[Interview] Les inquiétudes de Wikimédia face au Digital Services Act
Un seul régime pour un Web hétérogène ?
Le 23 novembre 2021 à 16h22
8 min
Droit
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Naphsica Papanicolaou, chargée du plaidoyer pour Wikimédia France, revient dans nos colonnes sur l’actualité relative au Digital Services Act. Un texte qui entend réformer les obligations pesant sur les plateformes, qui n'est pas sans inquiéter l’encyclopédie libre et participative.
La précédente régulation se limitait à une directive dite sur le commerce électronique, datant de 2000. Quatre ans avant Facebook, cinq ans avant YouTube, six avant Twitter, c’est elle qui encadre encore aujourd’hui ces mastodontes. Le DSA a été présenté voilà près d’un an par la Commission européenne. Derrière l’acronyme, un nouveau régime juridique destiné à dépoussiérer ce cadre.
Comme relaté dans cette analyse ligne par ligne de l’ensemble de ses 74 articles, le DSA impose une série d’obligations de « diligence raisonnable » et de transparence dans l’univers de ces intermédiaires.
Il prévoit en outre, s’agissant des très grandes plateformes en ligne, celles qui comptent plus de 45 millions d’utilisateurs actifs chaque mois, des obligations complémentaires afin notamment de jauger les risques systémiques qu’elles génèrent, que ce soit dans la diffusion des contenus illicites, les effets négatifs sur la liberté d’expression ou les fake news.
S’y ajoutent des obligations de désignation d’un point de contact, mais aussi de reporting ou encore la mise en place de codes de conduite. Pour chapeauter le tout, le futur règlement prévoit une obligation de coopération avec les autorités de contrôle accompagnée de sanctions importantes, pouvant atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial.
Alors que la procédure d’adoption européenne est toujours en cours, Naphsica Papanicolaou a bien voulu répondre à nos questions, où elle fait part de ses espoirs, mais aussi des inquiétudes de Wikimédia.
Où en est la procédure parlementaire en Europe ?
Aux dernières nouvelles, au Parlement européen, les experts travaillent depuis la semaine dernière sur le texte. Il y aura normalement une réunion des députés à Strasbourg pour tenter de trouver un accord, notamment sur ce qui a été un peu la grande nouvelle d’hier, à savoir la possibilité pour Wikimédia et d’autres organisations non lucratives d'obtenir une dérogation à une partie des obligations du DSA.
Nous attendons du Parlement européen qu’il vote sa propre position en décembre ou en janvier. Ce n’est pas encore arrêté. Ensuite, il entamera les négociations « en trilogue » avec le Conseil.
Comment Wikimédia a accueilli l’arrivée de ce projet de règlement dans le paysage européen ?
Globalement, le mouvement accueille plutôt favorablement ce texte, pour plusieurs raisons notamment parce qu’il devenait urgent de redonner un peu de jeunesse à la directive e-commerce de 2000.
Une directive créée avant même l’apparition de Facebook ou Wikipédia. On a néanmoins des inquiétudes, notamment sur la représentation des plateformes communautaires qui sont encore mises de côté.
En quoi Wikipédia serait impacté par ce texte ?
Le législateur européen raisonne en termes de seuils de visiteurs uniques, à l’instar de la France avec la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République où a été prétransposé ou surtransposé le DSA. Dans un cas comme dans l’autre, Wikipédia est au-dessus des seuils.
C’est une chose de raisonner en termes de visiteurs uniques afin de protéger les formes plus petites, mais nous militons pour que soient pris en compte des critères qualitatifs comme le modèle économique de la plateforme, sa viralité… Les solutions sont multiples, mais on ne peut pas se contenter de ces critères purement quantitatifs !
En l’état, Wikipédia serait donc assujetti aux plus grandes obligations du Digital Services Act. En France, paradoxalement, on a fini par être plus régulé que les réseaux sociaux qui étaient à la base la cible de la surtransposition.
Est-ce problématique d’être assimilé aux très grandes plateformes ?
Le règlement ne reconnaît pas et ne défend pas le modèle des plateformes communautaires. C’est un texte sur-mesure, taillé pour les « big tech ».
Là où on commence à être inquiets, c'est qu’il ne faudrait pas qu’à terme, à force de rédiger des dispositions pour un seul type de plateformes, celles à but lucratif qui fonctionnent avec de l’algorithmie et collectent des données, des projets tels que Wikipédia soient court-circuités et étouffent.
Cela se voit dans certains articles. Un bon exemple : l’article 14 paragraphe 3 relatif aux mécanismes de notification. En substance, les plateformes en ligne seront responsables de la suppression de tout contenu illégal qui pourrait être téléchargé par les utilisateurs une fois qu’elles auront été informées de ce contenu. Ces mêmes plateformes devront à cette fin créer des mécanismes pour permettre aux utilisateurs d’alerter les fournisseurs de plateforme en cas de contenu illégal.
On le voit, ces dispositions ont tendance à ne concerner qu’un seul type de plateformes, celles dotées de systèmes de modération de contenus hyper centralisés, où les utilisateurs ont une capacité limitée à participer à ces décisions. Une modération qui incombe à un organe unique géré par la plateforme.
Nos inquiétudes sont qu’à terme, on ne sait pas comment les plateformes qui ne relèvent pas de cet archétype seront affectées par les versions finales de ce genre des dispositions.
Pareillement, les nouvelles idées visant à mettre en place des délais de suppression en 24 heures me paraissent complètement folles pour une plateforme comme Wikipédia. Potentiellement, on peut suivre ces délais de 24 heures, mais cela ne peut pas devenir une obligation auprès d’une communauté de bénévoles, des gens qui bossent, ont une vie et qui, même s’ils sont très militants et engagés, dorment la nuit, sont moins actifs les week-ends.
C’est exactement ce que l’on disait à l’égard de la loi Avia : ce genre de dispositions implique un recours assez hallucinant à l’algorithmie qu’un seul type de plateforme peut mettre en place.
Wikimédia France, c’est combien de salariés ?
L'association Wikimédia France compte une dizaine de salariés, mais on ne s’occupe pas de la modération qui est vraiment faite par la communauté francophone. Soit 3 000 personnes vraiment actives, ce qui n’est pas énorme face aux près de 2,4 millions d’articles rédigés en français.
Comment sentez-vous le vent tourner à l’échelle européenne ?
Nos messages sont plutôt bien reçus, mais il y a une vraie différence entre cet accueil et ce qu’il y a fondamentalement dans les textes. L’idée d’introduire un délai pour retirer les contenus nous effraie. Il y a aussi l’exemption de modération des contenus médiatiques. Cela n’implique pas directement Wikipédia, mais on trouve que cela va dans le mauvais sens.
Cette exception, soutenue par des amendements, interdirait aux plateformes d’interférer avec les contenus des éditeurs de médias, afin de protéger ces derniers des modérations arbitraires. On craint que cela puisse aussi interdire l’étiquetage pour la vérification de faits ou le déclassement de contenus démystifiés.
Les mesures de « staydown » ne sont pas davantage une bonne idée. Avec elles, lorsqu’un contenu a été identifié comme illégal, le fournisseur doit empêcher son re-téléchargement. Cette obligation ne peut être garantie que si la plateforme utilise des filtres face à une masse de contenus.
De plus, ces pratiques peuvent empêcher les contenus légaux d’exister puisque les filtres ne vont pas voir les nuances, entre montrer une affiche incitant au terrorisme et un article pédagogique reprenant cette affiche pour la critiquer. Un filtre ne comprend pas si je suis dans la promotion ou dans la critique.
Il y a néanmoins d’autres sujets que l’on défend dans le DSA, comme la réduction des publicités ciblées, l’interopérabilité… mais rien n’est gagné. Contexte.com a indiqué que potentiellement des projets comme Wikipédia pourraient obtenir une exonération. Cela semble très bien sur le papier, mais on ne s’en réjouit même pas tant que les deadlines de 24 heures, le staydown, etc. pourront être en place. Ce sont des principes qui peuvent mettre à mal des projets comme Wikipédia.
Vous plaidez pour quoi ? Une exemption totale ?
C’est ce qu’on avait demandé en France quand on avait été pris un peu de court suite au dépôt de l’amendement gouvernemental pré-transcrivant le DSA [ndlr : notre actualité]. On ne veut pas être exemptés des devoirs de transparence mais nous plaidons pour un régime adapté, ce qui passerait d’abord par une reconnaissance des plateformes communautaires.
[Interview] Les inquiétudes de Wikimédia face au Digital Services Act
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Où en est la procédure parlementaire en Europe ?
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Comment Wikimédia a accueilli l’arrivée de ce projet de règlement dans le paysage européen ?
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En quoi Wikipédia serait impacté par ce texte ?
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Est-ce problématique d’être assimilé aux très grandes plateformes ?
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Wikimédia France, c’est combien de salariés ?
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Comment sentez-vous le vent tourner à l’échelle européenne ?
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Vous plaidez pour quoi ? Une exemption totale ?
Commentaires (2)
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Abonnez-vousLe 23/11/2021 à 17h55
Merci à Wikimédia France et aux autres associations citoyennes qui s’occupent de ces sujets.
Le 24/11/2021 à 08h54
Pour vous donner un ordre d’idées, si on parle de contenus multimédia sur Commons (essentiellement des photos) il y a des contenus qui ne sont pas triés depuis 2016 : https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Media_needing_categories
Alors évidemment tous ces fichiers ne sont pas signalés, mais pour une communauté de bénévoles qui est déjà en partie sous l’eau, ça peut faire peur de devoir faire des suppressions à la chaîne