Alors que les débats devaient perdurer jusqu’en juillet, par 59 voix contre 4, l’Assemblée nationale a adopté ce 23 juin l'ensemble du projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique.
« Trois ans d'engagement et de travail parlementaire et désormais le projet de loi audiovisuel est adopté à l'Assemblée nationale ! La souveraineté et la diversité culturelles sont des combats essentiels à mener et la France est au rendez-vous ! ». Voilà comment la corraporteure du texte Aurore Bergé (LREM) a accueilli l’adoption du texte, ce 23 juin.
Il n’aura fallu que quelques séances pour achever l’examen de l’ensemble des amendements, quand le calendrier parlementaire prévisionnel s’étirait jusqu’au 13 juillet.
Ce projet de loi prépare depuis de longs mois l’enterrement de la Hadopi, du moins dans sa version institutionnelle. La riposte graduée ne partira pas avec l’eau du bain, mais sera transférée entre les mains d’une nouvelle autorité : l’Arcom, ou Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
De fait, un CSA recarrossé, doté de nombreux pouvoirs pour lutter contre non seulement les échanges illicites sur les réseaux P2P, mais également les diffusions illicites en streaming et autres directs downloads.
La petite mort de la Hadopi
« Attendue de longue date par les deux autorités et par le monde de la culture, relève le rapport de la Commission de la Culture, cette fusion doit permettre de simplifier la régulation du secteur audiovisuel, adapter son action à la place croissante des plateformes numériques et renforcer les moyens dont dispose la puissance publique pour protéger les droits de propriété intellectuelle ».
Parmi les principaux arguments avancés pour justifier cette réforme, d’autres ont également pesé comme la nécessaire rationalisation « du paysage des autorités administratives indépendantes, dans un objectif de meilleure lisibilité de l’action publique ».
Cette fusion absorption, enfin, ambitionne « de remédier aux difficultés de gouvernance rencontrées par la Hadopi, partagée institutionnellement entre ses deux organes que sont le collège et la commission de protection des droits ». Une construction bicéphale qui rendait « difficile une gestion unifiée et limite le sentiment d’appartenance des personnels à une même institution ».
C’est donc une petite mort de la Hadopi où seul le contenant sera enterré, non le contenu.
Beaucoup plus qu’un coup de gomme
Le projet de loi ne se limite pas à une simple succession de coups de gomme et crayon entre les expressions « Hadopi » et « Arcom » dans le Code de la propriété intellectuelle. Les missions programmées par le législateur en 2009 vont être remaniées à l’occasion du passage de flambeau :
- Protection des droits d’auteurs, des droits voisins, mais également des droits d’exploitation du sport face aux atteintes commises en ligne
- Sensibilisation des publics
- Encouragement de l’offre légale et observation des utilisations aussi bien licites qu’illicites sur Internet
- Régulation des mesures techniques de protection
Et l’Arcom sera toute aussi compétente pour produire des recommandations, guides de bonnes pratiques, modèles, clauses types et autres codes de conduite. Last but not least, elle sera aussi chargée d’évaluer les accords passés entre les acteurs (ayants droit, sociétés de défense, FAI, etc.) pour tenter de remédier aux contrefaçons en ligne.
La caractérisation des sites pirates, la liste noire
Autre nouveauté : l’Arcom aura pour tâche de dresser une liste noire des sites portant « atteinte, de manière grave et répétée, aux droits d’auteur ou aux droits voisins ». Liste qui pourra être rendue publique.
Intérêt ? Cette liste va éclabousser d’autres acteurs puisqu’elle pourra être intégrée dans les accords volontaires passés entre les sociétés de gestion collective et le monde de la publicité ou les prestataires de paiement. De même les annonceurs devront rendre publiques leurs relations avec les sites épinglés, dans leur rapport annuel si elles en produisent un.
Avant d’être ainsi mis à l’index dans la liste noire pour un an maximum, l’éditeur du site sera convoqué électroniquement pour faire valoir ses observations, produire des éléments justificatifs. Les agents de l’Arcom pourront en amont solliciter des ayants droit, les autorisations d’exploitation, les notifications adressées aux sites, et autres constats effectués par les agents agréés et assermentés.
Dans un objectif de caractérisation, ils pourront aussi constater les faits de délits de contrefaçon en ligne, notamment en participant sous pseudonyme à des échanges électroniques, en reproduisant des œuvres, « extraire, acquérir ou conserver par ce moyen des éléments de preuve sur ces services aux fins de leur caractérisation » ou encore « acquérir et étudier les matériels et logiciels propres à faciliter la commission d’actes de contrefaçon ».
Les sites miroirs
C’est une autre nouveauté, qu’on retrouvait déjà en germe dans les rapports de Mireille Imbert-Quaretta de 2013 et 2014 ou dans le rapport Lescure.
Selon le résumé dressé par la commission de la Culture, « le projet de loi instaure une nouvelle procédure faisant de l’Arcom un "tiers de confiance" entre les ayants droit et les FAI pour le blocage des sites miroirs, reprenant le contenu de sites portant atteinte au droit d’auteur ou à des droits voisins et dont le blocage a déjà été ordonné par une décision de justice ».
Explication. Quand une décision de justice ordonnera des FAI le blocage d’un site contrefaisant, l’Arcom pourra réclamer à ces intermédiaires, la suppression de l’accès à tous les sites « reprenant en totalité ou de manière substantielle » le contenu du site bloqué. Cette demande pourra tout autant être étendue aux moteurs de recherche.
C’est l’autorité qui communiquera à ces acteurs les données d’identification des sites miroirs. Comme il ne s’agit que d’une demande, FAI comme moteurs pourront refuser poliment voire ignorer superbement ces missives « arcomiennes ». Seule solution dans un tel cas : revenir devant le juge pour que celui-ci ordonne les mesures destinées à faire cesser l’accès à ces sites de contournement.
Pour faciliter la collaboration entre les ayants droit et les FAI ou les moteurs, l’autorité adoptera des accords types qu’elle invitera toutes les parties à signer. Ils prévoiront « les modalités d’échanges d’information que les ayants droit peuvent partager avec les FAI quant à la violation des droits d’auteurs et des droits voisins par des contenus qu’ils ont identifiés » outre encore « les mesures de blocage et de déréférencement que les FAI concernés pourront prendre pour faire cesser l’accès aux contenus illicites ».
Rejet de la transaction pénale, voulue par les sénateurs
Les sénateurs avaient intégré au dernier stade de la riposte graduée, un mécanisme de transaction pénale. En substance ? Ou bien l’abonné paye jusqu’à 350 euros (pour une personne physique, 1 050 pour les sociétés) ou bien son dossier est transmis directement à un tribunal de police, par voie de citation directe.
Sa faisabilité juridique avait été explorée par la Hadopi en 2018, et son adoption souhaitée par les industries culturelles. Ce dispositif a finalement été repoussé par les députés, après avis défavorable de la ministre de la Culture. « Outre que le grand public montre une sensibilité extrême sur la question de la répression des pratiques des internautes, le succès de ce mécanisme n’est garanti en aucune manière : sans la certitude qu’ils seront poursuivis en cas de refus de transiger, il n’y a pas d’incitation pour les internautes à accepter de payer une amende. Je préfère allouer les moyens à d’autres mécanismes » a justifié Roselyne Bachelot.
Lors des mêmes débats, le député Michel Larive (LFI) y avait été également de ses critiques : « la transaction pénale a pour objectif de pallier le manque de moyens de la justice en substituant l’Arcom à la décision d’un juge judiciaire. Si 350 euros est un "montant relativement faible" pour le sénateur républicain auteur de l’amendement, cela représente le quart d’un salaire au SMIC à temps plein ».
C’est en effet le sénateur et rapporteur LR Jean-Raymond Hugonet qui avait introduit cette transaction pénale au fil d’un amendement où il jugeait ce montant de 350 euros comme « relativement faible ».
Le piratage des contenus sportifs traité par injonction dynamique
Cet autre pilier important du texte vient répondre juridiquement à des demandes exprimées par les gros acteurs du secteur. Un dispositif inédit calibré pour lutter contre le streaming illicite des contenus sportifs, comme aujourd’hui les matchs de foot et demain, les Jeux olympiques et paralympiques de 2024.
L’hypothèse de départ ? En cas d’ « atteintes graves et répétées » aux droits des ligues professionnelles ou des chaînes de TV, le titulaire de droit pourra saisir le président du tribunal judiciaire afin d’obtenir « toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser cette atteinte » et ce, à l’égard de toute personne.
Le texte est donc très ample. Il donne déjà quelques pistes : le juge pourra notamment ordonner, « au besoin sous astreinte », de mesures de blocage ou de déréférencement pour chacune des journées d’une compétition sportive, et ce sur une période maximale de 12 mois.
Mieux encore, l’ordonnance de blocage pourra frapper les sites identifiés, mais aussi… ceux qui ne le sont pas à la date de la décision de justice. Comment donc identifier un site qui n’est pas encore…identifiable ? Ce rôle passera d’abord par les chaînes et les ligues professionnelles. Au fil de leurs découvertes, elles communiqueront les adresses à l’Arcom. Après vérification, celle-ci demandera aux FAI et moteurs de bloquer ou déréférencer ces nouveaux sites qui n’avaient pu être visés par l’ordonnance initiale.
Là encore, si les FAI ou les moteurs ne donnent pas suite, le président du tribunal judiciaire pourra à nouveau être saisi afin d’ordonner les mesures que l’Arcom demandait.
Cette voie n’est pas vraiment privilégiée par le projet de loi puisque pour faciliter l’implication active des intermédiaires techniques, la même autorité pourra là encore rédiger des modèles d’accords entre les chaînes, les ligues, les FAI, les moteurs, etc. Accords qui contiendront les mesures que chacun s’engagera à prendre, loin des salles de jugement ouvertes au public.
Les agents habilités et assermentés de l’Arcom pourront tout autant constater les faits et participer sous pseudonyme à des échanges, reproduire des contenus, extraire, acquérir ou conserver des éléments de preuve et « acquérir et étudier les matériels et logiciels propres à faciliter la commission des atteintes aux droits ».
Composition de l’Arcom
Alors que les sénateurs plaident pour neuf membres, les députés ont préféré un collège limité à sept personnes.
Deux membres seraient désignés par le Président de l’Assemblée nationale, deux autres par celui du Sénat, après avis conforme de la commission de la culture. S’y ajouteront, un membre en activité du Conseil d’État et un membre en activité de la Cour de cassation. Et enfin le président, désigné par le Président de la République.
Les deux membres issus des deux hautes juridictions assureront tour à tour les missions aujourd’hui confiées à la Commission de protection des droits, celle en charge de la riposte graduée à la Hadopi. On passerait ainsi de trois membres à … un en charge de la phase d’avertissements jusqu’à la transmission des dossiers au Parquet. Mesure qui devrait accentuer un peu plus l’automatisme de cette tourelle.
Le texte part maintenant en commission mixte paritaire (et non en seconde lecture comme l’indique le site de l’Assemblée nationale) afin d’arbitrer les différences entre la version des sénateurs et celles des députés.
Commentaires (10)
#1
La souveraineté et la diversité culturelles sont des combats essentiels à mener..
j’en vois d’autres de “combats essentiels à mener” ?
≠ priorités !
#2
Oui, par exemple la santé. Le quoiqu’il en coûte. Ah non, pas prioritaire.
L’écologie ? Ah non, pas prioritaire.
La sécurité ? … prioritaire pour 2022 …
Bref.
(et puis la souveraineté, un combat essentiel… il est bien parti le combat, quand on voit l’état de l’industrie en France, et qu’on fait des “licence Microsoft” parce qu’on n’a pas de fournisseur de nuages - à part la ville et le climat… )
#3
“La souveraineté et la diversité (culturelles) sont des combats essentiels à mener…”
Les mêmes qui passent leur temps à rabâcher que la mondialisation, la standardisation et le nivellement par le bas sont la quintessence de la société moderne… et je retourne ma veste
#4
oui…je ne dis pas le contraire, MAIS ça DOIT venir APRES !!!
(tout est question de priorités, - qui passe en 1er ?
“l’immigration, la sécurité, la dette*, etc…
ou bien
pour nous, la question NE se pose pas !
#5
C’est sur que pendant une pandémie il est primordiale de s’attaquer au piratage…
#6
Euh là il Lapin compris. Est-ce que le “défaut de sécurisation” existe encore ? Est-ce que l’ Arcom pourra toujours trainer l’utilisateur de torrents (y’a plus personne sur la Mule) illégaux imprudent (= sans VPN) devant un tribunal ? Ou tous les efforts / budgets vont être orientés sur le déréférencement / blocage dns des sites illégaux et de leurs miroirs ?
#7
Et sinon, une dépénalisation du “piratage” si l’ayant droit ne fait pas son boulot de rendre disponible une œuvre dans le commerce ?
Non parce que c’est quand même aussi l’une des missions de l’HADOPI au passage (https://www.hadopi.fr/outils-usages/signaler-une-oeuvre-introuvable) et après avoir testé, j’ai pas vu de résultat hein, toujours impossible de payer légalement….
Parce que le “nous prenons contact avec l’ayant droit”, je pense que l’ayant droit il s’en tamponne le coquillard.
Si le seul choix est le piratage, y’a aussi un problème dans l’histoire.
#8
Et le fait que pour accéder à l’oeuvre 1 il faut un abonnement à la plateforme A
Pour l’oeuvre 2, c’est la plateforme B
Et j’imagine aussi qu’ils nous ont fait le coup de la saison 1 sur la plateforme A et la saison 2 sur la plateforme B pour certaines séries.
Bizarrement pour les livres, j’ai pas ce soucis, un seul intermédiaire : mon libraire …
#9
Si j’ai bien compris, ceux qui possèdent une seedbox chez un hébergeur ne seront (toujours) pas concernés.
#10
Si autant de fougue et de moyens pouvaient être mis pour lutter contre les spameur, ransonware et autres harcèlements téléphoniques…
C’est agréable de voir qu’on retourne progressivement au moyen age avec la noblesse d’in côté (nos politiques intouchables et indécroutables) et le clergé de l’autre (la “culture” et ayants droits de toute sorte). Bientôt le retour de l’octoi à l’entrée de chauqe ville (déguisée sous forme “écologique” crit’air) et enfin la gabelle (déjà présente sous les vocable de “prélèvements contraints”).
Bref, bienvenu au 21 siècle et sa modernité !