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La Cour des comptes recadre la Grande École du Numérique

Un « vrai besoin », à « réformer »

La Cour des comptes recadre la Grande École du Numérique

Le 09 mars 2021 à 14h15

La mise en oeuvre des missions de la Grande École du Numérique « souffre de lacunes et d'irrégularités que ses origines chaotiques n’expliquent que partiellement », déplore Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes. Il estime que « sa gouvernance est à réformer et son suivi par l'État à renforcer ».

Groupement d'intérêt public (GIP) constitué en 2016 entre l'Etat, Pôle emploi, l'association Régions de France, divers acteurs de l'emploi et de la formation professionnelle, ainsi que des entreprises privées, la Grande École du Numérique, a pour mission principale de labelliser et financer des formations.

Son objectif ? Permettre à des publics éloignés de l'emploi d'accéder à une formation aux métiers du numérique, c'est en tout cas ce que rappelle le référé, adressé à Jean Castex en décembre dernier, que la Cour des comptes vient de rendre public.

Son objet statutaire, qui « correspond à un besoin patent, tant pour l’économie que pour le soutien à l’emploi », est en effet « de répondre, sur le territoire national, aux besoins d’emploi dans le secteur du numérique et de favoriser l’insertion sociale et professionnelle des personnes éloignées de l’emploi et de la formation, en particulier des jeunes, des femmes et des publics issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville » :

« Cet objectif correspond à un vrai besoin, tant pour l'économie qu’en matière de soutien à l'emploi. En trois ans, le GIP a ainsi financé la formation de près de 28 000 stagiaires, en majorité âgés de moins de 30 ans et peu ou pas diplômés, pour un montant total d'environ 48 M€ : 24 % sont des femmes et 17 % des bénéficiaires sont issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville. »

80 % embauchés, dont 25 % en CDI

De plus, et selon les données déclaratives figurant dans les rapports d’activité du GIP, ces formations auraient eu un impact tangible sur le parcours professionnel des personnes bénéficiaires d’une formation. Ainsi, 85 % des apprenants en 2018 et 74 % en 2019 auraient bénéficié d’une embauche à l’issue de leur formation, dont 20 à 30 % en contrats à durée indéterminée.

La Cour relève toutefois que ces données déclaratives ne reflètent que partiellement la situation des personnes formées car, pour 27 % d’entre elles en 2018 et 33 % en 2019, leur situation, trois mois après la formation, n’est pas connue. D’autre part, les abandons en cours de formation ne font pas l’objet d’un suivi alors que le taux d’abandon s’élevait à 20 % en 2018 et 11 % en 2019. Au surplus, les taux affichés de sortie positive ne permettent pas de distinguer le niveau de qualification initiale des bénéficiaires des formations.

De plus, la forte sélectivité des études conduisant aux métiers du numérique en limite l’accès, déplore la Cour des comptes, au détriment des jeunes confrontés à des difficultés scolaires. Et le nombre de jeunes diplômés en formation initiale dans ces métiers – moins de 5 000 par an – reste « très insuffisant au regard des besoins des entreprises, qui ne pourront que s’accroître dans un proche avenir ».

Réformer la gouvernance

Au cours de la période 2017 à 2019, examinée par la Cour, les modalités de financement des organismes de formations retenues par l’administration, puis par le GIP après sa création, « s’écartent de la règle de droit et s’avèrent peu protectrices des deniers publics ».

Ainsi, l’usage systématique de la subvention, au détriment des procédures de commande publique, soulève-t-il des interrogations au regard des normes applicables et des pratiques courantes en matière de formation professionnelle.

La Cour a identifié 367 conventions assorties de subventions, conclues en 2016 et 2017, ayant « conduit au décaissement immédiat, sans justificatif ni contrôle, de plus de 11M€ à des organismes bénéficiaires ».

Elle estime qu'« il conviendra d’établir un bilan définitif des pertes subies par l’État » à l’issue des deux premières vagues de labellisation, en identifiant les organismes entrés en procédure de redressement et de liquidation judiciaire, et ceux qui n’auront pas réalisé les prestations de formation financées par la Grande École du Numérique ou sous son label.

Du fait des enjeux, ainsi que des difficultés de gestion constatées, il paraît nécessaire, quelles que soient les réformes à envisager, de réexaminer le rôle des instances mais également de rendre plus robuste et précis le suivi par l’État de l’activité du GIP, et d'en réformer la gouvernance.

Elle relève en outre que la Grande École du Numérique, qui n’est pas un établissement d’enseignement, remplit sa mission statutaire en donnant un label et en finançant des formations professionnelles au moyen des crédits du deuxième programme d’investissements d’avenir (PIA2) lancé en 2014, puis du plan d’investissement dans les compétences (PIC) lancé en 2017, qui lui sont délégués.

Les dispositions de la loi de finances rectificative encadrant l’emploi des crédits du PIA imposent la mise en œuvre d’un dispositif systématique d’évaluation des financements réalisés à ce titre. Or, déplore la Cour, « il est constaté l’absence de contrôle extérieur de l’emploi des fonds de la Grande École du Numérique, contrairement aux autres investissements réalisés au moyen du PIA ».

Un besoin incontestable

La création de la Grande École du Numérique « a correspondu à un besoin incontestable et le label qu’elle délivre est désormais reconnu par les acteurs du secteur du numérique », conclut le président de la Cour des comptes. Toutefois, les lacunes mises au jour par la Cour invitent à examiner deux hypothèses d’évolution du GIP pour la prochaine période.

Un premier scénario viserait à circonscrire la mission de la Grande École du Numérique à la labellisation et au financement de projets innovants de formation pour lesquels les organismes de formation ne sont pas en mesure de bénéficier de fonds publics de la part des acheteurs institutionnels.

Ce rôle conduirait à resserrer les effectifs du GIP, à approfondir leurs compétences, de sorte de labelliser et financer, le cas échéant sous forme de subventions, un nombre restreint de projets émergents dont il aurait reconnu la pertinence, avec l’objectif d’accompagner les organismes vers les financements de droit commun de la formation professionnelle.

Un second scénario, « qui semble à privilégier », consisterait à limiter l’activité de la Grande École du Numérique à la seule mission de labellisation, sans octroi de financements aux organismes de formation, considérant que la phase d’amorçage est désormais achevée.

Au regard de la notoriété réelle du label, la GEN se concentrerait sur l’identification des métiers nouveaux et des formations adaptées aux publics éloignés de l’emploi. Cela permettrait d’écarter tout risque de gestion associé au financement des organismes de formation professionnelle.

Dans cette hypothèse, conclut la Cour, le maintien de la mission de labellisation pourrait d’ailleurs être envisagé sans qu’elle soit portée par un opérateur ad hoc. Cette mission pourrait ainsi être confiée au ministère du Travail ou à France Compétences, « sous réserve de l’attribution des moyens humains nécessaires ».

Un contrôle économique et financier de l’État

Sans préjuger des arbitrages sur les scénarios d’évolution ainsi exposés, la Cour formule 10 recommandations :

  1. clarifier la définition des publics cibles et les objectifs précis de ciblage des formations sur ces derniers ;
  2. prévoir la nomination de personnalités qualifiées extérieures au GIP au sein du comité de labellisation ;
  3. appliquer la charte de déontologie et définir un dispositif de déclaration des intérêts des membres des organes de gouvernance ainsi qu’une procédure de déport ;
  4. soumettre le président et le directeur général du GIP à l’obligation de procéder à une déclaration d’intérêts et à une déclaration de situation patrimoniale auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique afin de prévenir les conflits d’intérêts, compte tenu de l’importance des fonds maniés à ce jour ;
  5. définir et appliquer une doctrine d’intervention distinguant les cas de figure donnant lieu à attribution d’une subvention et ceux nécessitant l’exécution d’un marché public ;
  6. définir une procédure interne pour assurer le respect des dispositions communautaires relatives aux aides d’État aux entreprises ;
  7. formaliser par une convention le mandat confié à la Grande École du Numérique pour le suivi des conventions du premier appel à labellisation, qui demeurent de la seule responsabilité du ministère chargé de la jeunesse et de la Caisse des dépôts et consignations ;
  8. désigner un commissaire du Gouvernement et soumettre effectivement le groupement au contrôle économique et financier de l’État ;
  9. soumettre les rémunérations des agents du groupement au contrôleur budgétaire et comptable ministériel compétent, au titre de l’exercice du contrôle économique et financier ;
  10. solliciter le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) pour la mise en œuvre d’une démarche d’évaluation et permettre sa représentation au sein de l’assemblée générale en tant qu’organisme qualifié.

La Cour rappelait en outre à Jean Castex, à qui le référé avait été transmis en décembre dernier, qu'elle pourrait, « dans le respect des secrets protégés par la loi », mettre en ligne sa réponse sur son site internet. Elle n'y figure pas, mais sans que l'on sache donc s'il y a répondu, ou pas.

Le 09 mars 2021 à 14h15

Commentaires (2)

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Grande école du numérique, une appellation très prétentieuse. La formation professionnelle est un domaine où il est très difficile d’assurer de manière efficace les objectifs fixés au bénéfice des demandeurs d’emploi. C’est un sujet trop important pour être confié à un organisme structurellement compliqué et qui de ce fait a peu de chance d’être efficace. C’est une usine à gaz. Le lien figurant dans l’article permet d’accéder au site de cette fameuse grande école, ce qui permet de se rendre compte du caractère prétentieux des objectifs tels qu’ils sont décrits. Une fois de plus l’état a concocté une structure centralisée qui n’a d’école que le nom.
Tout ça pour ça ?

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La Cour des comptes recadre la Grande École du Numérique

  • 80 % embauchés, dont 25 % en CDI

  • Réformer la gouvernance

  • Un besoin incontestable

  • Un contrôle économique et financier de l’État

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