IDM 2.0 : Intel veut devenir un fondeur comme les autres (mais souverain)
x86 + RISC-V ? C'est possible
Notre dossier sur le renouveau d'Intel sous Pat Gelsinger :
Le 25 mars 2021 à 08h07
9 min
Hardware
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La tendance au tout modulaire d'Intel visait à simplifier la conception de ses puces, mais pas seulement. Si la société produira certains éléments chez des tiers, elle veut désormais leur faire concurrence en ouvrant ses usines et solutions à des clients externes, se présentant comme un acteur de la souveraineté occidentale.
Mardi soir, Pat Gelsinger prenait la parole pour faire le point sur la stratégie d'Intel d'ici à 2023, évoquant la croissance continue de la part du 10 nm dans son offre, la migration au 7 nm d'ici deux ans. Il a également confirmé la tendance au tout modulaire, via des architectures hybrides comme Alder Lake, ou hétérogènes (XPU).
La vraie révolution d'Intel : une modularité à tous les étages
Mais ces choix ne sont pas les siens. Ils découlent de travaux en cours depuis des années au sein d'Intel. Que ce soit à travers la conception des liens EMIB ou du projet Foveros pour le stacking 3D. Ils ont déjà mis en œuvre au sein de plusieurs produits ces dernières années, comme Kaby Lake-G ou Lakefield qui ont permis de premiers essais.
La modularité de ses produits, cela fait des années qu'Intel y travaille
Mais le géant de Santa Clara a surtout opéré un gros travail de modularisation des fonctionnalités de ses processeurs, de ses blocs IP, notamment sous le regard de Jim Keller. L'objectif était de faciliter leur réutilisation d'une architecture à l'autre, leur intégration à sa stratégie modulaire, mais pas seulement.
Car l'un des grands plans d'Intel était de pouvoir les ouvrir à des tiers, en revoyant complètement la stratégie de la fonderie qui était strictement réservée aux produits Intel, à quelques exceptions près. Un choix qui a désormais été acté, que Gelsinger vient d'officialiser avec une dénomination marketing adaptée : IDM 2.0.
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La capacité de production, l'une des forces d'Intel
À ceux qui se gaussaient de rumeurs sur la vente de la fonderie, poussées par des fonds activistes, ou le recours à des concurrents pour produire ses principales puces, Pat Gelsinger répond fermement : l'objectif d'Intel est bien de renforcer ses positions en la matière, alors que le besoin en semi-conducteurs n'a jamais été aussi élevé.
Une situation qui ne risque pas de s'arranger et qui montre bien que le choix d'Intel d'avoir ses propres usines de fabrication et de les préserver à travers les années était le bon. Même si comme pour toute activité, notamment quand elle est technique, sur des cycles longs et dépend des paris de la R&D, il peut y avoir de douloureux ratés.
Malgré la période tragique du 10 nm, la capacité d'Intel à produire ses propres puces est toujours vue comme l'une des principales clés de son succès, alors que nombre de ses concurrents dépendent de la manière dont Samsung et TSMC répartissent leur capacité de production entre leurs différents clients, menant parfois à des pénuries.
Ces usines permettent également son indépendance en cas de crise ou face aux décisions de puissances étrangères. Elles continueront donc de produire majoritairement des produits Intel. Mais le modèle IDM (Integrated Device Manufacturer) de l'entreprise passe en v2, s'ajustant à la réalité des besoins de 2021.
IDM 2.0 : renforcer la fonderie et s'ouvrir à l'extérieur
Car l'expérience a montré qu'il pouvait parfois être utile de se reposer sur des partenaires pour la fabrication de certains éléments, moins stratégiques et complexes. Un choix qui a par exemple été fait avec certains chipsets, lorsque la demande a largement dépassé la capacité de production en 14 nm ces dernières années.
Lorsque la fonderie d'Intel prend du retard, une telle flexibilité peut aussi permettre de faire avancer certains produits sans attendre. Ce sera le cas avec son premier GPU dédié grand public, Xe HPG qui devrait bientôt être annoncé et sera produit par TSMC. L'approche plus modulaire des produits va dans le même sens, avec certains éléments de Xe HPC (Ponte Vecchio) qui seront aussi externalisés chez TSMC, le reste étant gravé en 10 nm Intel.
Ce recours à des tiers va donc prendre une part croissante dans la stratégie d'Intel, même lorsque l'entreprise aura rattrapé son retard sur l'évolution de ses process de gravure. Global Foundries, Samsung, TSMC et UMC sont ainsi présentés comme des partenaires à qui la société passera un nombre croissant de commandes pour diverses catégories de produits à l'avenir, selon les besoins. Elle sera à la fois leur client, mais aussi leur concurrent.
Intel foundry services
Car cette ouverture croissante ira également dans l'autre sens. Intel veut devenir un fondeur comme les autres, proposant à des clients tiers afin de produire leurs puces, mais aussi des services qui lui sont propres. Cela prend la forme d'une mini-réorganisation à travers la création d'une nouvelle unité nommée Intel foundry services (IFS). Elle est dirigée par le Dr. Randhir Thakur, placé directement sous la responsabilité de Pat Gelsinger.
Pour rappel, Intel produisait déjà des solutions « semi-custom », exploitant ses solutions Atom, pour des tiers sous certaines conditions. Cette stratégie se veut désormais plus globale, la société investissant au passage pour adapter ses designs et outils de conception en concertation avec d'autres acteurs, comme Cadence ou Synopsys.
Dans la liste des partenaires « enthousiastes », on note également la présence de SiFive, une société qui s'est notamment fait remarquer en proposant de concevoir des solutions basées sur l'architecture ouverte RISC-V.
Des éléments intéressants, alors que de plus en plus d'entreprises conçoivent leurs propres puces comme des contrôleurs ou des accélérateurs, autour d'architectures comme ARM ou RISC-V. Ce sont autant de clients potentiels à qui Intel pourra proposer ses capacités de production sur des process actuels ou à venir. Car comme on peut le voir ci-dessus, la demande principale est loin d'être sur les solutions les plus avancées techniquement.
Mais le géant américain compte bien leur faire aussi profiter de ses solutions comme EMIB ou Foveros en fournissant des bloc IP prêts à l'emploi qu'il s'agisse de cœurs CPU x86, des solutions graphique, multimédia, réseau, briques d'interconnexion, etc. C'est là le véritable grand changement, qui risque de chambouler le marché.
Pour Intel, ce sera un équilibre à trouver et des choix à faire lorsqu'il faudra décider si tel ou tel élément d'une puce doit être fabriqué en interne ou plutôt externalisé au profit de la production de solution pour des tiers. Un nouveau métier qu'il lui faudra apprendre. Les décisions seront prises selon les intérêts en termes de performances, de coût et de besoin a indiqué Gelsinger qui compte sans doute d'abord se focaliser sur la production de processeurs personnalisés selon les besoins de ses différents clients, ce que permettent ses prochaines architectures.
De nombreux grands noms seraient intéressés, Amazon, Cisco, Google, Ericsson, IBM, Microsoft, Qualcomm étant cités. Apple a également été approchée. Un partenariat est également établi avec IBM pour financer des recherches dans le domaine de la conception et la gravure de puces, mais aussi les solutions de packaging et d'interconnexion.
Souveraineté et emplois pour obtenir le soutien politique
Pour Intel, ce marché représente 100 milliards de dollars d'ici à 2025. Une piste de croissance intéressante pour la société qui espère bien prendre une belle part de ce gâteau. Ce n'est d'ailleurs pas la seule idée qu'elle a derrière la tête.
Car elle développe depuis des mois un narratif la présentant comme un acteur de la souveraineté américaine... et européenne puisqu'elle dispose de nombreuses usines et équipes sur notre continent. Avec son recours plus important à l'EUV, vanté hier par Gelsinger pour la conception du 7 nm, Intel dépend d'ailleurs de manière croissante d'un acteur européen qui est également au cœur de la stratégie de TSMC : le néerlandais ASML.
La multinationale invite ainsi les pouvoirs publics à la voir comme un allié de taille, face aux géants asiatiques notamment, permettant à tout un écosystème de concevoir et développer des puces tout en les faisant fabriquer au sein de ses infrastructures, actuelles ou à venir. Un argument qui a pris du poids chez les politiques et leurs électeurs ces dernières années, d'autant plus en ces périodes de tensions diplomatiques avec la Chine.
Le fondeur ne manquera pas de le rappeler lorsqu'il se proposera pour des projets stratégiques pour des états, pour concevoir des puces, les fabriquer et/ou les fournir. Intel vient par exemple de s'associer à la DARPA et Microsoft outre-Atlantique pour la conception d'accélérateurs dédiés au chiffrement homomorphe.
Mais Intel tiendra aussi ce discours lorsqu'il annoncera la construction de nouvelles usines. Il vient d'ailleurs de le faire avec deux nouvelles « fab » sur son site d'Ocotillo en Arizona, un investissement de 20 milliards de dollars avec 3 000 emplois qualifiés à la clé. Une initiative qui se fait avec le soutien de l'État et de l'administration Biden. D'autres annonces du même genre pourraient être faites dans le courant de l'année, aux USA et en Europe.
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Commentaires (12)
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Abonnez-vousLe 25/03/2021 à 08h37
Choix intéressant. Surtout vu l’ambiance actuelle.
Ils ont en plus largement les moyens de leurs ambitions.
La vraie question est surtout pourquoi ils galerent autant et si longtemps sur l’évolution de leur gravure
Le 25/03/2021 à 08h53
De ce qu’il a dit hier, vraisemblablement, lors du lancement du 10nm et 7nm, ils voulaient avoir recours le moins possible à l’EUV car à l’époque où ils se sont lancés, la fiabilité de l’EUV n’était pas là.
Et ils ont semble-t-il poussé dans une autre direction alors que l’EUV s’est finalement révélé être le bon choix. Ils ont donc du faire machine arrière.
Le 25/03/2021 à 09h06
Parce que ce sont des process qui se développent sur plusieurs années. Quand ça merde, ça prend aussi plusieurs années. Là ils finissent seulement de payer la facture des conneries de l’ère BK (3 ans), revenir dans la course demandera encore un peu de temps (d’où le focus 2024⁄2025 de la nouvelle équipe).
Le 25/03/2021 à 15h31
Ces décisions de Pat Gelsinger montrent qu’il a une vraie vision de ce que doit devenir Intel d’ici 5 à 10 ans, c’est intéressant et ça fait du bien de lire des présentations de stratégies intéressantes. Rien à voir avec le bullshit qu’on entend souvent dans la communication financière d’entreprises menés par des financiers ou autres “mercenaires” soumis à des fonds activistes.
Vous faites d’ailleurs bien de montrer l’opposition entre la vision de Gelsinger et les demandes agressives de ces “fonds activistes” qui sont prêt à tout vendre à la découpe afin de faire des profits de court terme quitte à handicaper l’entreprise pour l’avenir alors que son positionnement intégré est entièrement pertinent.
Le 25/03/2021 à 16h03
Comme dit au début de l’article, le gros des décisions annoncées cette semaine datent de bien avant Pat Gelsinger. Certes, c’est lui qui les porte et il arbitre sur certains points, mais des tendances aussi lourdes ne se décident pas en trois semaines. Tout cela est préparé depuis des années.
Le 25/03/2021 à 21h36
Je m’en doute, mais visiblement ses prédécesseurs n’ont pas été capable de porter ces choix et décisions face au public, aux partenaires et aux actionnaires.
Le 26/03/2021 à 04h39
Notamment parce que le plan c’était d’attendre qu’un PDG (autre que Swan qui était là un peu par défaut pour assurer un long intérim) soit nommé pour que ce soit le cas ?
Pour le reste et comme dit à travers les différents articles, pas mal des éléments étaient déjà connus et/ou distillés dans des évènements précédents sur lesquels ont a déjà écrit. Mais l’ancienne équipe a tout mis en place pour qu’une nouvelle puisse porter ça publiquement.
C’est bien qu’elle le fasse, mais on ne peut pas attribuer à PG le mérite de ce qui a été annoncé. On pourra le faire pour la période qui suivra et “l’exécution” du plan par contre.
Le 26/03/2021 à 13h59
j’ai bien lu il y a quelques mois que le sgx allait être abandonné, cela va poser un petit problème pour la lecture des blu-ray 4k il me semble, ou peut être intel va t il trouver un palliatif, suspens.
Le 26/03/2021 à 15h21
Je ne vois pas trop le rapport avec elle sujet, mais quand bien même ce serait le cas, qu’est-ce que ça changerai ? Il y a des tas de composants sans Intel SGX qui gèrent la chaîne HDCP
Le 29/03/2021 à 05h29
A mon avis, ce qu’il veut dire, c’est que ce jeu d’inistruction est, jusqu’à aujourd’hui, obligatoire pour lire un blu-ray 4k directement sur un pc. Ce qui m’a un peu contrarié vu que je fais partie des dinosaures qui aiment bien avoir un support physique et que je suis passé chez AMD. Il ne m’est donc pas possible de profiter de ce support sur mon pc.
Le 30/03/2021 à 14h56
oui c’est ça…j’ai un peu du mal à concevoir, comment les ps5/xbx à base de même architecture (amd etc) peuvent lire les blu-ray 4k et pas nous…l’abandon de ce support/sécurité ouvre t il une porte ? la referme t il…
Le 30/03/2021 à 15h34
C’est une restriction de PowerDVD, donc ce sera à Cyberlink qu’il faudra demander. Mais comme dit plus haut, la chaine HDCP se gère très bien sans SGX. C’était le cas avant, ce sera sans doute le cas à l’avenir.