Euclid va scruter l’espace pour étudier matière et énergie noires
Noires et obscures
Le 30 juin 2023 à 16h29
10 min
Sciences et espace
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Samedi 1er juillet, le télescope spatial Euclid devrait être lancé par le Falcon 9 de Space X depuis Cap Canaveral, en Floride (États-Unis). Cette mission de l'Agence spatiale européenne a pour gigantesque ambition scientifique d'étudier la matière et l'énergie noires.
L'Agence spatiale européenne (ESA) prévoit de lancer ce samedi son télescope spatial Euclid, imaginé dans les années 2010 pour scruter l'espace à la recherche de réponses sur l'existence et les propriétés de la matière et l'énergie noires. Le lancement est prévu samedi 1er juillet 2023 à 17h11 (heure de Paris). Vous pouvez le suivre en direct sur la chaîne YouTube de l'agence européenne.
Après son lancement, Euclid effectuera un voyage d'environ deux ou trois semaines pour arriver aux alentours du point de Lagrange L2 autour duquel il se mettra en orbite (il y retrouvera James Webb). Ce n'est qu'à ce moment-là que les deux instruments scientifiques embarqués par Euclid pourront être mis en route petit à petit pour observer l'univers comme nous ne l'avons jamais vu.
Mission scientifique unique et incertaine
La première mission des scientifiques et ingénieurs de recherche, livrer le satellite pour le décollage, est maintenant accomplie. Euclid est entre les mains de SpaceX qui aura la tâche de l'envoyer le plus précisément possible sur sa trajectoire. Si Ariane 5 est (bientôt était) très appréciée par les chercheurs pour sa précision, SpaceX va devoir démontrer que le Falcon 9 peut atteindre le même niveau de précision. Mais le point de Lagrange L2 devrait être atteint sans trop de problème avec, au pire, quelques manœuvres à faire pour rectifier le tir.
Les chercheurs se tiennent donc prêts pour recevoir, pendant au moins six ans, les données de plusieurs millions d'images qu'ils devront ensuite étudier. Mais la mission n'est pas à l'abri de problèmes. Marc Sauvage, astrophysicien au CEA et représentant français au Board du consortium Euclid, l'explique : « Évidemment, c'est une expérience unique, dans un environnement unique, avec instruments prototypes, donc nous ne sommes pas à l'abri de découvrir des combinaisons de facteurs que nous n'avons pas anticipés et qui créent des effets eux-mêmes non anticipés ». « Ces incertitudes ne pourront être levées que dans l'espace », ajoute-t-il. La recherche en astrophysique peut nous faire rêver, mais elle reste toujours incertaine.
Le risque le plus important est la formation de glace sur les instruments scientifiques du satellite lors de son refroidissement dans l'espace, et notamment sur les surfaces optiques. « L'isolant (multilayers insulation, ce tissu brillant multicouche qui nous sert d'isolant) est capable d'absorber de l'eau et ce n'est pas possible d'empêcher cet effet. Cette eau va dégazer dans l'espace et peut se condenser sous forme de glace sur les surfaces froides. Nous avons des systèmes pour chauffer les miroirs pour qu'elle dégaze et n'aille pas se coller sur ces surfaces. Mais, vu la complexité de cette machine en termes de géométrie, ce n'est pas possible de modéliser la quantité de dépôt. Nous allons donc voir ce qu'il en est et réagir en conséquence », détaille Marc Sauvage.
L'énergie noire qui change tout
L'idée que l'univers serait composé seulement de 5 % de matière ordinaire et donc de l'existence de la matière noire n'est pas neuve. Elle éclot dans les années 1930, quelques années après la théorie de la relativité générale d'Einstein, et est partagée largement dans la communauté scientifique dans les années 1950. Finalement, la matière noire serait présente partout autour de nous.
La théorie de la relativité générale relie la géométrie de l'univers à son contenu en matière et énergie. Et c'est dans ce cadre que les chercheurs ont pu créer des modèles qui arrivent à prédire que l'univers est en expansion.
Les équations de la théorie de la relativité générale d'Einstein sont des dérivées qui se concentrent sur les variations de la matière. Pour remonter à la matière elle-même, il faut intégrer. Cette intégration fait apparaître une constante : la constante cosmologique.
Jusqu'à la fin des années 1990, les chercheurs ont simplifié leur problème en fixant cette constante à 0 dans ce qu'ils appellent le « modèle classique ». Cette simplification a permis de prédire l'expansion de l'Univers.
Mais, Marc Sauvage explique qu' « au tournant des années 90 - 2000, avec la méthode qui consiste à observer les supernovae de type 1A, on a pu accéder à une époque de l’univers, la période entre un âge de l’univers de 4 milliards d’années et maintenant, pour mesurer le taux d'expansion de l'univers à ce moment-là. Alors que jusque-là, on prédisait une expansion se ralentissant à l'infini, on s'est aperçu que l'expansion était en train d'accélérer. L'énergie noire sort finalement de cette observation. C'est une quantité qui a l'intérêt d'exercer une pression sur la structure de l'univers qui s'oppose à la gravitation de la matière noire et explique la réaccélération ».
De plus, l'énergie noire ne se diluerait pas avec l'expansion de l'univers. Cette propriété expliquerait que, quand l'univers était très compact, la densité de matière noire était très forte et ralentissait l'expansion. Mais l'univers s'étendant quand même, cette densité de matière noire diminue alors que la densité d'énergie noire reste stable. Et, petit à petit, le système arrive à un point auquel il s'inverse et où l'énergie noire l'emporte, accélérant l'expansion.
« Cette transition se situe à peu près à des décalages spectraux de 1 à 3. C'est pour ça qu'Euclid est fait pour observer cette époque-là, époque de transition », explique Marc Sauvage.
Deux instruments en vol pour comprendre l'énergie noire
Pour expliquer l'existence de l'énergie noire et ses effets sur l'univers, les chercheurs ont élaboré plusieurs théories. Marc Sauvage précise qu'« Euclid a été construit pour déterminer ce qu'est l'énergie noire qui explique l'accélération en triant entre plusieurs théories : constante cosmologique, cinquième force, nouveau champ à rajouter dans l'univers… […] Nous mesurons à très grande échelle, sur tout l'univers accessible, les structures de matière noire. Nous les caractérisons (petites et compactes, diffuses et étendues...) et nous observons comment elles varient dans le temps ».
Pour cela, le satellite embarque deux instruments scientifiques : un imageur en lumière visible (appelé VIS) et un spectro-imageur infrarouge (Near infrared spectrometer and photometer, NISP).
« L'instrument visible (VIS) a une seule fonction : il fait des images avec "juste" un plan focal de CCD. Il n'y a pas d'autre optique que celle fournie par le télescope. Et ça, pour une raison assez simple : sa fonction est de mesurer la forme des objets », décrit le chercheur du CEA.
Le NISP, lui, a deux fonctions. Marc Sauvage explique qu' « il fait des images dans trois filtres infrarouges, ce qui va nous donner les couleurs des galaxies avec lesquelles on mesure la forme. Ces couleurs nous renseignent sur les distances auxquelles les galaxies se situent. ».
« En utilisant les couleurs, on va pouvoir sélectionner les objets qui sont dans des tranches de décalages spectraux successifs, ce qu'on appelle de la tomographie. On caractérise les structures de matières noires à différentes époques. »
La deuxième partie du NISP est un spectromètre qui analyse le spectre lumineux en proche infrarouge (1 à 2 μm). « Celui-ci nous donne le décalage spectral et donc une mesure de distance très précise qui alimente la deuxième voie d'accès à l'information cosmologique, le galaxy clustering, les structures à grande échelle de galaxies, la façon dont les galaxies sont plus ou moins proches les unes des autres. »
Théoriquement, Marc Sauvage résume : « on a deux sondes, l'une qui est le cisaillement gravitationnel faible et l'autre qui est l'échelle caractéristique d'oscillation acoustique des baryons. »
La première est connue et est observée dans le cas d'amas de galaxie où la masse de l'amas est tellement grande qu'elle déforme les images de galaxies qui se situent derrière. Le chercheur explique comment l'équipe va utiliser ce phénomène : « on va faire une carte des déformations dues à ce qu'il y a entre nous et les objets. Et de ces déformations, avec la relativité générale qui nous dit comment l'univers est déformé par la présence de matière, on peut remonter à la quantité de matière qu'il y a entre Euclid et l'objet. »
Le chercheur compare la deuxième sonde, l'échelle caractéristique d'oscillation acoustique des baryons, à « une espèce de règle qui est accrochée à la structure de l'univers et varie en même temps que cette géométrie. On a un outil de mesure qui évolue de la même façon que la géométrie de l'univers, qu'on peut ensuite comparer à un outil de mesure constant. Ce qui nous permet de voir l'évolution au fil du temps ».
Mais les chercheurs vont aussi combiner les données de ces deux instruments avec celles fournies par d'autres télescopes, terrestres ceux-là, comme Canada-France-Hawaii Telescope, Blanco au Chili, Pan-STARRS, Subaru à Hawaï et celui de l'observatoire Rubin de la LSST.
Des résultats intermédiaires fin 2025
Euclid est un vrai observatoire envoyé dans l'espace. Les chercheurs vont le pointer dans toutes les directions qui leur sont accessibles (un gros tiers du ciel disponible, le reste est pris par la Voie lactée et le plan de l'écliptique). À chaque direction, une série d'images sera effectuée pendant une heure, puis Euclid passera à la direction suivante et ainsi de suite. Et ce, pendant six ans pour couvrir toutes les directions possibles. « Mais nous allons être capables de dire des choses cosmologiques bien avant six ans. », assure Marc Sauvage.
Les chercheurs prévoient de publier les premiers résultats de cosmologie liés à la première année d'Euclid fin 2025. Le satellite aura balayé 2 500 degrés carrés du ciel (le ciel disponible qui devrait être au final dans le relevé Euclid fait environ 14 000 degrés carrés). « Là, déjà, nous serons meilleurs que ce qu'on sait faire aujourd'hui », s'exclame le chercheur.
Mais ces résultats de cosmologie ne seront pas les seuls à faire l'objet de publications scientifiques. Toute une science, héritage d'Euclid, va pouvoir s'appuyer sur le satellite. « Nous sommes pratiquement comme le télescope spatial Hubble en termes de précision d'images, sauf que nous le faisons sur tout le ciel au lieu de quelques pourcents. », ajoute le chercheur. De quoi travailler pour un grand nombre d'astrophysiciens.
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Des résultats intermédiaires fin 2025
Commentaires (7)
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Abonnez-vousLe 30/06/2023 à 16h45
Merci pour cet article. Passionnant !
Le 01/07/2023 à 06h36
Merci pour ces explications
Le 01/07/2023 à 07h25
Merci pour cet article très intéressant.
Cela amène une question :
Notre matière grise parviendra-t-elle à percer tous les mystères de la matière noire ?
Le 01/07/2023 à 08h18
Joli commentaire !
Le 03/07/2023 à 13h04
J’ai eu un gros blanc en y réfléchissant…
Le 01/07/2023 à 09h25
Merci Martin pour ce brillant exposé !
Le 03/07/2023 à 09h55
Très intéressant article ! Merci.