NetzDG : la loi allemande contre la haine en ligne viole le droit européen
Der loi Afia
Le 03 mars 2022 à 16h09
8 min
Droit
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Le tribunal administratif de Cologne a considéré qu’une disposition de la Network Enforcement Act (ou loi NetzDG) viole le droit européen, en particulier la règle dite du pays d’origine. Une victoire pour Google et Meta à l’origine de cette procédure. Et un coup de semonce pour la France.
La Netzwerkdurchsetzungsgesetz est entrée en vigueur le 1er octobre 2017. Le texte avait largement inspiré la proposition de loi Avia, portée par la députée LREM jusqu’à sa censure par le Conseil constitutionnel.
Outre-Rhin, elle oblige les plateformes à supprimer les contenus manifestement haineux dans les 24 heures après signalement. Si l’illégalité n’est pas manifeste, le délai de retrait s’étend à une semaine. Les contenus à retirer doivent se rattacher à l’une des 21 infractions issues du Code pénal allemand. Les hébergeurs retardataires risquent alors jusqu’à 50 millions d’euros d’amende. Ils sont astreints également à des obligations de transparence, comme l’a montré cette amende de 2 millions d’euros frappant Facebook en 2019.
Cette loi NetzDG fut mise à jour dans le cadre d’un paquet législatif présenté après l'attaque terroriste de Yom Kippour à Halle-sur-Saale, fin 2019.
En présence d'indices concrets, les fournisseurs de services en ligne doivent depuis transmettre au bureau central de l’Office fédéral de la police criminelle les contenus signalés comme répréhensibles par les internautes, avec le nom de l’auteur du contenu et si possible son adresse IP.
Pendant ce temps, les contenus litigieux sont retirés de la plateforme durant quatre semaines. Cette obligation de signalement concerne le haut du panier parmi les 21 infractions, comme la préparation d'un acte de violence grave mettant en danger l'État, les incitations et représentations de la violence troublant la paix publique, les menaces d’atteintes à la vie, à l'autodétermination sexuelle, à l'intégrité physique ou encore les contenus pédopornographiques.
Également fruit de la réforme, la section 3b de la NetzDG introduit une procédure de contre-notification par laquelle une personne, après avoir été informée du retrait d’un de ses contenus sur un réseau social par exemple, peut contester la décision fondée sur la loi NetzDG. L'article 4a enfin désigne l’autorité compétente pour contrôler le respect des dispositions légales, à savoir l'Office fédéral de la justice (BfJ).
Pays d’origine, pays de destination
YouTube comme Facebook et Instagram ont contesté ces nouvelles dispositions en élevant le débat au niveau du droit européen. Et pour cause, si l’Allemagne a étendu ces mesures à tous les acteurs, peu importe leur lieu d’installation, Google et Meta ont au contraire contesté ce champ d’application expansif, contestant sa conformité avec les règles en vigueur qui, par principe, limitent ce champ aux seuls acteurs installés en Allemagne.
L’article 3 de la directive e-commerce de 2000 pose en effet le principe selon lequel chaque État membre peut réguler les prestataires établis sur son territoire, mais pas ceux installés dans un autre État membre. La mesure s’explique notamment par la nécessité de protéger la liberté des échanges sur le territoire européen.
Certes, des exceptions sont prévues par la directive de 2000, mais seulement dans des cas très limités. Ces dérogations ne peuvent intervenir qu’en cas de risque sérieux et grave et seulement si elles sont proportionnelles. En outre, l’État membre qui veut étendre l’emprise de sa régulation en dehors de ses frontières nationales est tenu de suivre toute une procédure, où elle doit demander à l’État où la plateforme est installée de prendre des mesures, tout en alertant aussi la Commission européenne.
En somme, un claquement de doigts législatifs n’est pas suffisant pour justifier cette extension et il est impérieux de suivre les règles du jeu fixées par la directive e-commerce.
Violation de la directive e-commerce
Le 1er mars, le tribunal administratif de Cologne a finalement jugé « que le législateur a violé le principe du pays d'origine de la directive sur le commerce électronique lors de l'introduction de la section 3a NetzDG ».
Et l’État allemand n’a pu s’abriter derrière le bénéfice des exceptions, « le législateur n'ayant ni procédé à la procédure de consultation et d'information prévue pour les exceptions, ni rempli les conditions d'une procédure d'urgence ».
En somme pour civiliser le Far West du Web, il est préférable de ne pas se comporter comme un cow-boy avec la directive e-commerce.
Une autorité administrative non indépendante
Au passage, la juridiction a dégommé également l’article 4a de la NetzDG cette fois pour violation de la directive sur les services de médias audiovisuels s’agissant des plateformes de partage de vidéos comme YouTube.
Cette directive prévient en effet que l’autorité de régulation du secteur doit juridiquement être distincte et indépendante des pouvoirs publics.
Or, dans la loi NetzDG, l’Office fédéral de la justice est sous subordonnée au ministère fédéral de la Justice et de la Protection des consommateurs.
Si la décision, susceptible d’appel, ne concerne que les parties présentes (donc Meta et Facebook), nos confrères de Netzpolitik.org relèvent qu’une procédure équivalente a été initiée par Twitter et TikTok.
Un coup de semonce, en pleine présidence française de l'UE
La décision allemande est d’autant plus intéressante qu’elle peut aussi être considérée comme un coup de semonce dans le ciel européen, en particulier en pleine présidence française de l’UE.
À plusieurs reprises la Commission européenne a en effet critiqué la France pour des lois malmenant la directive e-commerce.
Quelques exemples dans un passé récent : la France a voulu imposer des obligations dites de moyens aux plateformes, en court-circuitant les travaux autour du Digital Services Act, le futur règlement sur les services numériques, expliqué dans nos colonnes.
Ces mesures ont été consacrées en août 2021 par la loi confortant le respect des principes de la République, mise en œuvre avec ce décret publié début 2022.
Dans une série « d’observations » visant la France, la Commission européenne a tout autant dénoncé de possibles restrictions « à la libre prestation transfrontalière de services de la société de l’information établis dans un autre État membre ».
Et la Commission allant jusqu'à exprimer « ses préoccupations quant à la question de savoir si les mesures notifiées seraient proportionnées à la poursuite d’un objectif susceptible de justifier une dérogation au principe du contrôle par l’État d’origine ».
Des critiques en apparence feutrées dans le langage courant, mais incisives dans le langage protocolaire.
En novembre 2019, nous révélions cette fois que la France s’était tout autant fait sermonner par Bruxelles pour la proposition de loi Avia. Là encore, était épinglée une vague de restrictions imposées aux prestataires installés dans d’autres États membres (comme la nécessité de nommer un représentant en France, un mécanisme de notification spécifique en langue française, une solution de filtrage pour interdire la remise en ligne des contenus « manifestement » haineux, etc.).
La loi dite anti-Amazon a souffert des mêmes maux, là encore dans une série d’observations que nous avons obtenues après procédure CADA européenne. La Commission a identifié de nouvelles restrictions à la libre prestation de services : le texte oblige les vendeurs à infliger un prix minimum sur les livraisons, même si ces professionnels sont installés dans d’autres États membres. Et la Commission a pris soin de préciser à la France que son texte ne respectait pas la directive e-commerce même s’agissant des exceptions.
La récente loi imposant le contrôle parental, tout juste publié au Journal officiel devrait connaître des reproches similaires puisqu’elle impose à l’ensemble des fabricants d’écrans connectés et à leurs vendeurs d’installer une solution de contrôle parental dont l’activation sera proposée au premier démarrage.
Le texte a été publié, mais son entrée en vigueur a été repoussée à la réponse de la Commission européenne, si du moins celle-ci permet « de considérer le dispositif législatif lui ayant été notifié comme conforme au droit de l'Union européenne ».
Nous avons déjà adressé une demande CADA à la Commission européenne, suite à ses observations intermédiaires. Nous la publierons à réception.
NetzDG : la loi allemande contre la haine en ligne viole le droit européen
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Violation de la directive e-commerce
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Une autorité administrative non indépendante
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Un coup de semonce, en pleine présidence française de l'UE
Commentaires (6)
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Abonnez-vousLe 04/03/2022 à 07h01
L’hémorragie de tes désirs s’est éclipsée sous l’azur bleu dérisoire du temps qui se passe…
Le 04/03/2022 à 07h03
Plus sérieusement, en France comme en Allemagne comme partout, quand des mots aussi indéfinissables (donc permettant de condamner n’importe qui pour n’importe quoi) que “haine” entrent dans un texte de loi, c’est que ça va très mal.
Le 04/03/2022 à 13h54
C’est le propre du gotha que d’oublier son ghetto. Enfin, pas toujours manifestement.
Le 04/03/2022 à 08h34
et vice versa !
Le 04/03/2022 à 09h23
Magnifique double référence !
Le 04/03/2022 à 10h31
Question, comme je ne connais pas bien le droit allemand : la décision du tribunal administratif de Cologne est-elle susceptible d’appel ? Si oui, est-ce prévu ?