Ouverture des données de transport : un an après la loi Macron, toujours aucun décret
Le texte est resté coincé dans un TGV en panne ?
Le 06 août 2016 à 08h00
5 min
Droit
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Cela fait tout juste un an que la loi Macron a été promulguée par François Hollande. Le décret relatif à l’ouverture des données détenues par les transporteurs (horaires, arrêts, etc.) n’a pourtant toujours pas été pris par le gouvernement...
C’est un dispositif plutôt ambitieux que laisse entrevoir le nouvel article L 1115 - 1 du Code des transports, introduit par la loi pour la croissance et l’activité du 6 août 2015. Qu’il s’agisse de « services réguliers de transport public de personnes » (train, métro, bus, avion...) ou de « services de mobilité » – de type vélos en libre service ou co-voiturage –, les entreprises sont théoriquement tenues de diffuser « librement, immédiatement et gratuitement », et ce dans un « format ouvert », de précieuses informations relatives :
- À leurs arrêts
- À leurs tarifs publics
- À leurs horaires planifiés
- À leurs horaires en temps réel
- À l'accessibilité aux personnes handicapées
- À la disponibilité de leurs services
- Aux incidents constatés sur le réseau
L’objectif : fournir de la « matière première » à des développeurs qui souhaiteraient ensuite proposer un site ou une application permettant de calculer un itinéraire, en prenant en compte tous les modes de transport disponibles. Seulement voilà... Un an après l’entrée en vigueur de ces dispositions, force est de constater que celles-ci sont très loin d’être respectées ! Impossible par exemple de trouver le moindre horaire de TGV sur la plateforme Open Data de la SNCF...
Entre échappatoire législative et non parution du décret d’application
Comment expliquer cette situation ? Il y a en réalité deux éléments de réponse. La mise en Open Data des données de transport – voulue au départ par les députés, contre l’avis du gouvernement – fut rapidement sapée sur le plan législatif par la majorité. En activant le 49 - 3, le gouvernement a retenu un amendement réécrivant entièrement les dispositions prévues initialement. La principale différence : une belle issue de secours était offerte aux transporteurs guère désireux d’offrir gratuitement leurs données !
Les personnes soumises à l’article L 1115 - 1 du Code des transports sont en effet « réputées remplir leurs obligations » dès lors qu'elles adhèrent à des codes de conduite, des protocoles ou des lignes directrices « préalablement établis par elles et rendus publics ». En optant pour ces sortes de charte – rédigées par leurs soins, les transporteurs sont autorisés à passer outre certains principes de droit commun. Un « délai raisonnable » peut par exemple être prévu avant la mise en ligne de données. Surtout, des « dérogations au principe de gratuité » sont permises « à l'égard des utilisateurs de masse », à condition que celles-ci soient « justifiées par des coûts significatifs de mise à disposition ».
L’association Regards Citoyens avait vivement critiqué ce recul, accusant la majorité d’avoir « plié face au lobbying intensif des anti-Open Data du transport » (voir notre article).
La deuxième partie de l’explication réside dans le fait que les conditions d'application de cet article (tout du moins pour celles s’appliquant aux transporteurs n’ayant pas adhéré à une charte) devaient être définies par décret en Conseil d'État « au plus tard trois mois après la promulgation de la [loi Macron] ». Sauf qu’aucun texte n’a été publié à ce jour...
Reports à répétition
En juin dernier, le secrétaire d’État aux Transports, Alain Vidalies, affirmait que quatre demandes d'homologation avaient été déposées et étaient en cours d'instruction par le gouvernement. Un peu plus tôt, l’intéressé précisait que « les grands opérateurs de transports (Air France, SNCF, RATP, Keolis, Transdev...) » s’étaient « associés pour élaborer un « code de conduite » commun ».
Quant au décret, Alain Vidalies évoquait une publication « pour le second trimestre 2016 ». Autant dire que ce délai n’a pas été tenu. Pas plus que les précédents d’ailleurs : il fut un temps question du mois d’avril, et encore auparavant de novembre 2015...
On vient surtout à se demander sérieusement ce qui bloque. En mars dernier, Bercy nous répondait laconiquement que son projet de décret était « actuellement en cours d’examen au Conseil d’État », dont le gouvernement « ne maîtris[ait] pas les délais ». Relancé début mai, le cabinet d’Emmanuel Macron n’a pas souhaité donner suite à notre demande. Manque de pot, le dernier dossier de presse faisant le point sur la mise en œuvre de la loi Macron ne comporte quant à lui aucune mention de ses dispositions concernant l’ouverture des données de transport...
« La France a du retard » dans ce domaine, a pourtant déploré la Cour des comptes au travers d’un référé datant du 19 février – mais rendu public début mai. L’institution présidée par Didier Migaud a d’ailleurs sérieusement étrillé la loi Macron, dont la portée risque à ses yeux de se révéler « fortement [limitée] ». La faute à ses « dispositions dérogatoires ouvertes par adhésion à des codes de conduite ». Le projet de décret notifié l'année dernière à la Commission européenne semble d'ailleurs si contraignant qu'il devrait conduire la plupart des acteurs concernés à opter pour une charte.
Ouverture des données de transport : un an après la loi Macron, toujours aucun décret
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Entre échappatoire législative et non parution du décret d’application
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Reports à répétition
Commentaires (14)
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Abonnez-vousLe 08/08/2016 à 10h41
L’exemple de l’ouverture (ou non) des données de transports résume assez bien
les paradoxes de l’Open-Data et plus généralement de l’Open-Government. Comme
l’explique Glubglub, il s’agit d’un service public à part entière,
ce qui nécessite un financement ad hoc. Or, dans un contexte de restrictions
budgétaires, cela est difficile. De plus, la gratuité de principe rend encore
plus difficile la fourniture d’un service de qualité. Il aurait peut-être été
plus opportun de supprimer progressivement ces licences (sur 10 à 15 ans). Ce
qui était tout à fait possible suivant les termes de la directive PSI 2 de juin
2013 (Cf article 6). En effet, les services publics et les concessionnaires
privés n’ont pas forcément le back-office permettant d’industrialiser ces
solutions à coûts constants.
Enfin, un autre frein est d’attendre que la
société civile crée des logiciels et applications permettant de fournir ce
service public de la donnée. L’État, et ses opérateurs (publics ou titulaires
d’une délégation) ne doivent pas se limiter à la simple fourniture des données
brutes. À ce titre, le portail data.gouv.fr est révélateur. Bien que ce site
soit une avancée non négligeable, la réutilisation de ses données par le plus
grand nombre pour des usages d’intérêt général reste difficile.
Le 06/08/2016 à 10h51
Le texte est resté coincé dans un TGV en panne ? —> Non, il est en marche.
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Le 06/08/2016 à 10h57
Bah, je ne vois même pas pourquoi vous faites une news… c’est le parcours législatif standard:
Une idée simple et de bon sens –> une loi imprécise et édulcorée –> un décret absent ou inapplicable.
#SadButTrue
Le 06/08/2016 à 10h59
D’un autre côté, un décret pour appliquer un truc qui s’appliquera à plus personne ….. De la à croire qu’il pointera le bout de son nez quand lest autres auront définie et adhéré à leur charte commune…
Le 06/08/2016 à 12h15
Un décret de plus ou de moins, ils ne sont plus à ça près .Autant en faire moins, on promulgue des lois et on fait croire que l’on travaille mais il n’y a rien qui suit. Hop bel effet de manche.
Et ici, le texte attend le car Macron.
Le 06/08/2016 à 12h51
Le 06/08/2016 à 13h32
Le car qui véhicule les décrets d’application serait-il en carafe ? Aurait-il eu un accident qui aurait entraîné la perte des textes ? Vous le saurez en lisant les prochaines aventures de l’innovant monsieur Macron (si, si il va chercher ses idées au 19e siècle).
Le 06/08/2016 à 18h45
C’est quoi la raison réelle du retard ? Car certaines de ces informations sont déjà exploités par des tiers (captain train, google, easyvoyages, …). J’avoue pas trop comprendre pourquoi ils rechignent à donner accès à ces informations là. Les usagers pourraient se tourner vers des applications permettant de gérer de A à Z son itinéraire et son coût, mais ils utiliseraient quand même les transports de ces compagnies …
Ok, ça a peut être un coût, mais ils peuvent l’amortir sans trop de difficultés je pense.
Le 06/08/2016 à 19h43
Et Macron, vous l’avez relancé après le fait qu’il n’est pas donné suite?
Le 07/08/2016 à 10h11
C’est pour laisser le temps aux copains de faire leur “charte” exonerante ?
Le 08/08/2016 à 05h14
Pour les taxes et impôts ils sont plus rapides - pourquoi ? - parce que c’est leur seul et unique savoir
Le 08/08/2016 à 06h37
Bonjour,
C’est dommage que ce volet de l’OpenData ne se soit pas concrétisé. Je pense que la raison est financière. Actuellement la majorité des utilisateurs des transports se rendent sur les sites internet des opérateurs pour consulter les horaires et faire leur réservation. Ils génèrent ainsi des revenus publicitaires conséquents. Si les gens devaient consulter les horaires sur d’autres sites pour ensuite uniquement venir acheter les billets sur le site de l’opérateur alors ces revenus publicitaires tomberaient dans la poche d’autres entreprises à qui les opérateurs auraient fourni la matière première. En résumé et surtout à mon avis, c’est la faute de la publicité, de l’argent et du monopole. En effet, seuls des grands comme Air France, SNCF etc ont le poids pour repousser des lois.
a+, =)
-=Finiderire=-
Le 08/08/2016 à 07h59
Le 08/08/2016 à 08h30
Je peux parler en connaissance de cause pour Montpellier,
j’y ai fait un stage de 6 mois à la TaM, il y a quelques années, et j’ai un peu amorcé l’ouverture des données…
(j’ai initié les données envoyées à Google Map, les premiers tracés des 2 lignes, et les horaires avec…)
La TaM ne voulait pas distribuer un simple CSV des horaires : Les horaires du tram changent tous les 4 mois.
Si quelqu’un fait une appli opensource, et ne met jamais à jour ses données,
Les utilisateurs vont râler… et ils râleront contre la TaM, peu importe qui a fait l’appli.
La seule solution pérenne est de développer une API, qui serait la seule source d’information viable.
Ça permettrai de forcer les apps à avoir les bons horaires, à jour.
Et là, la facture commence :
il faut développer une API par plateforme principale (PHP/Java/Swift…)
et assurer financièrement leur entretien.
Et encore mieux : Il leur faut aussi mettre au propre leurs données.
leur logiciel de gestion des horaires est une usine à gaz,
une énorme boîte noire qui re-vérifie toutes les correspondances dès qu’on change un horaire.
Et ce logiciel sort des données vraiment sales. à peine normalisées, pleines de doublons et d’horaires qui n’ont rien à faire dans la période demandée.
Un export pour une saison (chaque arrêt des trams/bus, chaque jour) faisait 60Mo de texte brut.
Rien que pour faire un seul export GTFS propre (les données envoyées à Google Map),
c’est un gros mois de travail pour tout vérifier.
Donc tl;dr : L’ouverture des données des trams, c’est une équipe dédiée, et des compétences qu’ils n’ont pas toujours, et un petit budget pour 2 ou 3 ingénieurs.
Les gestionnaires des trams/Bus, comme la TaM, sont des entreprise privée, qui ont obtenu un marché public.
S’ils peuvent éviter les frais, ils le feront… Jusqu’à ce qu’ils aient la menace d’une amende plus salée.