L’autre combat d’Ariane 6 : la concurrence européenne des lanceurs

L’autre combat d’Ariane 6 : la concurrence européenne des lanceurs

Le fil d’Ariane vole en éclats (contrairement à la fusée, ouf)

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L’autre combat d’Ariane 6 : la concurrence européenne des lanceurs

Ariane 6 signe le retour de l’Europe comme acteur majeur et souverain du spatial. L’enjeu est de réduire les coûts et de donner plus de flexibilité sur les missions. Derrière Ariane 6, on retrouve aussi un changement sur la gouvernance, avec une implication bien plus importante des acteurs industriels. Explications de Jean-Marc Astorg du CNES.

Beaucoup ont certainement suivi l’événement en direct : Ariane 6 a décollé de Kourou en Guyane direction l’espace. Les opérations se sont parfaitement déroulées durant les premières phases critiques (les 18 minutes après le lancement), et lors du premier rallumage du moteur Vinci (à H+56 minutes).

Vers la fin de la mission, l’APU s’est arrêté de manière prématurée, gâchant la fin de la fête et empêchant le moteur de Vinci de démarrer sa troisième poussée. Cela reste dans tous les cas une franche réussite. Les dirigeants des quatre partenaires impliqués – ESA, CNES, Arianespace et ArianeGroup – ne cachaient pas leur joie durant les conférences de presse.

Le premier lancement commercial est maintenant prévu pour décembre 2024, pour le compte du ministère de la Défense français.

Europe spatiale : plus de responsabilité pour l’industrie

Mais au-delà des évolutions techniques, Ariane 6 chamboule la gouvernance et implique davantage l’industrie dans les choix commerciaux. Lors d’une conférence de presse dans les locaux de l’Agence spatiale européenne (ESA), Jean-Marc Astorg du CNES (directeur de la stratégie et auparavant des lanceurs) est revenu sur ce changement important de paradigme.

« Pour simplifier les choses, d’Ariane 1 à 5 on avait un schéma où l’ESA était responsable du programme et souscrivait l’ensemble des budgets nécessaires au développement du lanceur ». L’Agence spatiale européenne déléguait ensuite au CNES « le développement du lanceur jusqu’à la phase de qualification ». À titre de comparaison, c'est justement l’étape que vient de valider Ariane 6 avec son premier décollage.

Toujours avec les cinq premières versions d’Ariane, « l’exploitation était assurée par Arianespace », une société créée quelques mois seulement après le premier lancement d’Ariane 1 le 24 décembre 1979. Son but était de proposer le lanceur sur le marché commercial et institutionnel, et donc de signer les contrats.

Arianespace s’occupait des lanceurs Ariane et Vega, ainsi que du lanceur Soyouz suite à un accord signé en 2007 avec l’agence spatiale russe Roscosmos. Depuis l’invasion de l’Ukraine, les ponts sont coupés avec la Russie et il ne reste donc plus que deux lanceurs à exploiter pour Arianespace.

Un premier constat « mitigé »

Avec Ariane 6, un changement important a été mis en place : « on a considéré que l’industrie était devenue mature et pouvait prendre plus de responsabilité, en particulier sur le développement et l’exploitation ». Cette fois-ci, c’est à l’industrie de porter « le risque commercial pendant la phase d’exploitation ».

Problème, le marché et les besoins ont grandement changé depuis les débuts du projet Ariane 6 en 2014. Le résultat de cette nouvelle gouvernance « est mitigé » reconnait Jean-Marc Astorg.

Il pense donc que, dans le futur, le système va encore évoluer, mais « pas pour revenir au système d’Ariane 5, c’est dépassé ». Le but devrait rester le même : « donner plus de responsabilités à l’industrie, à la fois sur le lanceur et sur le segment au sol ». C’est également son souhait sur la phase d’exploitation, mais à condition qu’il y ait plus de compétition entre les partenaires industriels.

En effet, « avec le système dans lequel on est aujourd’hui, chaque acteur a un rôle bien défini pour une durée extrêmement longue ». Elle correspond généralement à la phase d’exploitation du lanceur. Ariane 5 a été en service pendant plus de 25 ans, un partenaire peut donc avoir tendance à se reposer un peu trop sur ses lauriers une fois le contrat signé.

« Je pense que ce système a vécu »

« Je pense que ce système a vécu, affirme Jean-Marc Astorg. C’est d’ailleurs ce qu’on a décidé au sommet de Séville », en novembre 2023. Il était question d’ouvrir à la compétition le marché spatial européen avec un « "challenge" pour préparer les futurs lanceurs », sous la surveillance de l’ESA. À partir de 2025, celui-ci prévoit un « financement maximum de 150 millions d'euros pour la nouvelle génération de lanceurs », expliquait Bruno Le Maire lors du sommet. « On y croit beaucoup », ajoute aujourd’hui le directeur de la stratégie du CNES.

C’est particulièrement vrai pendant les premières phases de développement des lanceurs. Par la suite, le marché sur le Vieux continent n’est pas suffisamment important pour avoir en permanence deux ou trois opérateurs, comme c’est le cas dans le domaine des satellites. De la compétition, au moins au début, permettrait donc d’avancer plus vite et de motiver les troupes. « On va dans cette direction-là. Je pense que c’est l’intérêt de tous ».

Compétition entre lanceurs

Le choix des futurs lanceurs « se fera désormais sur la base d’une compétition entre lanceurs […]. Ce choix ouvre le marché des nouveaux lanceurs à des TPE et PME des trois nations. En France, il s’agit notamment de Maia (ArianeGroup), Zephyr (Latitude), Sirius, HyPrSpace, Dark et Opus Aerospace », indiquait Bruno Le Maire en novembre dernier suite à la signature de l’accord sur la politique spatiale européenne (après six mois de discussions).

Pour la première fois, les trois grands États européens du spatial (France, Allemagne et Italie) « valident le principe d'une compétition européenne sur les nouveaux lanceurs ». Cela signe donc la fin de la « situation de monopole » qui était en place jusqu’à présent. L’ambition est de sortir d’une « logique institutionnelle pour entrer dans une logique économique et de compétition ».

340 millions d’euros par an

Le ministre donnait quelques précisions supplémentaires sur l’accord. Il prévoit notamment que « le financement reprendra donc à partir de 2026 à hauteur de 340 millions d'euros par an. Cette somme a été obtenue en contrepartie d'une baisse de prix des industriels de l'ordre de 11 % en général ».

Le ministre affirmait que cette somme est « comparable » à celle des principaux concurrents de l’Europe, les États-Unis en tête évidemment : « Je rappelle pour donner un exemple qu'un lancement de SpaceX sur le marché coûte 50 millions d'euros quand les clients américains doivent débourser 150 à 200 millions d'euros, ce qui est évidemment une aide indirecte à SpaceX ».

Cette facturation à deux étages faisait grincer des dents Stéphane Israël (PDG d'Arianespace) en 2016 : « c'est un avantage que nous n'avons pas nous en Europe […] ou en tout cas pas dans les mêmes proportions ».

Afin de donner de la visibilité, l’accord prévoit au moins « quatre lancements institutionnels par an d'Ariane 6 d'ici 2030 », ainsi qu'au minimum trois pour Vega-C.

Commentaires (5)


La première partie de l'article détaille les rôles de l'ESA, du CNES et d'Arianespace, jusque là, je suis. Mais la suivante, titrée "Un premier constat « mitigé »", je n'ai rien compris :

"« on a considéré que l’industrie était devenue mature et pouvait prendre plus de responsabilité, en particulier sur le développement et l’exploitation ». Cette fois-ci, c’est à l’industrie de porter « le risque commercial pendant la phase d’exploitation »." [...] "Le but devrait rester le même : « donner plus de responsabilités à l’industrie, à la fois sur le lanceur et sur le segment au sol ». "

C'est qui cette "industrie" ?
Mettre tout le monde en compétition, ça a été la stratégie de Boeing pendant très longtemps, quand on voit ou ça les a mené... Ca incite surtout les sous-traitants à rogner sur la qualité pour être moins cher et gagner le contrat.
Espérons qu'on aie moins d'accidents d'Ariane 6 que de 737 MAX.
Une bonne vieille mise au pas néoliberale. On prend un truc qui marche, on privatise en disant que ce sera forcément mieux, on essore tout ce qu'on peut et on jette à la poubelle à la fin, ou on renationalise, aux choix.

Il pense donc que, dans le futur, le système va encore évoluer, mais « pas pour revenir au système d’Ariane 5, c’est dépassé ».
Pourquoi c'est dépassé, on ne le saura pas, mais c'est dépassé point final.

win100

Une bonne vieille mise au pas néoliberale. On prend un truc qui marche, on privatise en disant que ce sera forcément mieux, on essore tout ce qu'on peut et on jette à la poubelle à la fin, ou on renationalise, aux choix.

Il pense donc que, dans le futur, le système va encore évoluer, mais « pas pour revenir au système d’Ariane 5, c’est dépassé ».
Pourquoi c'est dépassé, on ne le saura pas, mais c'est dépassé point final.
C'est dépassé parce que c'est vieux, et quand c'est nouveau c'est forcément mieux, bien évidemment :francais:

iFrancois

C'est dépassé parce que c'est vieux, et quand c'est nouveau c'est forcément mieux, bien évidemment :francais:
Surtout si l'idée vient d'un nouveau dirigeant/manager/consultant/... :fumer:
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