Après Sébastien Soriano, quels défis à la présidence de l’Arcep ?
Le double effet Kiss Cool
Le 08 janvier 2021 à 07h30
16 min
Internet
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L’Arcep est une autorité forte en France, régulant notamment le marché des télécoms. Alors que de gros chantiers sont en cours et que d’autres arrivent à grands pas, Laure de La Raudière devrait en prendre la tête pour six ans. Voici un tour d’horizon des défis qu'elle devra relever.
Depuis le début de la semaine, Sébastien Soriano n’est plus président de l’Arcep : son mandat de six ans – non renouvelable – est terminé. La question de la personne qui va lui succéder est sur toutes les lèvres dans le petit monde des « télcos ». Laure de La Raudière devrait être nommée à ce poste après des auditions parlementaires.
Si cela est confirmé, elle prendra alors la présidence de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse. Car le champ d'intervention de l'Arcep est très large. Son rôle sera d’autant plus important que le numérique est incontournable dans ces différents secteurs.
Sébastien Soriano publiait il y a quelques jours son discours de départ (et un billet sur LinkedIn), revenant sur son mandat. Il a indéniablement insufflé une nouvelle énergie au régulateur, sans hésiter à sortir de son pré carré pour livrer des avis sur des domaines où il n’avait parfois aucun pouvoir direct.
Dans le même temps, l’ex-président a cherché à élargir le champ d’action de l’Autorité, laissant désormais le soin à son successeur de continuer ou non ses « combats ». Il vient pour rappel d'être nommé à la tête de l'IGN.
J’alerte l’Arcep et la régulation par la data
Un an après son arrivée, Sébastien Soriano faisait pivoter l’Arcep pour « bâtir une régulation par la data ». Un chamboulement important pour l’Autorité et, dans l’ensemble, c’est une franche réussite.
Nous pouvons par exemple citer la plateforme « J’alerte l’Arcep » qui permet à tout un chacun de signaler un dysfonctionnement ou un problème, vis-à-vis de la neutralité du Net par exemple. Au fil des années, plusieurs services ont été lancés ou renforcés : Mon réseau mobile, Carte fibre, Ma connexion internet et Wehe.
Depuis quelque temps, les données des acteurs tiers sont également prises en compte et publiées sur les différents observatoires, à partir du moment où les partenaires respectent un code de bonne conduite.
Malgré leurs atouts indéniables et la publication des données en open data, ces plateformes ont néanmoins du mal à atteindre un large public, autre que les « geeks » et connaisseurs du secteur. Le grand public a pourtant tout intérêt à les utiliser pour connaitre la qualité de sa connexion et les offres disponibles à son domicile par exemple.
Faire connaitre ces outils (qui sont par définition indépendants des opérateurs) pourrait être l'un des prochains défis du régulateur, mais c’est loin d'être le seul.
Sébastien Soriano : « Donner du pouvoir »… mais à qui ?
« Si je devais résumer ce qui m’a guidé en une expression, ce serait "donner du pouvoir". Ce que j’ai essayé de faire, pendant ces six années, c’est donner du pouvoir », explique l’ancien président de l’Arcep dans son discours d’adieu.
Il dit avoir « donné du pouvoir à tous les acteurs d’Internet, pour que l’intelligence de ce réseau reste aux extrémités et qu’Internet ne se laisse pas entraîner par des tentatives d’accaparement et de contrôle »… mais tout le monde n’est pas du même avis. L’Association des Opérateurs Telecoms Alternatifs (AOTA) faisait part dès 2017 de sa déception sur les actions menée en matière de régulation du marché du fixe :
« Outre son incapacité à réparer les erreurs du passé, l’AOTA constate avec beaucoup de regrets que le régulateur n’a pas pris en compte ses demandes répétées de production d’une offre FTTH activée nationale par l’opérateur dominant. Elle prend le risque de fragiliser une multitude d’acteurs du marché, multitude que la régulation n’a jamais su valoriser comme il se doit. »
L'association a annoncé soutenir la nomination de Laure de La Raudière et sera sans doute attentive aux prochaines auditions qui permettront de connaître son analyse et ses priorités. De son côté, Benjamin Bayart a vanté sa capacité d'écoute et sa bonne connaissance du secteur.
Investissements et couvertures en hausse, le faux pas du New Deal
Dans son discours Sébastien Soriano est aussi revenu sur les « prix attractifs » du secteur, mais avec une couverture du territoire « insuffisante en réseaux ». Il souhaitait donc que les investissements augmentent sur ce marché.
Là encore, son mandat parait plutôt positif sur ce point puisqu'ils sont passés en « cinq ans, de 7 milliards à 10,5 milliards d’euros, soit une augmentation de 50 % ». Il donne quelques exemples : « Accélération très forte de l’arrivée de la fibre, 16 millions de nouvelles prises optiques en cinq ans, 7,5 millions d’abonnements », etc.
La 4G aussi est source de satisfaction pour Soriano, « avec un territoire couvert en 4G par quatre opérateurs, qui est passé de 46 à 75 % en cinq ans ». 96 % du territoire est aujourd’hui couvert en 4G par au moins un opérateur… mais il reste encore de nombreuses zones blanches et donc des habitants parfois exclus du THD.
C’est là qu’intervient le New Deal Mobile début 2018, un accord « historique » devant permettre de définir des zones à couvrir en priorité. C’était un important changement de paradigme pour le président de l’Arcep : « Désormais, les zones blanches ne sont plus définies depuis Paris, par un État ou des opérateurs, mais par les maires eux-mêmes qui font la demande d’installation des pylônes ».
Problème, cet accord restera aussi dans les mémoires pour son important raté au niveau de la communication. Alors que le gouvernement, l’Arcep et les opérateurs annonçaient la signature d’un accord historique, nous avons appris – suite à une demande CADA – « qu’aucun accord, au sens contractuel du terme, n’[avait] été formellement signé entre l’État, l’Arcep et les opérateurs de téléphonie mobile ».
Il n’en reste pas moins que des obligations ont été ajoutées dans le renouvellement des licences des fréquences et que l’Arcep tient un tableau de bord de l’avancement des travaux. Ce New Deal est loin d’être terminé et de nombreux sites restent encore à identifier et déployer.
Un regret a par contre été régulièrement remonté par les acteurs locaux et les utilisateurs : le décalage entre les cartes de couverture théorique des opérateurs et la réalité sur le terrain. La précision a enfin été améliorée en 2020. Certes il y a du mieux, mais il reste encore des progrès à faire et il faudra surveiller cela de près.
L’Arcep s’est déjà saisi de la question des cartes de couvertures 5G et du logo sur les smartphones, mais le gros reste à venir. Si la présidence de Sébastien Soriano était marquée par le déploiement de la 4G, celle à venir sera sous le sceau de la 5G qui est disponible depuis quelques semaines à peine.
À ces questions s’ajoute aussi celle de la méfiance autour des ondes (qui ne sont pas nouvelles) et des fausses informations qui se multiplient. Ni le gouvernement ni l’Arcep n’ont pour le moment réussi à rassurer les personnes inquiètes, jouant pour le moment la carte de l’apaisement et du dialogue.
FTTH : le drame de certaines armoires aux points de mutualisation
Le cas de la fibre mérite qu’on s’y attarde. Le plan France Très Haut Débit est en bonne voie pour attendre 100 % de THD (+ 30 Mb/s) avec 80 % de fibre optique en 2022. Ce n’était pourtant pas gagné avec une communication parfois chaotique des pouvoirs publics. Nous sommes revenus sur le sujet en détail dans notre Magazine #2.
Un des gros chantiers qui attend l’Arcep sera le retrait du réseau cuivre, déjà doucement amorcé par Orange… mais aussi la question souvent passée sous le tapis du décommissionnement du coaxial encore utilisé par Altice/SFR.
Et le sujet n’est pas aussi simple qu’il n’y parait : Altice va « probablement devoir maintenir en état son réseau câblé pour assurer seulement le service audiovisuel, et cela pendant encore des années », expliquait en mai 2019 le Cerema (centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement qui dépend du ministère de l’Écologie).
Il faudra également que le régulateur se saisisse à pleines mains des problèmes des points de mutualisation (PM) où les différents opérateurs connectent leurs clients. En effet, ils ressemblent parfois plus à un saladier géant de fibres qu’à autre chose. Mettre de l’ordre parait indispensable pour éviter les drames dans les années à venir.
Le problème n’est pas nouveau, mais il s’amplifie proportionnellement avec la montée en puissance du déploiement et des abonnements qui connaissent des hausses importantes ces derniers temps… augmentant mathématiquement le taux de remplissage des armoires et autres PM, qui « dégueulent » de fibre pour certaines.
Avec 9,2 millions d’abonnements FTTH seulement pour 22,2 millions de lignes éligibles c’est déjà le bazar, alors on ne peut qu'imaginer les dégâts quand le taux de pénétration augmentera. Sébastien Soriano a déjà donné son avis : il souhaite que ce soit « l’opérateur d’infrastructure qui fasse la police des bonnes pratiques, avec une capacité le cas échéant de déréférencer les sous-traitants qui seraient particulièrement peu soigneux et récidivistes ».
Est-ce que ce sera aussi l'analyse de sa remplaçante ?
Les actes manqués : marché entreprises, IPv6
Si Sébastien Soriano parle de la fibre pour les entreprises comme d’un marché « où les lignes bougent », il ajoute – et c’est un doux euphémisme – qu’il est « encore insuffisamment concurrentiel ».
Le duopole Orange-SFR domine largement et le nouveau venu Kosc (poussé par l’Arcep) a terminé en redressement judiciaire fin 2019. Il a depuis trouvé un repreneur avec Altitude Infra, mais le chantier à venir est encore très important et on espère que l’Arcep y mettra activement son grain de sel.
Il est aussi question d’IPv6 dans le discours de Sébastien Soriano, qui revient sur la mise en place de la taskforce… qui s’est réunie pour la première fois le 15 novembre 2019, ce qui est déjà bien trop tard. En effet, le RIPE NCC (Europe et Moyen-Orient) a annoncé une pénurie d’adresses IPv4 le 25 novembre 2019.
Malgré une multiplication d’annonces autour d’IPv6, la situation reste catastrophique pour de nombreux utilisateurs français. On a par exemple un grand écart entre Free et SFR avec respectivement 99 et 1,6 % de clients activés sur le fixe. Sur le mobile, Bouygues flirte avec les 98 %, tandis que Free Mobile et SFR étaient à 0 % fin 2020, mais le premier vient d’ajouter une option à ses clients.
Bref, l’Arcep va avoir du pain sur la planche concernant le marché de la fibre pour entreprise et la transition inévitable et nécessaire vers IPv6, deux domaines ou le régulateur était finalement assez peu incisif ces dernières années. Laure de La Raudière s'inquiétait de ce sujet dès 2010. Il sera intéressant de voir quelles seront ses actions en la matière une fois qu'elle sera aux commandes de l'Arcep.
Sacralisation de la neutralité du Net… mais pas des terminaux
Durant l’année 2017, Sébastien Soriano était aussi président du BEREC, l’organisme regroupant les régulateurs européens, où il a été « extrêmement attentif » sur les lignes directrices concernant la neutralité du Net… alors que les États-Unis au contraire la sacrifiait.
Sur la « lutte contre la domination des GAFA, véritables gares de triage de l’ère informationnelle », Sébastien Soriano explique que l’Arcep a porté des « contributions pionnières, qui ont puissamment structuré le débat en posant très tôt des concepts tels que les plateformes structurantes, la régulation supervision, la régulation économique ex ante ».
Mais rien n’est fait pour le moment, car ces concepts sont seulement « en train de trouver leur place dans les travaux européens ». Le flambeau va donc changer de main et prendre de l’importance puisque la domination des géants du Net ne cesse de grandir.
« Au-delà des réseaux, cette neutralité, l’Arcep a voulu la porter au niveau des terminaux, en particulier des smartphones, qui deviennent une prison dorée, nous contraignant dans nos choix », ajoute l’ex-président. Le régulateur se penche sur le sujet depuis maintenant près de trois ans, mais rien n’est réglé pour l’instant.
Et cela ne concerne d’ailleurs pas que les smartphones : on aimerait que les autorités se penchent activement sur le cas des objets et enceintes connectés, qui enferment beaucoup trop souvent l’utilisateur dans un écosystème propriétaire. Là encore les prochaines années seront décisives.
La question des box mériterait aussi d’être approfondie. Si les FAI doivent obligatoirement inclure le tarif de la location du modem dans leur tarif (suite à une demande de la DGCCRF), l’utilisateur est encore quasi systématiquement enfermé sur la solution maison du FAI. Utiliser un modem/routeur tiers relève parfois du parcours du combattant, quand cela est possible. Sur ce point d’ailleurs, les États-Unis sont en avance.
Régulation de la distribution de la presse
L’Arcep ne s’arrête pas là, son domaine de compétence est plus large. « Au-delà des télécoms, nous avons veillé à ce que La Poste continue à apporter un service de qualité malgré la baisse du courrier, et dans la distribution de la presse, nouvelle responsabilité pour l’Arcep, à ce que ce secteur, si indispensable à l’expression de notre vie démocratique, puisse lui aussi traverser cette période difficile », affirme Sébastien Soriano.
Si le régulateur a en effet beaucoup travaillé sur la presse papier, il faudrait qu’il se penche aussi sur la presse numérique… d’autant qu’elle a tendance à intéresser les mêmes actionnaires que ceux derrière les gros opérateurs. La question des droits voisins devrait être approfondie, l’Arcep étant assez discrète sur le sujet jusqu’à présent.
Mais de manière générale, c'est bien de la question de la relation entre le secteur et les grandes plateformes dont il faudrait qu'il soit question pour éviter les situations de dépendance, sans en passer par de nouvelles « rentes ».
Quand le bâton du gendarme irritait Orange
Dans tous les cas, l’Autorité de ces dernières années a largement montré son utilité – et sa nécessité – dans certains domaines. L’Autorité est ainsi montée au créneau contre différents opérateurs, en agitant son bâton de gendarme et prononçant parfois des sanctions. Notamment dans le cas d'Orange.
Certains estiment qu’elle pourrait en faire bien plus contre l’opérateur historique. « J'ai des sujets opérationnels de base sur la problématique d'Orange qui durent depuis quatre ans, qu'est-ce que j'aimerais que l'Arcep le sanctionne », nous expliquait Ariel Turpin, délégué général de l’Avicca, en septembre 2019.
Ce pouvoir de sanction irrite aussi. Stéphane Richard était ainsi monté en créneau en septembre dernier en déposant une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre des pouvoirs de sanction du régulateur. L’opérateur contestait la possibilité pour l’Arcep « d’être à la fois juge et partie ». Même si Orange l’avait retiré deux semaines plus tard, l’affaire a fait grand bruit et sonnait comme un coup de semonce.
« Ce dépôt de QPC aura de toute façon un effet, même si Orange la retire aujourd'hui. Ça donne à Orange le poids de dire : j'ai l'arme nucléaire », expliquait Patrick Chaize, sénateur de l'Ain et vice-président de la commission de l'aménagement du territoire. L’opérateur pourrait en effet ressortir ou brandir le spectre d’une question prioritaire de constitutionnalité en cas de nouveau désaccord.
« Dans l'histoire de l'Arcep, si je ne me trompe pas, il y a quatre sanctions, dont trois qui ont abouti, alors qu'il y a quand même eu deux questions prioritaires de constitutionnalité, c'est quand même incroyable ! [...] Ce n'est pas un régulateur aussi méchant qu'il y parait ». La question est maintenant de savoir si, durant les prochaines années, l’Autorité sera encore plus « méchante » ? Laure de La Raudière ayant travaillé plus de dix ans pour Orange jusqu'en 2001, certains en doutent, comme Xavier Niel. Elle devra donc rassurer sur ce point.
Quoi qu’il en soit, elle aura du pain sur la planche. Les auditions devant mener à la confirmation (ou non) de sa nomination qui se tiendront à l’Assemblée nationale et au Sénat seront l’occasion de découvrir les grandes lignes de la nouvelle stratégie qui pourrait être mise en place. L'Arcep étant pour rappel géré par un collège composé de sept personnes qui « définit les grandes orientations, adopte les décisions et les avis qui fondent son action générale ».
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