque compris, on va pouvoir se la jouer scientifique à la machine à café, merci NxI ^^
Blague à part c’est de la bonne vulgarisation et c’est tellement rare de voir la science mise en avant que ça donne encore plus de valeur à mon abo NxI !
Le 07/08/2020 à 09h39
Merci pour cet article, encore mieux lors d’un moment ou on a le temps de digérer tout ça.
Le 07/08/2020 à 11h05
Je ne suis pas expert du sujet, mais le papier de Next Inpact est très bien écrit.
Le 07/08/2020 à 14h08
J’en profite tant que je peux pour " />/ 👏 la rigueur et l’honnêteté de ces articles (grr s&v)
Mais du coup j’ai pas tout compris, il faudra compiler les articles pour l’été prochain " />
Le 06/08/2020 à 15h20
Pas sur d’avoir tout compris et encore moins apréhendé du sujet, mais c’est stylé !
Merci pour cet article !
Le 06/08/2020 à 17h12
Merci pour l’article. Pas facile pour un sujet comme celui-ci. J’étais passé à côté de l’info donc agréablement surpris de voir ça sur NextInpact. Attendons patiemment les 5 sigmas pour parler d’une véritable découverte.
Le 07/08/2020 à 04h32
Arrivera un jour ou l’on aura mesuré la valeur d’interaction de toutes les particules avec le champ de Higgs.
Et surtout le Graviton ne sera plus un mystère. Parce qu’il est attendu de pied ferme celui la.
Une fois ce stade atteint et en extrapolant il arrivera un autre jour ou l’on sera capable de créer des particules sur demande.
Je vous laisse imaginer les possibilités.
Le 07/08/2020 à 05h14
Merci pour cet article de qualité
Le 07/08/2020 à 07h46
Bravo à Sébastien. J’ai presque cru que j’avais compris et je me crois un peu plus intelligent !
Le 13/08/2020 à 05h56
Merci pour l’article.
J’étais un peu moins perdu en regardant assez souvent, pendant la lecture de l’article, ce tableau du “Modèle standard des particules élémentaires”