Antimatière : au CERN, la comparaison « la plus précise » entre protons et antiprotons
All that she wants is another proton
Le 10 janvier 2022 à 14h23
8 min
Sciences et espace
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Une équipe du CERN a « mesuré avec une précision inégalée les rapports entre la charge électrique et la masse (rapport charge sur masse) pour le proton et l'antiproton ». Pas de révolution : ils sont identiques, validant une nouvelle fois le Modèle standard.
Alors que le Grand collisionneur de hadrons (LHC) se prépare à reprendre du service, les résultats scientifiques découlant des précédentes phases d’expérimentation continuent de tomber. C’est le cas de la collaboration BASE (Baryon Antibaryon Symmetry Experiment) qui « cherche à réaliser les mesures les plus précises du moment magnétique du proton et de l’antiproton afin de comparer matière et antimatière ».
Elle vient d’annoncer deux résultats : « la comparaison la plus précise à ce jour entre les protons et les antiprotons, ainsi qu’une étude visant à déterminer s'ils se comportent de la même façon sous l'influence de la gravité ». Les travaux ont été publiés dans Nature.
La précision des mesures multipliée par quatre
Les résultats montrent que les rapports sont identiques pour le proton et l'antiproton… « dans les limites d'une incertitude expérimentale de 16 millionièmes de millionièmes ». Ce dernier point est très important. À défaut de pouvoir établir une concordance parfaite, les chercheurs améliorent sans cesse la précision afin de tenter de débusquer le moindre écart.
Stefan Ulmer, porte-parole de l'expérience, affirme que « ce résultat représente le test direct le plus précis d'une symétrie fondamentale entre matière et antimatière réalisée avec des baryons – particules composées de trois quarks – et leurs antiparticules ».
Par rapport à la précédente comparaison entre les rapports charge sur masse, la précision a été améliorée d’un facteur quatre.
Le Modèle standard résiste encore et toujours
Comme avec le principe d'équivalence de la chute libre, les scientifiques cherchent à mettre en défaut le Modèle standard de la physique – « la théorie des particules et de leurs interactions la plus solide à ce jour ».
Celle-ci prévoit que les particules de matière et d'antimatière peuvent différer, par exemple dans la manière dont elles se transforment en d'autres particules, mais que « la plupart de leurs propriétés, y compris leur masse, doivent être identiques ».
Ainsi, le moindre écart aussi minime soit-il (dans la limite des incertitudes de mesures évidemment) entre la masse du proton et celle de l'antiproton – ou les rapports charge/masse – « briserait une symétrie fondamentale du Modèle standard, appelée symétrie CPT, et pourrait indiquer la présence de nouveaux phénomènes de physique au-delà du Modèle standard ». Cela ouvrirait grand la porte à d’autres théories.
Si un écart devait un jour être mesuré, cela pourrait aussi apporter des éléments de réponse à un mystère : « la raison pour laquelle l’Univers est entièrement constitué de matière, alors que matière et antimatière doivent avoir été produites en quantités égales lors du Big Bang ».
En effet, les différences entre les particules de matière et d'antimatière compatibles avec le Modèle standard « sont trop faibles pour expliquer ce déséquilibre cosmique observé ». Or, comme toujours en physique, les observations priment sur les hypothèses, aussi belles soient-elles.
Mais comment mesure-t-on le rapport charge/masse ?
Passons à la partie technique, avec les explications détaillées du CERN. Pour réaliser les mesures, les scientifiques ont confiné dans un piège de Penning des antiprotons et protons, remplacer par des ions d'hydrogène négatifs, c’est-à-dire un atome d'hydrogène qui a capturé un électron supplémentaire :
« Dans ce dispositif, une particule suit une trajectoire cyclique avec une fréquence proche de la fréquence cyclotron, qui est proportionnelle à l'intensité du champ magnétique du piège et au rapport charge sur masse de la particule.
Après avoir alimenté le piège tour à tour en antiprotons et en ions d'hydrogène négatifs, l'équipe a mesuré, dans les mêmes conditions, les fréquences cyclotron de ces deux types de particules, et a ainsi pu comparer leurs rapports charge sur masse respective.
Réalisées au cours de quatre campagnes menées entre décembre 2017 et mai 2019, ces mesures ont permis d'établir plus de 24 000 comparaisons de fréquences cyclotron, chacune d'une durée de 260 secondes, entre les rapports charge sur masse des antiprotons et ceux des ions d'hydrogène négatifs ».
Les scientifiques multiplient les mesures et les comparaisons afin de réduire au maximum les incertitudes liées aux instruments et aux mesures. Quoi qu’il en soit, aucune différence n’a été relevée, « dans les limites d'une incertitude expérimentale de 16 millionièmes de millionièmes ».
Le Modèle standard résiste
C’est d’ailleurs généralement tout le problème en physique : il faut sans cesse améliorer la précision des mesures pour tenter de mettre à mal le Modèle standard, qui résiste encore et toujours aux « attaques » pour le moment. Un seul contre-exemple suffirait à ouvrir la voie à d’autres modèles de physiques.
Si ces expériences ne permettent pas de remettre en cause nos connaissances sur la physique, elles ont dans tous les cas un intérêt : « fixer des limites strictes aux modèles au-delà du Modèle standard qui violent la symétrie CPT ». En effet, les modèles que l’on pourrait imaginer doivent être compatibles avec les mesures de la collaboration BASE, qui ajoutent donc des contraintes.
Le principe d'équivalence faible en cadeau bonus
La collaboration BASE en profite pour affirmer que ces résultats ont également permis de « mettre à l'épreuve une loi de physique fondamentale connue sous le nom de "principe d'équivalence faible" ». Le CNRS rappelle de quoi il s’agit :
« Depuis Galilée, on a compris que dans le vide, les kilos de plumes tombent toujours à la même vitesse que les kilos de plomb. Techniquement cela signifie que la masse gravitationnelle d’un objet (celle qui le fait tomber) et sa masse inertielle (celle qui le fait résister à sa mise en mouvement) sont identiques : c’est ce qu’on appelle le principe d’équivalence faible ».
Attention, il est très important de bien noter que cela ne fonctionne que dans le vide. Une démonstration assez impressionnante – et déroutante à regarder – a été menée il y a plusieurs années sur Terre par Brian Cox de la BBC. On peut voir tomber à la même vitesse une plume et une boule de bowling. Cela se passe évidemment dans une immense chambre à vide.
On peut également citer le fameux lâcher de marteau et d'une plume par l’astronaute David Scott, lors de la mission Apollo 15 sur la Lune.
L’expérience BASE dont il est question aujourd’hui sur le rapport charge/masse de la matière et de l’antimatière se déroule à la surface de la Terre. Conséquence logique et incontournable, « les mesures de la fréquence cyclotron des protons et des antiprotons ont été réalisées dans le champ gravitationnel présent à la surface de la Terre ».
Ainsi, « toute différence entre l'interaction gravitationnelle des protons et celle des antiprotons se traduirait par un écart entre la fréquence cyclotron des protons et celle des antiprotons ». Or, en prenant en compte toutes les variables (dont on vous passe les détails…), les scientifiques « n'ont trouvé aucun écart et ont fixé une valeur maximum de trois centièmes à cette mesure différentielle ».
Stefan Ulmer explique que « cette limite est comparable à la précision initialement visée par les expériences étudiant la chute de l'antihydrogène dans le champ gravitationnel de la Terre ». Ainsi, même si BASE n'étudie pas directement la chute de l'antimatière dans le champ gravitationnel de la Terre, « notre mesure de l'influence de la gravité sur une particule d'antimatière baryonique est très similaire sur le plan conceptuel, et elle ne fait apparaître aucune anomalie dans l’interaction entre l'antimatière et la gravité au niveau d'incertitude atteint ».
Bref, les protons et antiprotons se comportent de la même façon sous l'influence de la gravité terrestre. Avec les mesures sur le rapport charge/masse, les résultats de BASE ne remettent pas en cause nos connaissances actuelles sur la physique, mais ils dressent de nouvelles lignes à ne pas franchir pour des concepts « au-delà » du Modèle standard. Avancer en physique, c’est aussi parfois avoir l’impression de faire un peu de surplace…
Antimatière : au CERN, la comparaison « la plus précise » entre protons et antiprotons
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La précision des mesures multipliée par quatre
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Le Modèle standard résiste encore et toujours
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Mais comment mesure-t-on le rapport charge/masse ?
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Le Modèle standard résiste
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Le principe d'équivalence faible en cadeau bonus
Commentaires (11)
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Abonnez-vousLe 10/01/2022 à 17h20
Hmmm belle cuisine, le centre antimatière du CERN !
Faut pas marcher sur un câble, hein ?
Le 11/01/2022 à 09h52
J’aime beaucoup le panneau sortie de secours qui pointe vers un gros tas de machins pleins de câbles… ça ferait une belle nouvelle de SF.
Le 10/01/2022 à 18h36
Cette potentielle différence entre la matière et l’antimatière est une piste qui peut expliquer, du moins aider à comprendre, pourquoi nous fait de matière et que l’univers observable est lui aussi fait de matière. Mais c’est peut-être totalement à coté de la plaque, et cette expérience confirme ce que nous savons déjà, mais qu’il faut confirmer encore et encore…
Rien que ça. La relation entre l’infiniment petit et l’infiniment grand me fascine.
En cette période de fake news et de croyances en tout genre, parler de comment on fait de la Science, et qu’une découverte peut remettre en cause ce que l’on sait déjà, forçant à repenser une grande partie du modèle, c’est de salubrité publique !
Le 10/01/2022 à 18h43
Ce sous-titre sorti d’outre-tombe…
Beaucoup ne vont pas comprendre
Le 11/01/2022 à 08h12
Ne sous-estime pas la moyenne d’âge des lecteurs de NXI…
Le 10/01/2022 à 20h16
Je n’ai pas encore lu l’article mais je suis obligé de commenter pour le sous-titre, que je ne peux que valider 😂
Ça ne nous rajeunit pas ahah !
Le 10/01/2022 à 20h53
Fallait pas jeter l’anti-proton avec l’eau lourde.
Le 10/01/2022 à 21h02
Ca sent le fan de musique suédoise, tout ça. It’s a Sign ! Quel as, ce Seb…
Le 10/01/2022 à 21h29
Pour nous briser les symétries ABBA ce sera peut-être au prochain article sur CPT…
Le 11/01/2022 à 09h08
Ce qui tendrait à prouver que le great reppeler n’est pas un amas d’antimatière.
Donc autre chose…
Le 11/01/2022 à 10h19
J’ai dit beaucoup, pas tous