Alors que le Royaume-Uni pourrait lancer une riposte graduée « 100 % privée » dès 2015, celle en vigueur depuis l'année dernière aux États-Unis vient de livrer ses premiers chiffres. Résultat, près de 1,3 million d’avertissements ont été envoyés sur les dix derniers mois de 2013 aux abonnés américains pris dans les filets de ce dispositif. 

Après de très longs mois de gestation, la « Hadopi » américaine est finalement entrée en action en février 2013. Ce dispositif de riposte graduée est cependant assez éloigné de celui qui prévaut en France, puisqu’il résulte d’un accord entre les ayants droit et les principaux fournisseurs d’accès à Internet du pays. Autrement dit, ni l’État ni la justice ne s’immiscent dans ce mécanisme, dans un état d’esprit finalement très libéral.

Dans la pratique, ce « Copyright Alert System » fonctionne de la manière suivante : après avoir repéré les adresses IP de personnes suspectées de téléchargement illégal sur les réseaux peer-to-peer, les ayants droit signalent aux opérateurs participants (AT&T, Cablevision, Comcast, Time Warner Cable et Verizon) que la ligne d’un de leurs clients a servi pour échanger une oeuvre protégée. Les FAI prennent alors le relais, en identifiant et en adressant une notification à l’abonné concerné. Si les pratiques reprochées ne cessent pas et que l’internaute n’entre pas en contact avec son FAI, ce dernier augmente progressivement la pression sur son client.

Le nombre d’avertissements maximum est variable, allant de 4 à 6 notifications selon les opérateurs. Aucune amende ou coupure de l’accès à Internet n’est prévue, seulement des mesures de type réduction temporaire du débit Internet, redirection vers une page d’attente jusqu’à que l’abonné ait répondu à certaines questions ou regardé des vidéos « pédagogiques », etc.

Le CCI publie les premiers chiffres de la riposte graduée américaine

La semaine dernière, l’institution en charge de promouvoir ce dispositif (le « Center for Copyright Information ») a publié son premier rapport d’activité annuel (PDF). On y retrouve notamment les chiffres de cette riposte graduée 100 % privée. Ainsi, durant ses dix premiers mois de fonctionnement, les ayants droit ont transmis plus de 2 millions d’adresses IP aux FAI américains. Entre les abonnés non identifiés et les doublons (deux flashs pour une oeuvre), « seuls » 1 295 071 avertissements ont été envoyés au total l’année dernière.

Sans grande surprise, il s’agit essentiellement de notifications du « premier palier » (937 474 premières et secondes alertes). Près de 260 000 avertissements relèvent du « second palier », et moins de 100 000 du « troisième palier », comme l’indique le tableau ci-dessous.

(Chaque FAI peut envoyer jusqu’à deux alertes par palier)

À titre de comparaison (néanmoins toute relative, du fait notamment de la différence de population entre la France et les États-Unis), la Hadopi, en rodage, avait envoyé 510 352 premiers avertissements après 10 mois de fonctionnement, plus 29 403 secondes notifications.

47 avertissements ont pu être annulés suite à des contestations

Fait intéressant : les abonnés qui estimeraient avoir reçu à tort un ou plusieurs avertissements peuvent déposer un recours devant une commission d’arbitrage. Pour cela, il faut avoir atteint le troisième palier d’avertissement et débourser 35 dollars (ces frais sont remboursés si le client obtient gain de cause). Selon le rapport du CCI, 265 recours ont ainsi été déposés en 2013. Un chiffre à ramener aux près de 98 000 notifications éligibles - 0,27 % d'entre elles.

Motifs de contestation.

Quelles suites ont été données à ces contestations ? Dans 82 % des cas, les avertissements ont été maintenus. Pour les 18 % restants, il s’agissait principalement de situations dans lesquelles les abonnés ont réussi à convaincre les arbitres qu’il y avait eu utilisation non autorisée de leur accès à Internet par un tiers. Le CCI insiste sur le fait qu’il n’y a eu « aucun cas de notification invalide - ou de faux positif - identifié ».

Quelle efficacité ?

Même si l’institution précise que ces premières statistiques demeurent « insuffisantes pour faire des prédictions définitives », elle s’auto-congratule d’un départ « sans heurt et réussi » de la riposte graduée américaine.

La RIAA, le puissant lobby de l’industrie musicale américaine, s’est elle aussi félicitée de ce premier bilan. L’organisation y salue surtout les vertus « pédagogiques » du dispositif. « Pouvons-nous déclarer que nous avons gagné la guerre contre le piratage ? Bien sûr que non. Ça n’a jamais été l’objectif de ce dispositif » affirme la RIAA. Cette dernière insiste néanmoins sur le fait que les internautes « reçoivent le message et vont ailleurs pour leur musique », sous-entendu sur des plateformes légales (et notamment celles recommandées dans les avertissements).

Le CCI promet deux fois plus d’avertissements pour 2014

Quoi qu’il en soit, l’institution prévoit déjà une montée de régime du dispositif, puisqu’elle promet l'envoi de deux fois plus d’avertissements en 2014 qu’au cours de l’année 2013. Un total de 2,6 millions de notifications devrait donc avoir été expédié par les FAI d’ici les six prochains mois.

Rappelons enfin que si aucune poursuite pénale n’est prévue dans le cadre de cette riposte graduée, certains ayants droit lorgnent sur les données détenues par les FAI au titre de ces opérations. Il y a quelques semaines, un studio de films pornographiques a ainsi saisi la justice afin qu’un opérateur lui remette des informations sur deux de ses clients, dans l’objectif manifeste d’obtenir ensuite des dommages et intérêts (pour en savoir plus, voir notre article).