Quand le portail Open Data de l’Enseignement supérieur fait grincer des dents
La vérité si l’enseignement ?
Le 03 novembre 2014 à 13h20
8 min
Internet
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Il y a quelques mois, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche lançait son propre portail d’Open Data. Mais aujourd’hui, cet outil suscite les critiques de plusieurs organisations citoyennes, qui y voient un « coup de com’ » de l’exécutif, notamment parce que ce site fait dans une certaine mesure doublon avec le portail national « data.gouv.fr ». Explications.
Le 24 avril dernier, à l’occasion de la Conférence de Paris sur l’Open Data et le gouvernement ouvert, la secrétaire d’État en charge de l’Enseignement supérieur inaugurait le lancement du tout premier portail ministériel d’Open Data : « data.enseignementsup-recherche.gouv.fr » (ouf !). Un site Internet flambant neuf, sur lequel avaient été déposés 23 jeux de données publiques relatives au nombre d’étudiants, à la géolocalisation des principaux établissements d'enseignement supérieur, à l’insertion des diplômés, à certains budgets alloués à la recherche et au développement, etc.
Toutes ces informations furent mises à disposition dans un format ouvert (CSV, JSON...) et une licence libre, l’objectif étant de maximiser leur diffusion et leur réutilisation – gratuite, bien entendu. « Les données disponibles s'enrichiront au fur et à mesure » avait au passage promis Genevière Fioraso, la secrétaire d’État affirmant que le ministère de l’Enseignement supérieur se devait d’être exemplaire en matière d’Open Data, dans la mesure où il existe des liens historiques profonds entre la recherche et le mouvement d’ouverture des données publiques. « Nous sommes convaincus du potentiel formidable de l'ouverture et du partage des informations. Et dans ce contexte, on devait être pionniers » avait-elle ajouté.
Une situation « surréaliste » pour Regards Citoyens
Seulement voilà. Plutôt que de mettre ces données sur le portail national d’Open Data géré par la mission Etalab, « data.gouv.fr », le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a préféré ouvrir un nouveau site, indépendant – moyennant finances. Les services de Geneviève Fioraso ont effectivement fait appel à un prestataire externe : OpenDataSoft. Le choix de cette start-up française était d’ailleurs pleinement assumé par l’exécutif, lequel ne manquait pas de vanter le soutien qu’il apportait à cette jeune entreprise innovante. « Nous avons voulu travailler avec des acteurs privés, il n'y a pas de tabou » avait ainsi déclaré Geneviève Fioraso.
Un tel choix pouvait cependant sembler étrange, puisque data.gouv.fr a justement vocation à héberger et valoriser les données de l’administration. Les jeux mis en ligne sur data.enseignementsup-recherche.gouv.fr sont d’ailleurs synchronisés avec le célèbre portail géré par la mission Etalab, ce qui donne une impression de doublon... En effet, vous pouvez télécharger ces 23 jeux de données aussi bien sur un site que sur l’autre.
« Alors que data.gouv.fr existe, il semble assez surréaliste qu'un ministère engage des frais pour le développement d'une nouvelle plateforme Open Data plutôt que de simplement enregistrer ses données sur le catalogue national déjà largement utilisé et employé, y compris par l'Enseignement supérieur auparavant » regrette en ce sens Benjamin Ooghe-Tabanou, co-fondateur de l’association Regards Citoyens. De fait, outre les légitimes questions sur l’utilité de cette dépense, on constate qu’il y a aujourd’hui des données produites par le ministère qui se trouvent sur data.gouv.fr depuis plus d’an, mais qui ne sont pas référencées sur data.enseignementsup-recherche.gouv.fr (voir cet exemple).
Le ministère loue une solution annuelle « clés en main »
Le prix de ce portail ? 13 873,60 euros (11 600 euros HT) pour une solution « clés en main » et fournie pour une durée d’un an. C’est en tout cas ce que nous a indiqué le ministère, qui souhaitait quelque chose qui ne lui demande « ni hébergement ni développements ». Le montant de ce marché étant relativement bas, il n’y pas eu de mise en concurrence très formelle. L’exécutif affirme néanmoins avoir étudié d’autres offres (Socrata et CKAN, la solution open source déjà utilisée pour data.gouv.fr), avant d’opter finalement pour OpenDataSoft pour des raison « de coût et de facilité d'utilisation ».
Quand on les interroge sur l’aspect « doublon » de ce portail d’Open Data, le ministère et son prestataire balaient les critiques. D’une part dans la mesure où data.enseignementsup-recherche.gouv.fr héberge les 23 jeux de données synchronisées avec data.gouv.fr, mais aussi – et surtout – parce que celui-ci propose des outils bien plus poussés en termes de valorisation des données. Il est par exemple possible de visualiser des tableaux directement depuis le site, sans avoir à télécharger les données sur sa machine, on peut également accéder à des cartes pour la géolocalisation, etc.
Une politique d'ouverture des données publiques en question
Ce reflet de la politique d’Open Data du ministère de l’Enseignement supérieur a quoi qu’il en soit bien du mal à passer du côté des associations citoyennes. « Des doutes existent quant aux coûts de la plateforme et l'obstacle qu'ils peuvent représenter : le prestataire retenu a un modèle économique basé sur la location, donc plus le ministère va vers l'Open Data, plus ça lui coûte cher » analyse ainsi le groupe français de l'Open Knowledge Foundation, qui ne veut pas s'attarder sur le prix de la prestation.
« Ce choix est d’autant plus surprenant que le ministère a pris par le passé, plus encore que le gouvernement dans son ensemble, des engagements à privilégier le logiciel libre. Or si data.gouv.fr est bien dans ce cas, ce n'est absolument pas vrai pour la plateforme d'OpenDataSoft qui a été choisie... » ajoute Benjamin Ooghe-Tabanou, de Regards Citoyens. L’intéressé poursuit : « L'alimentation quasi-nulle du catalogue depuis sa mise en ligne achève de convaincre qu'il ne s'est bien agit que d'une simple opération de com’, dénuée de réels objectifs de transparence ou d'ouverture. »
Les deux organisations font effectivement le même constat, non sans laisser transparaître une forme de désolation : depuis l’ouverture de ce portail d’Open Data, en avril dernier, aucun jeu de données supplémentaire n’a été mis en ligne (même si certains jeux ont été actualisés). « L'exploitation de cette plateforme semble inexistante depuis sa création » déplore ainsi l’OKF (Open Knowledge Foudation), qui y voit elle aussi le signe d’un « « coup de com' » autour de l'Open Data au moment de la Conférence de Paris, sans aucune idée d'usage derrière ».
L’OKF affirme ne pas vouloir mettre l’exécutif « au pilori », mais estime malgré tout que le ministère devrait « expliciter clairement quelles mesures ont été prises pour assurer la viabilité et la durabilité de la plateforme, surtout étant donné le besoin urgent de réfléchir et d'établir une politique d'ouverture des données de et sur la recherche ». L’organisation fait valoir au passage que la création de ce portail a eu une « portée symbolique » contraire à ses objectifs affichés : « maintenir les données de la recherche à l'écart du mouvement général de l'Open Data (ce qui se solde logiquement par une sous-utilisation) ».
Bientôt l’ouverture d'autres portails ministériels d'Open Data ?
Si data.enseignementsup-recherche.gouv.fr était le premier portail ministériel d’Open Data à ouvrir ses portes en France, d’autres ministères étudieraient eux aussi cette piste selon nos informations. Mais qu’en pense Henri Verdier, le directeur de la mission Etalab ? L’intéressé affirme que ça ne le choque pas. « Je pense qu'à terme, publier ses données doit devenir un réflexe et qu'il est normal qu'elles partent de chez le producteur. Il existe des solutions de portails très bon marchés qui deviennent aussi des outils de travail pour les institutions qui les développent. En particulier, on constate que ces projets permettent souvent de toiletter et d'harmoniser les données de ces opérateurs. »
Le nouveau « chief data officer » insiste néanmoins sur le fait que selon lui, les citoyens auront toujours besoin « d'un annuaire central pour être certains de retrouver les données sans avoir besoin de devenir des experts de l'organisation administrative, et donc, référencer son portail sur data.gouv.fr doit aussi devenir un réflexe... » Autrement dit, les deux solutions peuvent parfaitement cohabiter. Mais aux frais du contribuable.
Quand le portail Open Data de l’Enseignement supérieur fait grincer des dents
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Une situation « surréaliste » pour Regards Citoyens
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Le ministère loue une solution annuelle « clés en main »
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Une politique d'ouverture des données publiques en question
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Bientôt l’ouverture d'autres portails ministériels d'Open Data ?
Commentaires (3)
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Abonnez-vousLe 03/11/2014 à 14h13
Ok, c’est surement bête de mettre en place un service doublon (encore que de nouvelles fonctionnalités semblent faire leur apparition), après, 14000€ pour une année, c’est une paille….
Du coup, si ce n’est qu’un coup de pub à ce prix là, ça va…
Le 03/11/2014 à 15h16
clair que même si y’a doublon, 14 000€ c’est pas la fin du monde.
En ces temps de chasse aux dépenses, faudrait pas tomber dans les excès non plus.
Après ok pour le coup de comm’.
En même temps si tout le monde à accès aux données, peut se les faire interpréter, et ensuite demander des comptes aux élus, ça va leur faire drole. Donc je comprend qu’ils se pressent pas trop.
Mais bon, lentement mais surement, d’une manière ou d’une autre, ils vont voir les administrés en savoir plus qu’eux avec toutes ces sources d’infos dispo.
Ces comme avec les vendeurs de pc en magasin, un mec qui sait monter son pc, il rigole quand il va à Carrouf. Et ben là, c’est pareil!! les gens vont se réapproprier les infos, les dossiers, et vont aller bousculer les petits planqués élus qui glandouillent!!
Le 03/11/2014 à 16h36
si l’administration savait faire des économies, ça se saurait depuis longtemps!!!
la chasse au gaspi c’est pas la priorité pour ces têtes d’énarques puisque le bon contribuable est taxable à merci." />