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La « charte du numérique » a peu de chances de prospérer au Sénat, selon Christophe-André Frassa

Interview avec le rapporteur de la loi Numérique

La « charte du numérique » a peu de chances de prospérer au Sénat, selon Christophe-André Frassa

Le 27 juillet 2018 à 12h46

Alors que les députés ont refusé d’introduire une charte du numérique dans la Constitution, cette proposition pourrait-elle avoir plus de succès devant la Haute assemblée ? « Non », nous répond le sénateur Christophe-André Frassa, qui co-présidait le groupe de travail parlementaire sur les « droits et libertés constitutionnels à l'ère numérique ».

Même si l’Assemblée a repoussé l’examen de la réforme constitutionnelle à la rentrée, Next INpact a pu interroger l’ancien rapporteur de la loi Numérique, Christophe-André Frassa.

L’élu Les Républicains a pour mémoire été désigné co-président du groupe de travail voulu par les présidents des deux assemblées (Gérard Larcher pour le Sénat et François De Rugy pour le Palais Bourbon) en vue de réfléchir « à l’inclusion des droits et libertés numériques dans la Constitution ».

Initiée fin mai, cette commission transpartisane mêlant députés et sénateurs a rendu ses conclusions le 22 juin (voir notre article).

Quel regard portez-vous sur les débats ayant eu lieu à l’Assemblée ?

Je n’ai pas vraiment été étonné de la teneur de ces débats. Mme Paula Forteza, qui co-présidait avec moi le groupe de travail mixte Assemblée nationale/Sénat, a déposé un amendement pour annexer une charte du numérique à la Constitution. J’ai constaté que son texte n’était pas exactement celui auquel avait abouti le groupe de travail, mais nous avions bien compris qu’elle n’approuvait pas personnellement certains choix des députés et sénateurs membres de ce groupe.

En ce qui concerne le principe même d’une charte, c’était la moins mauvaise proposition que le groupe de travail avait retenue pour « faire entrer le numérique » dans le texte fondateur de notre République.

Dès notre première réunion, j’avais indiqué que le Sénat s’opposerait à des amendements modifiant plusieurs articles de la Constitution : ajouter à chaque fois le mot numérique dans une dizaine d’articles n’avait pas de sens. Et sur le résultat de nos travaux, c’est-à-dire le texte de la charte, je veux juste confirmer qu’il a bien été accepté par tous les députés et sénateurs du groupe que je co-présidais et que nous n’étions pas tenus par une obligation de résultat. Donc nous aurions pu ne pas aboutir à un texte commun !

Quoi qu’il en soit, l’initiative des défenseurs d’une charte a fait long feu et s’est opposée à un refus très clair du rapporteur général de la commission des lois de l’Assemblée nationale et du groupe La République en marche.

Deux motifs ont été avancés par Richard Ferrand. D’abord, il serait « nécessaire de poursuivre la réflexion avec une consultation beaucoup plus large ». Mais nous étions, nous sénateurs, les premiers dans le groupe de travail à regretter des délais bien trop courts, et cette contrainte était connue du président de l’Assemblée nationale lorsqu’il a suggéré la création du groupe de travail. Donc le reproche de la précipitation me semble plutôt à retourner contre les initiateurs de l’opération !

Le second motif d’opposition est plus inquiétant et porte sur le fond. Manifestement, certains députés de la majorité n’étaient pas favorables à la reconnaissance de certains principes comme celui de la neutralité du Net. Cela montre quand même des oppositions assez fondamentales qu’il faudra trancher un jour ou l’autre.

Finalement, gouvernement et groupes majoritaires de l’Assemblée nationale se seraient accordés sur le « plan B » proposé par le groupe de travail, c’est-à-dire l’inscription de la protection des données personnelles dans la définition du domaine de la loi à l’article 34 de la Constitution. C’est-à-dire une disposition assez redondante avec le droit existant.

Au total, j’ai le sentiment d’une gentille comédie, avec au départ l’intention de faire plaisir à certains, puis, quand les choses sont devenues sérieuses, une pirouette qui met fin au débat.

Pensez-vous que cette proposition de charte ait plus de chances de prospérer au Sénat ?

Honnêtement, non. La question de la place prise par le numérique dans notre société ne doit pas être traitée à la légère, elle impacte nos droits et nos libertés, c’est évident. Mais si nous avons accepté de travailler avec les députés – et je reconnais que nous avons eu des discussions très libres et très intéressantes sur tous ces sujets au sein du groupe de travail – je pense qu’il faut du temps pour réfléchir et éventuellement aboutir.

De toute façon, le texte de révision doit être adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées, et le vote de rejet de l’Assemblée nationale met fin au débat.

 Comptez-vous malgré tout porter une initiative sur ce sujet lorsque le texte arrivera au palais du Luxembourg ?

Je m’exprimerai sûrement sur le sujet du numérique et des droits de la personne. J’y ai beaucoup travaillé comme rapporteur et je suis persuadé de son importance. C’est aussi un débat que nous aurons en commission des lois lorsque nous nous prononcerons sur le texte transmis par l’Assemblée nationale.

Comme co-président du groupe de travail, j’avais seulement pour mission de rendre compte de nos travaux au président du Sénat et au président de la commission des lois, saisie au fond de la réforme constitutionnelle. C’est à cette commission de décider si elle souhaite prendre une initiative sur ce terrain. Personnellement, et je ne suis pas le seul, je ne suis pas favorable à des révisions constitutionnelles qui ne sont pas centrées sur quelques sujets bien définis.

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