Loi Numérique : les députés disent non au domaine commun informationnel
Communs, goût étrange
Le 21 janvier 2016 à 16h05
7 min
Droit
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Il n’y aura pas de définition positive du domaine commun informationnel. Les députés partisans d’une telle définition se sont heurtés à un mur ce matin, les opposants dénonçant des dispositions mal ficelées.
Dans les amendements au projet de loi Lemaire, œuvrant pour cette définition, il s’agissait d’insérer dans un tel domaine « les informations, faits, idées, principes, méthodes, découvertes, dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une divulgation publique licite, notamment dans le respect du secret industriel et commercial et du droit à la protection de la vie privée ». Y étaient encore intégrés « les œuvres, dessins, modèles, inventions, bases de données, protégés par le code de la propriété intellectuelle », du moins, ceux « dont la durée de protection légale, à l’exception du droit moral des auteurs, a expiré ».
Aucun n’aurait alors pu « faire l’objet d’une exclusivité, ni d’une restriction de l’usage commun à tous, autre que l’exercice du droit moral ». Et il serait alors revenu à des associations de défendre ce précarré de la connaissance.
Isabelle Attard : un domaine commun respectueux du droit d’auteur
Seulement, un tel chantier a provoqué une levée de boucliers chez les sociétés de gestion collectives, lesquelles avaient gagné un bras de fer sur la table de Matignon, contre le Conseil national du numérique, la Quadrature du Net, ou encore SavoirCom1 et Wikimédia.
Dans ce débat, Isabelle Attard a dénoncé cette « légende urbaine » colportée par les opposants, visant à faire croire qu’on allait s’attaquer au droit d’auteur. Selon la députée, il s’agit au contraire de s’occuper de l’après, afin justement d’empêcher qu’une œuvre élevée dans le domaine public fasse l’objet d’appropriation. « Il y a des attaques permanentes dans les tribunaux par les ayants droit qui, une fois les 70 ans passés, veulent profiter de cette poule aux œufs d’or que représentent les droits patrimoniaux (…) je comprends qu’on s’accroche à des millions, mais à un moment donné, il faut protéger les communs ! »
Le député Christian Paul (PS) s’est souvenu qu’une telle disposition, qu’on retrouvait un temps dans l’avant-projet, avait été plébiscitée lors de la grande consultation en ligne organisée par Axelle Lemaire. Malheureusement, « s’il n’y avait pas eu déploiement d’influences puissantes, on aurait pu avoir un véritable débat » lance-t-il, une pensée acidulée vers les lobbies de la création. « À l’extérieur, il y a des réactions pavloviennes à l’égard de ces biens communs, comme si on allait faire table rase des auteurs ! » (voir sur ce sujet, la position du CSPLA, au ministère de la Culture.)
Et en défense d’un autre amendement (le 5), Isabelle Attard reviendra à la charge contre le copyfraud, fustigeant ces « escrocs », où « des voleurs viennent s’accaparer des morceaux de domaine public ». Malgré ces propos sans langue de bois, les interventions de Delphine Batho (« La reconnaissance des communs est un enjeu de civilisation, un enjeu du XXIe siècle ») ou d’André Chassaigne (face à la « marchandisation de l’ensemble de notre société, il faut des signes forts »), tous les amendements ont été rejetés.
Communs, ouragan
Pour savoir pourquoi, il fallait tendre l’oreille d’abord vers Emeric Bréhier. Le député PS, contraint de porter l’avis favorable de la Commission des affaires culturelles à laquelle il appartient, a milité pour un tel rejet. « Nous faisons du droit. Les rédactions proposées ne lèvent pas toutes les interrogations (…) Il faut que notre main tremble encore quelque temps avant d’écrire des choses inutiles et superfétatoires ».
Même avis négatif de la Commission. Pour Luc Belot (PS), l’échelle des peines proposées dans ces amendements est trop lourde (« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le fait de porter atteinte au domaine commun informationnel en cherchant à restreindre l’usage commun à tous »). Surtout, il faut « une vigilance toute particulière dans la manière dont les articles sont rédigés » : « Qu’est-ce qu’une restriction de l’usage commun à tous ? ». Exemple : est-ce que le fait de faire payer l’entrée d’un musée où des œuvres du domaine public sont exposées est ou non une restriction aux communs ?
Patrick Bloche (PS), président de la Commission des affaires culturelles, y est allé aussi de ses arguments : « la cause est juste, mais il faut une rédaction précise sans créer d’insécurité juridique »... Quelle insécurité ? « Il n’y a pas de frontière dans les amendements qui nous sont proposés, entre à la fois la notion d’idées, d’informations, de découvertes qui ne sont pas protégeables, et d’autre part celles d’œuvres protégées ». Il a aussi pris le cas d’un film tombé dans le domaine public, mais non encore restauré et donc pas communiqué au public. Une telle étape préalable suppose un investissement. Aussi, « pour que nous voyions ce film, il doit faire évidemment l’objet d’une exclusivité. Or, la rédaction des amendements empêcherait la restauration des films anciens et les investissements nécessaires pour que nous puissions les regarder. »
L’exemple de la numérisation des vieux films est très bon. Des ayants droit comme Pascal Rogard militent de longue date pour une redevance sur le domaine public. En octobre 2012, le directeur général de la SACD nous avait expliqué pourquoi : « Une œuvre audiovisuelle dans le domaine public n’est pas comme un livre ou une pièce de théâtre. Si on veut la conserver pour les générations futures quelqu’un doit intervenir pour conserver, protéger et même restaurer. Et quand un éditeur veut diffuser ces œuvres, il devrait payer une redevance pour financer tous ces travaux. »
Un problème, une mission
Axelle Lemaire a placé le dernier clou sur le cercueil des communs. Pour l’heure, « on n’a pas trouvé de définition juridique satisfaisante » des communs, de plus les amendements sont trop « vastes », « susceptibles d’accueillir des réalités juridiques diverses et variées », alors que quiconque a déjà la possibilité déjà de passer par la voie contractuelle pour basculer une œuvre sous licence Creative Commun.
Comme souvent face à une épine politique dans le pied, il a été décidé de lancer une mission sur le sujet. « J’ai reçu l’engagement de la part du Premier ministre de nommer deux conseillers d’État pour aboutir à un résultat qui puisse satisfaire tout le monde. L’exercice douloureux ou laborieux, c’est de faire confiance au gouvernement sur le sujet. »
Le député Gosselin a flairé une problématique : « je ne doute pas qu’il y a une envie forte d’aboutir dans cette mission, non encore enclenchée », mais son terme risque de « nous amener à une période où les vocations législatives d’un tel sujet me paraissent hypothétiques ». Si celui-ci a retiré son amendement, tel ne fut pas le cas d’Isabelle Attard, très impliquée, mais aussi très agacée que ce sujet, déjà ausculté par le rapport Lescure en mai 2013, soit repoussé, toujours repoussé.
Christian Paul terminera la matinée en répondant d’abord à Patrick Bloche: « s’il y a restauration d’un film et investissement, cela créera évidemment de nouveau droit ! ». Puis enfin à Axelle Lemaire, lui rappelant qu’il s’agit « d’un choix politique essentiel, un choix de civilisation. En 1789, quand il s’agissait d’écrire la Déclaration des droits de l’Homme, on n’a pas confié une mission à deux conseillers d’État ». Une petite phrase qui a fait rire tout le monde. En commun.
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Un problème, une mission
Commentaires (9)
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Abonnez-vousLe 21/01/2016 à 16h17
Avec les musées et les restaurations, ils marquent un point.
J’espère que ce texte pourra revenir un jour avec des corrections.
Le 21/01/2016 à 16h45
En fait, ils ont fait une consultation publique sur la loi numérique, mais ils avaient pas prévenu que ce n’était pas : Que voulez vous, mais que c’était en fait : Que ne voulez vous pas !
C’est pour ça que tout ce qui s’est retrouvé propulsé en tête des souhaits est purement et simplement balayé d’un revers de la main par nos représentants des lobbies du peuple …
Le 21/01/2016 à 16h46
L’argument de la restauration me rappelle les difficultés détaillées par le responsable d’un label de musique classique (Andante), qui produisait des dépoussiérages unanimement salués et un superbe travail éditorial — label aujourd’hui défunt. Il expliquait qu’un enregistrement libre de droit était librement exploitable commercialement par toute entreprise (ce qui est normal), mais que si l’une d’elle consacrait des efforts à sa restauration, n’importe qui pouvait sans vergogne ni rémunération reproduire l’enregistrement restauré à vil prix.
Je me demande quel est le réel statut pour le cinéma ancien. Il existe des versions qui ont bénéficié d’un important travail de restauration (Keaton, Lloyd, Griffith, Feuillade… — Chaplin est toujours protégé par le droit d’auteur semble-t-il, du moins il l’était jusqu’en 2014). Ce travail est parfois co-financés par plusieurs acteurs qui se partagent ensuite les différents marchés nationaux (BFI pour l’Angleterre, Arte, Criterion pour les États-Unis). On ne retrouve pas ces versions travaillées chez des éditeurs économiques spécialisés dans la vente de DVD à quelques euros. Je me demandais si ces travaux éditoriaux ne bénéficiaient déjà pas de législations protectrices.
Le 21/01/2016 à 17h00
communs, ouragan " />
Le 22/01/2016 à 08h30
Le 22/01/2016 à 10h17
Autant je suis pour une telle protection des droits communs, autant (pour une fois?) les arguments opposés me semblent assez sensés, et ne ressemblent pas uniquement à une protection à tout prix pour les ayants droit.
Merci pour l’article " />
Le 22/01/2016 à 11h28
Une bande de prostitués suceurs de lobbies.
Le 22/01/2016 à 13h47
Le 24/01/2016 à 20h09