Boeing enchaine les déboires avec sa capsule habitable Starliner
Pendant ce temps-là, chez SpaceX…
Le 13 août 2021 à 15h46
8 min
Sciences et espace
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18 mois après son échec, la capsule spatiale Starliner de Boeing n’est toujours par retournée dans l’espace. Après de multiples retards, elle devait décoller il y a quelques jours, mais un problème sur des vannes l’a clouée au sol. Boeing n’a pour le moment pas identifié la cause et aucune date de lancement n’est donnée.
Fin 2019, Boeing effectuait un premier essai de sa capsule habitable CST-100 Starliner ; elle devait rejoindre la Station spatiale internationale (ISS) avant de revenir sur Terre quelques jours plus tard. Une ultime répétition générale avant de se lancer avec un équipage. SpaceX était passé par là également avec sa capsule Crew Dragon.
Les enjeux autour de Crew Dragon et Starliner
Un rappel tout d'abord : les Russes étaient les seuls à pouvoir envoyer des humains dans l’ISS depuis l’arrêt du programme de la navette spatiale américaine en 2011. Cela a changé l'année dernière avec la réussite de Crew Dragon, qui représentait un enjeu important pour les États-Unis et indirectement l’Europe.
Côté financier tout d’abord, la place à bord de Soyouz est facturée 85 millions de dollars par les Russes, contre 50 millions de dollars avec SpaceX. Côté indépendance ensuite, les Américains pouvant envoyer leur personnel à bord de leur fusée depuis une base de lancement située aux États-Unis. Enfin, une certaine redondance est assurée : en cas de défaillance de Soyouz, ce qui arrive parfois, une solution de repli existe.
Les États-Unis disposent ainsi de leur propre lanceur et peuvent vendre des places à d’autres, notamment l’Agence spatiale européenne (ESA). Il fallait néanmoins assurer un minimum de concurrence et face à SpaceX, un second partenaire avait été sélectionné par la NASA : Boeing. Mais il accumule problèmes et retards ces derniers mois.
Un premier essai loupé qui n’est pas passé loin de la catastrophe
L’année 2019 était compliquée pour l'entreprise, empêtrée dans ses histoires de 737 Max interdits de vol dans de nombreux pays suite à des crashs. La société pensait terminer l’année en beauté en arrimant sa capsule Starliner à la Station spatiale internationale. Mais un défaut sur une horloge interne – Mission Elapsed Time (MET), c’est-à-dire le décompte du temps écoulé depuis le lancement – en a décidé autrement.
L’incident était sans gravité pour la capsule, mais du carburant a été consommé et le rendez-vous prévu avec l’ISS n’a pas pu se dérouler. Deux jours après le lancement, Starliner revenait sur Terre sans encombre. Après plusieurs mois de réflexion, la NASA et Boeing ont décidé de procéder à un nouvel essai « à vide ».
En mars, on apprenait que la situation était bien plus grave que ce qu’il y paraissait puisque la capsule avait rencontré et corrigé durant son vol « un problème du "valve mapping software" ». Sans cela, les conséquences potentielles n’étaient « pas claires » pour Boeing, mais suffisamment importantes pour que la NASA classe l’incident comme High Visibility Close Call, c’est-à-dire proche de la catastrophe.
Fin 2020, début 2021, juillet… les reports se multiplient
Mi-2020 l’Agence spatiale américaine a adressé au fabricant pas moins de 80 recommandations. L’attente a ensuite été longue avant qu’une première date ne soit donnée. Les rumeurs allaient bon train sur un lancement en 2020, mais en novembre, Steve Stich (responsable du programme Commercial Crew de la NASA) a douché ces espoirs.
Il expliquait que le lancement ne pouvait pas se dérouler avant le premier trimestre 2021 en raison de problèmes logiciels, sans plus de détails. « Au fur et à mesure que [Boeing] continue de progresser sur le logiciel de vol et les tests, nous pourrons affiner un peu cette date », précisait-il. En janvier 2021, la NASA annonçait finalement que l’Orbital Flight Test-2 de Starliner était prévu pour le 25 mars… mais il n’a pas eu lieu.
En mai, la date glisse au 30 juillet, là encore sans être suivie dans les faits. Boeing était dans les starting-blocks, multipliant les messages à l’approche du jour « J ». Louis Atchison (responsable des opérations de lancement) expliquait que « l'équipe avait tiré des leçons importantes suite au premier test en vol orbital de Starliner ». La société tweetait que « des mois de construction et de tests robustes avaient été consacrés à cette mission ». « Lors du premier test de vol orbital, nous avons beaucoup appris […] l'apprentissage est quelque chose que nous intégrerons pour en faire un véhicule plus sûr et plus robuste », ajoutait John Vollmer, vice-président de Boeing.
L’ISS n’y met pas du sien, le lancement glisse au 3 août…
Le 29 juillet, le lancement est finalement mis en pause du fait d’événements sur l’ISS. C’est pour rappel à cette date qu’un module russe baptisé Nauka s’est arrimé à la Station mais, pour une raison alors inconnue – Roscomos expliquera plus tard qu’il s’agissait d’une panne logicielle –, il allume ses propulseurs.
L’ISS tourne alors de 540° (soit un tour et demi) sur elle-même. La situation est rapidement revenue à la normale au bout d’une heure, sans dommage humain ou matériel. Plus de peur que de mal, mais un report de quelques jours à la clé pour Starliner. Rendez-vous était donc pris pour le 3 août. Le jour « J », les conditions météo étaient incertaines, mais « les prévisions pour le lancement restaient favorables à 50 % ».
Finalement, un incident technique a fait capoter cette énième tentative de lancement.
… mais des vannes récalcitrantes en décident autrement
« Les ingénieurs de Boeing qui surveillent la santé et l'état de la capsule ont détecté des indications de position de soupape inattendues dans le système de propulsion. Le problème a été initialement détecté lors des vérifications suite aux orages d'hier dans la région du centre spatial Kennedy », explique la société.
À ce moment-là, une tentative le mercredi 4 août était évoquée, mais restait à confirmer. Rapidement, cette porte était refermée : « Il faut plus de temps pour terminer l’évaluation et, par conséquent, la NASA et Boeing ne procéderont pas à un lancement demain ». « Nous ne lancerons pas tant que notre véhicule ne fonctionnera pas nominalement et que nos équipes ne seront pas convaincues qu’il soit prêt à voler », affirmait John Vollmer.
Il faut dire que la société n’a plus vraiment le droit à l’erreur. La fusée Atlas V d’United Launch Alliance et la capsule sont ramenées à la Vertical Integration Facility (VIF) d’ULA pour des examens complémentaires. Une plateforme a été installée afin de procéder à des vérifications sur la capsule sans la démonter du lanceur.
L’incident n’est pas terminé, les causes restent à identifier
Le 9 août, les travaux avançaient dans le bon sens : « Boeing a effectué des inspections physiques et des échantillonnages chimiques à l’extérieur d’un certain nombre de vannes touchées, ce qui n’a révélé aucun signe de dommage ou de corrosion externe. Les équipes utilisent désormais des techniques mécaniques, électriques et thermiques pour inciter les vannes à s’ouvrir. 7 des 13 vannes fonctionnent maintenant comme prévu ».
Le 12 août, 9 vannes étaient en état de marche, mais il en restait donc toujours 4 récalcitrantes. « Au cours des deux derniers jours, notre équipe a pris le temps nécessaire pour accéder et tester en toute sécurité les vannes affectées, et ne pas laisser la fenêtre de lancement dicter son rythme », affirme John Vollmer.
Problème, les causes de cet incident ne sont toujours pas identifiées. En parallèle des travaux de remise en état, une enquête a évidemment été ouverte par Boeing et ses partenaires. Concernant un nouveau lancement, la société indique simplement travailler avec l’Agence spatiale américaine et United Launch Alliance « pour confirmer une nouvelle date de lancement lorsque le vaisseau spatial sera prêt ».
Ça commence à faire beaucoup là, non ?
Cela fait maintenant plusieurs jours que les ingénieurs de Boeing travaillent (probablement d’arrache-pied) pour identifier les causes de l’incident et en corriger les conséquences… sans succès pour le moment.
Vendredi 13 août, Boeing annonce finalement que la capsule va être retirée de la fusée Atlas V et retourner au Commercial Crew and Cargo Processing Facility afin de subir des analyses approfondies. « Nous continuerons à travailler sur le problème depuis l'usine Starliner et avons décidé de nous retirer de cette fenêtre de lancement pour laisser la place à d'autres missions prioritaires nationales », explique John Vollmer. Le lancement de la capsule va certainement prendre des semaines, voire des mois, de retard supplémentaire.
Il serait temps que ce projet aboutisse. Certes, aucune vie n'est en jeu dans l’immédiat, mais la société cumule les casseroles depuis près de 18 mois. Réussir cet Orbital Flight Test-2 est très certainement une condition sine qua non pour passer aux vols habités, puis concurrencer SpaceX sur ce marché.
Boeing enchaine les déboires avec sa capsule habitable Starliner
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Les enjeux autour de Crew Dragon et Starliner
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Un premier essai loupé qui n’est pas passé loin de la catastrophe
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Fin 2020, début 2021, juillet… les reports se multiplient
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L’ISS n’y met pas du sien, le lancement glisse au 3 août…
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… mais des vannes récalcitrantes en décident autrement
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L’incident n’est pas terminé, les causes restent à identifier
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Ça commence à faire beaucoup là, non ?
Commentaires (3)
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Abonnez-vousLe 14/08/2021 à 05h58
Boeing est en train de payer des années d’externalisation et de délocalisation.
Le 15/08/2021 à 13h33
Ce problème de valve m’intrigue… Serait-ce possible que ce soit lié basiquement au matériau choisi pour les fabriquer (sur-mesure, je suppose) ?
Certain matériaux en effet se comportent merveilleusement en laboratoire, ou dans les conditions contrôlées d’un hangar de fabrication, mais confrontés à certaines conditions atmosphériques / température / humidité / météo se mettent à dérailler sec, si je puis m’exprimer ainsi…
En particulier des pièces aussi importantes et stratégiques que des valves, absolument cruciales sur un engin spatial, j’avais lu un article comme quoi des valves pouvaient littéralement “coller” (en gros, bloquer) si elles n’avaient pas été fabriquées avec suffisamment de soin et surtout testées - quasiment - une à une dans des conditions aussi proches que possible de la réalité.
Mais voilà, les tester une à une (même si beaucoup de tests sont automatisés), ça fait décoller les couts avec une force…
Ce serait bien d’avoir l’avis d’un ingénieur sur la question des pièces détachées en général.
Le 16/08/2021 à 18h12
+1.
Il y a aussi une dérive depuis plusieurs années sur le laxisme et le je-m’en-foutisme du management, et la société Boeing le paye aujourd’hui. Pas seulement Starliner et le 737-MAX, mais aussi le nouveau 777X qui est en retard, de nouveaux problèmes sur le 787, et cetera…