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L’opacité des « algorithmes locaux » de Parcoursup devant le Conseil constitutionnel

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L’opacité des « algorithmes locaux » de Parcoursup devant le Conseil constitutionnel

Le 16 janvier 2020 à 15h32

D’ici trois mois, le Conseil constitutionnel dira si l’opacité organisée sur les « algorithmes locaux » de Parcoursup est conforme aux textes fondateurs. Saisi par l’Union national des étudiants français (UNEF), le Conseil d’État a en effet décidé hier de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité aux « Sages » de la Rue de Montpensier.

Si le code source de la plateforme nationale du successeur d’Admission Post-Bac a bien été rendu public (ainsi que le cahier des charges afférent), le cœur de la machine Parcoursup, lui, demeure encore et toujours des plus opaques.

Afin de préparer le travail des commissions d’examen des vœux, chaque établissement d’enseignement supérieur peut en effet recourir à des « outils d’aide à la décision », parfois qualifiés d’algorithmes « locaux », et ainsi choisir différents critères de comparaison entre candidats. En pratique, il s’agit bien souvent d’une feuille de calcul Excel, « préremplie a minima par la liste des candidats et certaines de leurs caractéristiques (boursier, réorientation, baccalauréat international, etc.) », comme l’explique le comité éthique et scientifique de Parcoursup.

Saisi par l’UNEF, le Conseil d’État a jugé l’année dernière que ces fameux « algorithmes locaux » n’avaient pas à être rendus publics par les universités. Ceci grâce à un amendement qu’avait fait adopter le gouvernement en toute fin de navette parlementaire, lors des débats sur la loi dite « ORE » de 2018 (voir notre article). Gouvernement qui n’a dans le même temps cessé d’assurer que ces « algorithmes locaux » seraient rendus publics... Avec les effets que l’on connait désormais.

Le Conseil constitutionnel va toutefois se pencher sur ce dossier, et rendre une décision qui pourrait s’avérer capitale.

Le Conseil d’État confirme le « caractère sérieux » des demandes de l’UNEF

L’année dernière, le Conseil d’État avait été saisi par l’UNEF dans le cadre d’une procédure visant l’Université des Antilles. Le syndicat étudiant a toutefois profité de deux autres recours, mettant en cause l’Université de La Réunion et celle de Corse, pour soulever une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

En l’occurrence, l’UNEF considère que l’amendement porté par l’exécutif lors de la loi ORE porte atteinte à deux droits fondamentaux. D’une part, au droit d’accès aux documents administratifs, tel que consacré par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (« La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration »). Et d’autre part, au droit au recours effectif, garanti par l’article 16 de la même déclaration.

Et pour cause. Sous couvert de « garantir la nécessaire protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques », ce qui est aujourd’hui l’article L612-3 du Code de l’éducation prévoit que les obligations de transparence résultant de deux articles issus de la loi Numérique de 2016 sont « réputées satisfaites », dès lors que les candidats se voient « informés de la possibilité d’obtenir, s’ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise ».

En clair, cet article introduit une sorte de dispense de se plier aux deux obligations suivantes :

  1. Communiquer sur demande aux candidats, non pas l’algorithme utilisé pour traiter leur dossier, mais les « règles » définissant ce programme informatique et les « principales caractéristiques » de sa mise en œuvre, au regard de leur situation individuelle (L311-3-1 du CRPA).
  2. Mettre en ligne, en Open Data, les fameuses « règles » définissant « les principaux traitements algorithmiques » utilisés dans le cadre de Parcoursup (L312-1-3 du CRPA).

Donnant satisfaction aux universités, le Conseil d’État est allé plus loin encore, en posant que ces « dispositions spéciales » devaient « être regardées comme ayant entendu déroger, notamment, aux dispositions de l’article L. 311 - 1 du Code des relations entre le public et l’administration, en réservant le droit d’accès à ces documents aux seuls candidats, pour les seules informations relatives aux critères et modalités d’examen de leur candidature ».

Estimant que le législateur avait « entendu régir par des dispositions particulières le droit d’accès aux documents relatifs aux traitements algorithmiques utilisés », ceci en s’appuyant – sans plus de détail – sur les « travaux préparatoires de la loi », la plus haute juridiction administrative a ainsi jugé que le droit d’accès aux documents administratifs ne s’appliquait pas aux « algorithmes locaux » de Parcoursup. Les candidats peuvent uniquement solliciter les « informations relatives aux critères et modalités d’examen de leur candidature », mais pas les feuilles Excel servant à leur pré-classement.

Des dispositions contraires à la Constitution ?

En guise d’ultime recours, l’UNEF a donc tenté de contester la constitutionnalité des dispositions du nouvel article L612-3 du Code de l’éducation. La question sera d’ailleurs bientôt tranchée par le Conseil constitutionnel, puisque le Conseil d’État a accepté, mercredi 15 janvier, de transmettre la « QPC » de l’UNEF aux « Sages » de la Rue de Montpensier.

« Le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient « le droit de demander compte à tout Agent public de son administration » garanti par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 soulève une question qui peut être regardée comme présentant un caractère sérieux », admet la haute juridiction, qui a ainsi suivi l’avis du rapporteur public.

Préalablement, le Conseil d’État avait confirmé que les deux autres conditions à toute QPC étaient remplies : le Conseil constitutionnel n’a pas encore jugé de la conformité des dispositions litigieuses aux textes suprêmes, et celles-ci étaient invoquées dans un litige en lien direct avec la loi en question.

Une décision d'ici trois mois

Les neuf « Sages » disposent désormais d’un délai de trois mois pour statuer.

« Le Conseil constitutionnel devra donc se prononcer sur la publication des algorithmes Parcoursup », s’est félicitée la présidente de l’UNEF, Mélanie Luce, sur Twitter. « Certaines facs ont utilisé le lycée d’origine pour trier les candidatures, nous devons connaître ces critères ! L’UNEF ne lâche rien contre cette sélection obscure et discriminante ! »

« J'espère que le Conseil constitutionnel va censurer ces dispositions », réagit pour sa part le sénateur Pierre Ouzoulias, qui lutte de longue date contre l’opacité de Parcoursup. Contacté par nos soins, l’élu communiste nous rappelle que le Sénat avait voté courant 2018 un amendement pour assurer la transparence sur les fameux « algorithmes locaux » utilisés par certaines universités, avant que celui-ci ne soit retoqué par la majorité, à l’Assemblée.

Si la décision du Conseil sera scrutée avec attention par de nombreux étudiants et directeurs d’universités, elle pourrait potentiellement intéresser un public bien plus large. Certains juristes, à l’instar de Nicolas Hervieu, s’interrogent ainsi sur l’éventuelle consécration d’un « droit constitutionnel d'accès aux algorithmes ».

Sans transparence, pas de décision 100 % automatisée, ont déjà jugé les « Sages »

Les « Sages » avaient d’ailleurs déjà entrouvert ce dossier, en juin 2018, suite à l’examen du projet de loi adaptant le droit français au RGPD. Statuant sur les dispositions autorisant les administrations à prendre des décisions 100 % automatisées, sans intervention humaine (ce qui n’est en principe pas le cas dans le cadre de Parcoursup), les juges avaient prévenu que le seul recours à un algorithme était subordonné au respect de plusieurs conditions, dès lors que celui-ci servait à fonder une décision individuelle.

L’administration doit notamment « mentionner explicitement » que cette décision « a été adoptée sur le fondement d'un algorithme ». Les « principales caractéristiques de mise en œuvre de ce dernier doivent être communiquées à la personne intéressée, à sa demande », avait au passage insisté le Conseil constitutionnel – rappelant ainsi les obligations nées de la loi Numérique de 2016, et pourtant largement ignorées des acteurs publics.

La haute juridiction avait surtout considéré que « lorsque les principes de fonctionnement d'un algorithme ne peuvent être communiqués sans porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts énoncés au 2° de l'article L. 311 - 5 du Code des relations entre le public et l'administration [ndlr : secret défense, secret industriel et commercial, etc.], aucune décision individuelle ne peut être prise sur le fondement exclusif de cet algorithme ».

Un raisonnement qui a un écho bien particulier lorsqu’on se penche sur le dossier Parcoursup : c’est en effet au nom du « secret des délibérations des équipes pédagogiques » que les « algorithmes locaux » des universités bénéficient aujourd’hui d’un régime dérogatoire aux règles applicables en matière de transparence...

Commentaires (4)

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J’allais justement poster le même type de message ;)

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j’allais également faire pareil !

L’opacité des « algorithmes locaux » de Parcoursup devant le Conseil constitutionnel

  • Le Conseil d’État confirme le « caractère sérieux » des demandes de l’UNEF

  • Des dispositions contraires à la Constitution ?

  • Une décision d'ici trois mois

  • Sans transparence, pas de décision 100 % automatisée, ont déjà jugé les « Sages »

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