Trous noirs et étoiles à neutrons : deux fusions de « couples mixtes » observées
L’étoile à neutrons s’est fait « gober »
Le 30 juin 2021 à 09h54
7 min
Sciences et espace
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Les collaborations Virgo, LIGO et KAGRA ont observé pour la première fois la fusion d’un trou noir et d’une étoile à neutrons. Deux événements cataclysmiques de ce genre ont même été identifiés en janvier 2020, de quoi élargir encore le champ de recherche (et de questionnement) des scientifiques.
Cela fait maintenant plus de cinq ans que les observatoires LIGO et Virgo ont détecté les premières ondes gravitationnelles, confirmant une des théories d’Albert Einstein. Cette découverte était « à la fois un aboutissement et aussi le début d’une nouvelle forme d’astronomie, d’une nouvelle fenêtre sur l’Univers », expliquait le physicien Nicolas Arnaud.
Les ondes gravitationnelles étaient à l’époque issues de la fusion entre deux trous noirs. En 2017, les deux laboratoires détectaient pour la première fois celles produites par la fusion de deux étoiles à neutrons. Durant les cinq dernières années, des dizaines de détections ont été faites par les scientifiques. Dans le lot, il était question de possibles fusions hybrides entre un trou noir et une étoile à neutron, mais sans confirmation jusqu’à maintenant.
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De tels événements sont prédits par la théorie… et désormais validés par les observations : « Les détecteurs d’ondes gravitationnelles ont capté un nouveau type de cataclysme cosmique : la fusion d’une étoile à neutrons avec un trou noir », explique le CNRS. C’était le « couple manquant » pour Astrid Lamberts, chercheuse du CNRS au laboratoire J.-L. Lagrange.
Promotion sur les hybrides : deux pour le prix d’un
La détection de ces ondes gravitationnelles a déjà plus d’un an, mais il fallait vérifier les mesures et confirmer les conclusions avant de les clamer publiquement : « Le 5 janvier 2020 […] les observatoires Advanced Virgo en Italie et Advanced LIGO de Livingston (États-Unis) enregistraient simultanément le signal d’une onde gravitationnelle produite par les derniers instants d’une collision entre deux corps compacts. Dix jours plus tard, les deux détecteurs américains et Advanced Virgo captaient le signal émis à l’occasion par un cataclysme distinct mais de même type ».
Aujourd’hui, après « des mois d’analyses et de modélisations », les deux événements – baptisés GW200105 et GW200115 (les numéros indiquent la date 20 pour l’année, 01 pour le mois et 05 ou 15 pour le jour) – « se sont révélés être la toute première observation de la coalescence d’un trou noir et d’une étoile à neutrons ». Ces analyses, « qui s’appuient notamment sur les équations de la relativité générale », révèlent aussi des informations sur les corps célestes à l’origine des ondes.
En 2019, deux événements étaient des candidats prometteurs pour une fusion hybride : GW190814 et GW190426. Dans le second cas, « le résultat des analyses n’atteignait pas [un niveau suffisant de statistiques significatives] pour être qualifié de "découverte" », tandis que pour le premier la masse estimée du corps le plus léger ne permettait pas de trancher entre trou noir et étoile à neutrons. Ce n’était finalement que partie remise.
Les trous noirs sont 4 à 4,7x plus massifs…
GW200105 est le résultat de la collision entre deux corps « compacts pesant, respectivement, 8,9 et 1,9 masses solaires », tandis que GW200115 (15 janvier 2020) est « la coalescence entre deux corps de 5,7 et 1,5 masses solaires ». Les trous noirs sont à chaque fois plus massifs que les étoiles à Neutrons, leur masse est donc respectivement de 8,9 et 5,7 fois celle du Soleil.
Dans les deux cas, les événements se sont déroulés il y a très longtemps : 900 millions à un milliard d’années environ. À cette époque lointaine, « la Terre, sur laquelle on ne trouvait encore ni animal ni plante, s’apprêtait à devenir une immense boule de neige ».
…et ils auraient pu « gober » l’étoile à neutrons
Le CNRS explique que la fusion d’une paire de trous noirs n’émet « rien dans le spectre électromagnétique », contrairement à ceux avec deux étoiles à neutrons ou mixtes qui « peuvent émettre des signaux potentiellement visibles par nos télescopes classiques ». C’était le cas de l’événement GW170817 de 2017 avec deux étoiles à neutrons.
Les scientifiques ont par contre fait chou blanc avec GW200105 et GW200115. Plusieurs raisons sont mises en avant : la grande distance des événements et la direction des sources qui « n’a pas pu être établie avec suffisamment de précision pour avoir un pointage efficace des télescopes ».
Une autre raison est sur le tapis pour expliquer cette absence de lumière : la différence des masses entre l’étoile à neutrons et le trou noir. Dans les deux cas, le trou noir « pourrait avoir "avalé" rapidement l’étoile à neutrons avant sa destruction, empêchant ainsi l’émission de lumière ».
Comment se sont formés ces systèmes hybrides ?
Les chercheurs mettent en avant deux scénarios pour expliquer ces fusions hybrides :
« Le premier, appelé évolution binaire isolée, postule que le couple a d’abord été une étoile double dont l’une a fini par évoluer en trou noir, l’autre en étoile à neutrons.
Le second, appelé interaction dynamique, implique une formation tardive de la paire, de deux corps jusque-là indépendants que l’interaction gravitationnelle a mis en orbite mutuelle suite à une rencontre fortuite ».
Pour les départager, les scientifiques disposent d’une variable : le sens de rotation des trous noirs (ou spin). Dans le premier cas (évolution binaire) le spin du trou noir doit être aligné avec celui du second astre, tandis que dans le second cas les orientations sont indépendantes.
Avec GW200105, les scientifiques ne sont pas parvenus à départager les deux scénarios. En revanche, avec GW200115, ils ont une piste : « si le trou noir tournait sur lui-même dans le sens des aiguilles d’une montre, l’étoile à neutrons orbitait autour du trou noir en sens inverse ». C’est donc un indice tendant à montrer que « ce système s’est formé lorsque le trou noir a "capturé" gravitationnellement l’étoile à neutrons ».
Pas de quoi arriver à une conclusion définitive pour autant : « En se basant sur les deux détections actuelles, on peut estimer que 5 à 15 systèmes binaires de ce type se forment chaque année dans un rayon d’un milliard d’années-lumière ; une fourchette qui ne permet pas pour l’instant de trancher entre les deux scénarios ».
De phénomènes « les plus extrêmes de l’Univers »
Quoi qu’il en soit, Astrid Lamberts affirme que « cette découverte va permettre d’approfondir la connaissance que nous avons des phénomènes les plus extrêmes de l’Univers ainsi que nous aider à mieux comprendre les mécanismes qui les ont générés ».
Les scientifiques disposent en effet dans leur besace de données sur la fusion de deux trous noirs, de deux étoiles à neutrons et désormais de systèmes hybrides ; c’est donc un « carton plein ».
Rendez-vous en 2022 pour des mesures encore plus précises
Le prochain cycle de mesure des interféromètres doit débuter mi-2022 avec des instruments encore plus sensibles , le CNRS « s’attend alors à détecter des centaines d’événements ». Un changement d’échelle important puisqu’il est question de dizaines actuellement.
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