Jeux vidéo : le secteur de l’e-sport en pleine croissance
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Le chiffre d’affaires du monde de l’e-sport a triplé entre 2019 et 2022, au bénéfice des structures commerciales, selon le premier rapport de l’Observatoire économique de l’e-sport.
Le 02 avril à 16h45
8 min
Économie
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En septembre 2022, les League of Legends European Championships Season Finals attiraient 20 000 personnes à Montpellier. En mai 2023, Major Counter Strike, organisé par BLAST TV, brassait 50 000 spectateurs à Paris. Porté par le succès des plateformes de streaming comme Twitch, l’e-sport fédère un nombre croissant de spectateurs comme de joueurs, mais quel est son poids dans l’économie française ?
Telle est la question à laquelle l’Observatoire économique de l’e-sport a pour mission de répondre. Créé par le Ministère des Sports, le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), Paris & Co et le Centre de Droit et d’Économie du Sport (CDES), l’entité vient de publier son premier rapport sur le développement économique du secteur de l’e-sport.
Il y calcule que le chiffre d'affaires du secteur atteint les 141 millions d’euros, soit quasiment le triple de son niveau de 2019. Le domaine emploierait aussi un peu plus d’un millier d’équivalents temps plein (ETP), en hausse de 56 % par rapport au nombre d’emplois relevé avant la pandémie. Enfin, 30 % des acteurs étudiés ont été créés depuis 2020, ce qui « témoigne d’un certain dynamisme du secteur ». Si ces structures sont dynamiques, elles ne génèrent pour le moment que 10 % du chiffre d’affaires total du domaine, fortement concentré autour d’un faible nombre d’acteurs.
Jeu-vidéo et e-sport, des pratiques toujours plus courantes
Le jeu vidéo n’a plus rien d’un loisir de niche : selon DFC Intelligence, 3,7 milliards de personnes y jouaient sur la planète en 2023. En France, ils sont 39,1 millions, soit 72 % de la population du pays, à parité de genre, selon le SELL et Médiamétrie. Ce type de loisirs est par ailleurs très réparti entre les générations : « si les plus jeunes représentent les joueurs les plus assidus », les plus de 60 ans comptent tout de même pour 7,5 millions de joueurs et joueuses françaises, note l’Observatoire de l’économie de l’e-sport.
Défini comme « l’affrontement de plusieurs individus ou équipes à travers un support électronique » par France Esport, ce champ spécifique des loisirs vidéoludiques a de son côté rassemblé 11,8 millions de personnes en 2023. Une moitié d'entre elles (5,8 millions) sont uniquement consommatrices, près de 40 % (4,7 millions) consommatrices et pratiquantes, et les 1,3 million restantes purement pratiquantes d’e-sport – c’est-à-dire « qui jouent à des parties classées et/ou s’inscrivent à des compétitions de jeux vidéo ».
La pratique et la consommation de compétition e-sportive réunissant 23 % des internautes de plus de 15 ans à l’échelle nationale l’an dernier, le domaine s’est rapidement étendu, notamment en matière événementielle : compétitions, salons, matchs d’exhibition, se succèdent à un rythme régulier.
Structurer les données économiques relatives à l’e-sport
En 2021, l’« Analyse du marché et perspectives pour le secteur de l’e-sport », produite par le Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques, avait établi qu’en 2019 l’e-sport pesait 50 millions d’euros de chiffres d’affaires et 650 ETP dans l’Hexagone. Pour autant, les chiffres consolidés sur le développement économique du secteur manquent.
Alors que la stratégie e-sport 2020 - 2025 vise à « faire de la France le leader européen du secteur à horizon 2025 », l’Observatoire économique de l’e-sport a été créé pour répondre à cette absence. La présente étude, qui porte sur l’année 2022, jette les bases d’un travail qui doit se poursuivre au long cours.
Elle s’appuie sur un questionnaire diffusé en ligne auprès d’ « environ 130 interlocuteurs » de la chaîne de production/diffusion de l’e-sport, c’est-à-dire des équipes professionnelles, des producteurs et diffuseurs de contenus, des organisateurs de compétition, des prestataires de services et agences, et des acteurs qui agissent à plusieurs niveaux de la chaîne de production. 54 % ont répondu et, après études des résultats, les réponses de 59 structures ont été jugées exploitables. D’un point de vue qualitatif, l’étude s’appuie aussi sur une série d’entretiens.
Ceci a notamment permis de constater que les trois quarts du secteur sont constitués de structures commerciales, tandis qu’une sur cinq sont des associations.
Dans un « objectif d’exhaustivité », l’Observatoire a intégré à ses interlocuteurs des acteurs spécialisés, mais aussi d’autres dont l’intégralité des chiffres d’affaires n’est pas réalisée dans l’e-sport. De même, lorsqu’elle s’intéresse au nombre d’emplois du milieu, elle intègre les emplois « dont plus de 50 % du temps de travail hebdomadaire est dédié à l’e-sport ».
Hausse globale de l’activité
En 2022, l’échantillon consulté rapporte un chiffre d’affaires de 116 millions d’euros, en croissance de 55 % en moyenne chaque année depuis 2019. Après redressement, l’Observatoire estime le chiffre d'affaires global du secteur à 141 millions d’euros, soit quasiment le triple de son niveau pré-pandémie.
Au sein du secteur, les organisateurs de compétitions et les équipes professionnelles pèsent le plus lourd en termes de répartition des chiffres d’affaires (respectivement 35 % et 29 %). En moyenne, l’Observatoire estime par ailleurs que le chiffre d’affaires du secteur est passé à 2,1 millions d’euros en 2022, soit environ deux fois plus que les sommes constatées en 2019.
Fortes disparités internes
Le chiffre d’affaires médian, en revanche, est de 150 000 euros par an, ce qui témoigne d’une forte hétérogénéité dans le milieu : les disparités sont particulièrement marquées entre structures commerciales (2,6 millions d’euros en moyenne) et associations (74 000 euros en moyenne). Par ailleurs, les 10 acteurs les plus gros réalisent à eux seuls 70 % de l’ensemble du chiffre d'affaires collecté par le secteur.
Ces comparaisons illustrent aussi les difficultés spécifiques du milieu associatif : c’est le seul domaine de l’étude qui enregistre un taux de croissance moyen du chiffre d'affaires négatif (- 8 % en 2019 et 2020 puis - 16 % l’année suivante). Le rebond post-pandémie y est aussi moins fort (+ 40 %) que chez les structures commerciales (+ 60 %).
La pandémie a en revanche joué sur le montant des fonds levés par le milieu : là où les levées s’élevaient à 29 millions d’euros en moyenne en 2019, elles ne grimpaient en 2022 qu’à 22,9 millions d’euros (contre 18,5 millions d’euros en moyenne en 2020 et 2021).
En termes d’emploi, les répondants rapportent 834 ETP, dont 230 joueurs professionnels. Après redressement, cela conduit l’Observatoire à estimer que le milieu de l’e-sport emploie un peu plus d’un millier d’ETP.
57 % sont en CDI, 29 % en prestation de service, 8 % en CDD, 6 % en alternance (soit une sous-représentation des CDI et une surreprésentation des alternances par rapport aux répartitions nationales). Comme le reste de la tech, le secteur est par ailleurs relativement inégalitaire. 8 % des structures comptent au moins 50 % de femmes parmi leurs effectifs. À l’échelle du secteur, l’Observatoire en recense 29 % parmi les personnes salariées.
40 % des structures interrogées témoignent par ailleurs de difficultés à recruter, en particulier des profils de commerciaux, de communicants (notamment de community managers) ou dans la production de contenu.
Monétiser l’audience par l’influence ?
L’observatoire économique de l’e-sport note par ailleurs la difficulté de monétiser les audiences réalisées sur des plateformes de streaming comme Twitch, de rediffusion comme YouTube, où la plupart des contenus sont gratuits. Et de noter la porosité du milieu avec celui de l’influence en ligne.
En introduction du rapport, la secrétaire d’État chargée du numérique Marina Ferrari cite trois figures parmi les e-sportifs : Marie-Laure « Kayane » Norindr, Mathieu « ZywOo » Herbaut, William « Glutonny » Belaïd. Et l’Observatoire de noter que, d’équipes reconnues, les contenus e-sportifs tendent à se polariser « autour de personnalités fortes et soutenues par de larges communautés », ce qui pourrait se traduire par l’évolution de ce champ d’un domaine purement compétitif « vers une économie du divertissement plus générale ».
En sens inverse, des équipes de joueurs portés par des influenceurs ont aussi été montées récemment – en tête desquelles la Karmine Corp, cofondée par Kamet0 et Kotei en 2020, ou Gentle Mates, créée en 2023 par Squeezie (plus gros youtubeur français), Gotaga et Brawkes.
Du côté des éditeurs, les investissements engagés dans l’e-sport ne sont, aux dires de l’Observatoire, « pour l’instant pas rentables », même si elles leur servent autant à des fins de marketing que d’animation de communautés. Le regard des collectivités territoriales, quant à lui, évolue : organisés à Nice en 2023, la LFL y a rassemblé 10 000 spectateurs dont plus de 70 % venaient de l’extérieur du territoire. Par ailleurs, une ville comme Montpellier investit nettement dans sa filière des industries culturelles et créatives pour attirer les acteurs de l’e-sport sur son territoire.
Autre modalité de soutien : l’agglomération de Poitiers met son Parc des Expositions à disposition de l’association Futurolan pour permettre l’organisation de la Gamers Assembly. L’édition 2024, qui vient de se clore, a réuni 22 000 visiteurs, 2 200 compétiteurs et 450 bénévoles.
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Abonnez-vousLe 02/04/2024 à 17h58
https://www.lemonde.fr/pixels/article/2024/03/31/sur-fortnite-et-rocket-league-des-champions-d-e-sport-sacres-mais-jamais-payes_6225239_4408996.html
Le 03/04/2024 à 16h46
Avec mes jeunes enfants, on suit la scène e-sport Brawl Stars, jeu qu'ils affectionnent. Les dotations sont loin des gros du secteur, mais ça augmente d'année en année.
Cette année, première fois qu'on a une équipe de joueurs français dans les têtes d'affiches de la zone Europe (Eclipsar Esport).