Recherche fondamentale, algorithmique, capteurs : les autres piliers du Plan Quantique

Recherche fondamentale, algorithmique, capteurs : les autres piliers du Plan Quantique

Shor qui peut

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Sébastien Gavois

Publié dansSciences et espace

04/02/2021
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Recherche fondamentale, algorithmique, capteurs : les autres piliers du Plan Quantique

Dans le monde du quantique, la recherche fondamentale et l’algorithmique occupent une place très importante. Il en est de même pour les capteurs quantiques qui, pour certains, sont déjà passé au stade de produits commerciaux. Autant d’aspects sur lesquels la France investit pour les prochaines années.

Après l’annonce du Plan Quantique de 1,8 milliard d’euros, plusieurs scientifiques du CEA et du CNRS se sont regroupés pour détailler les tenants et les aboutissants de ce projet impliquant plusieurs laboratoires de recherche.

Sébastien Tanzilli (chargé de mission technologies quantiques au CNRS) rappelle à ce titre que « la partie programme prioritaire de recherche est effectivement conjointement gérée par le CNRS et le CEA, mais également INRIA et, bien sûr, toujours en association avec les partenaires universitaires ».

Après la course à la conception d’un ordinateur et l’important bouleversement du quantique dans les communications, étudions les implications et ambitions de ce Plan sur d’autres piliers de l’informatique quantique, notamment deux points essentiels : la recherche fondamentale et sur l’algorithmique, fortement intriquées. 

Notre dossier sur le Plan Quantique en France : 

Des capteurs toujours plus précis, avec une sensibilité « ultime » ?

Le troisième champ d’action du plan présenté par Emmanuel Macron concerne les « capteurs quantiques », qui sont selon le président « impératifs pour notre souveraineté ». Ils bénéficient d’un financement de 250 millions d’euros.

Sébastien Tanzilli commence par rappeler de quoi il est question : « ils sont utiles à la métrologie, une branche de la science qui permet de qualifier un certain nombre de paramètres physiques. Les sensibilités et les précisions des mesures peuvent être grandement améliorées, voire même être exceptionnelles ».

Un exemple dans l’actualité récente concerne l’interférométrie, où des capteurs quantiques sont désormais utilisés. Virgo par exemple est un célèbre interféromètre situé à Pise (en Italie) qui a participé aux premières détections d’ondes gravitationnelles, une révolution dans le monde de la physique.

Il existe aussi d’autres domaines plus « concrets » pour le grand public :

« Ces capteurs quantiques adressent de nombreuses applications telles que la médecine (typiquement l'imagerie cellulaire) […] la cartographie des champs magnétiques, le génie civil parce qu'ils permettent de découvrir par exemple des cavités souterraines qui pourraient être dangereuses, ils adressent également les télécommunications optiques standards avec notamment la codification de matériaux, la gestion des ressources naturelles typiquement la découverte de nappes phréatiques ou pétrolifères… ».

Arnaud Landragin (chercheur du CNRS au laboratoire Syrte) explique que, comme pour l’échange de clés quantiques dans le domaine des communications, « quelques applications commencent déjà à avoir des appareils commerciaux ». Il donne quelques exemples d’usages commerciaux (qui restent tout de même assez spécialisés) : « des capteurs inertiels pour les gravimètres pour la géophysique et également en magnétométrie ».

Bref, « il y a un certain nombre de systèmes […] qui commencent à être commercialisés ou utilisés à des buts de recherche, mais avec des appareils qui peuvent être utilisés par des non-spécialistes » de la physique quantique. Dans tous les cas, les capteurs quantiques sont encore « en phase de développement, avec des potentiels d'amélioration qui sont encore très très inexploités ». 

Peut-on parler de sensibilité « ultime » avec les capteurs quantiques ? Non répond sans détour Arnaud Landragin : c'est finalement « toujours une étape avant qu’un autre ait une meilleure idée ». Cela permet dans tous les cas de profiter de « sensibilités inatteignables par des systèmes classiques dans un certain nombre d'activités ».

Ne surtout pas négliger la recherche fondamentale

Philippe Chomaz (directeur scientifique à la Direction de la recherche fondamentale du CEA) revient ensuite sur le quatrième (et pas des moindres) point clé du Plan Quantique, la recherche fondamentale, qui touche l’ensemble des domaines d’applications que nous avons précédemment évoqué :

« Une partie des concepts est déjà disponible, mais fait l'objet d'une recherche fondamentale qui va permettre de résoudre certains problèmes, de lever certains verrous, d'inventer de nouveaux concepts, par exemple de calcul et de correction d'erreur pour les qubits que l'on peut créer et qui sont imparfaits ».

Le Plan Quantique va évidemment soutenir cette recherche fondamentale (qui est indispensable), d’autant que c’est « justement un des domaines où la France et l'Europe sont vraiment fortes ». Ces recherches se déroulent évidemment en parallèle de développements « pratiques » de produits basés sur les connaissances actuelles. Les responsables de recherche du CEA et du CNRS veulent faire passer un message important :

« la recherche fondamentale – qu'elle soit conceptuelle ou expérimentale pour faire des preuves de concept ou de principes – irrigue et irriguera encore longtemps les piliers des technologies quantiques que sont la communication, les capteurs et le calcul.

C'est vraiment important de bien matérialiser le fait que cette recherche fondamentale revêt un caractère extrêmement important pour la poursuite des recherches en technologies quantiques, et notamment au travers de ce Plan Quantique ».

Les deux champs du quantique – recherche fondamentale et applications pratiques – doivent ainsi être explorés en même temps, d’autant qu’elles sont très complémentaires : « la recherche fondamentale irrigue les applications, aussi bien que les applications irriguent la recherche fondamentale ».

« Bien sûr les applications et les cas d'usages sont importants, mais la recherche fondamentale on ne pourra malheureusement pas faire grand-chose sans y consacrer une bonne part d'argent et de temps », lâche Sébastien Tanzilli. Si les chercheurs ont déjà des concepts près à être transposés, d’autres restent encore à découvrir, et certains pourraient être une révolution ; il ne faut pas passer à côté.

Les enjeux autour des algorithmes quantiques

En parallèle des ordinateurs quantique, il faut préparer le terrain à la partie logicielle et travailler sur des algorithmes capables de tirer partie des futures machines. C’est aussi « un domaine de la recherche fondamentale très important » affirme le chargé de mission au CNRS.

« En fait, il y a peu d'algorithmes encore connus et chaque décennie nous permet d'en découvrir quelques-uns », explique-t-il. Le premier et certainement le plus connu nous le devons à Peter Shor qui « a inventé le premier algorithme quantique permettant d’accélérer de façon spectaculaire la factorisation d’un nombre », se souvient Bernard Ourghanlian (CTO et CSO de Microsoft France) dans un billet de 2017 encore d’actualité.

Il « permet à un ordinateur quantique de factoriser un nombre de n chiffres en un temps évoluant comme n² (donc en un temps polynomial), là, où le temps de calcul du meilleur ordinateur classique progresse exponentiellement ». IBM l’a utilisé en 2001 pour factoriser 15 (3 x 5) avec un calculateur quantique à 7 qubits. On était alors à des années-lumière de la suprématie quantique, mais une étape était incontestablement franchie.

Microsoft donne un exemple chiffré du potentiel de l’algorithme de Shor avec la factorisation RSA-2048 (un nombre avec 617 chiffres décimaux, ou 2048 chiffres binaires) : « Il faudrait littéralement un milliard d’années pour résoudre un tel problème sur un ordinateur classique… Si nous avions un ordinateur quantique, il nous faudrait seulement environ 100 secondes en utilisant l’algorithme de Shor ».

La faible disponibilité d’algorithmes quantique contraste complètement avec les enjeux qu’ils soulèvent. Ils promettent en effet d’être « disruptifs sur plusieurs problématiques et domaines d'application : la cryptographie, la chimie moléculaire, la conception de matériaux et de médicaments, l'hydrodynamique par exemple pour l'aéronautique, les prévisions financières, l'intelligence artificielle, l’optimisation en général (logistiques)… En fait, c’est qu’un ensemble de domaines d'applications qui sont en plein développement ».

Les algorithmiciens en embuscade/attente

Tristan Meunier (chercheur du CNRS à l’Institut Néel) explique pourquoi cette branche est – pour le moment – le parent pauvre de la recherche fondamentale en quantique : « c’est lié au fait que pas beaucoup de gens s’y soient intéressés parce que les algorithmiciens en général travaillent directement sur les machines […] et on n’a pas de machines ou des machines trop petites pour le moment ». 

Par exemple, simuler 50 qubits sur des systèmes classiques représente de trop gros problèmes, car « la complexité est trop importante ». Pas facile donc d’avancer dans de telles situations puisque les chercheurs ne peuvent pas confronter leurs travaux à la réalité. Tristan Meunier se montre néanmoins optimiste : « Les algorithmiciens, à partir du moment où il va y avoir un hardware plus performant, vont s’intéresser à ces problèmes ».

Cela ne se fera pas d’un claquement de doigts prévient Maud Vinet (responsable du programme matériel quantique au CEA-Leti). Pour développer des algorithmes de ce genre, « il faut penser quantique »… et ce n’est pas si simple de devoir totalement revoir sa manière de penser et d’appréhender les mathématiques… ceux qui s’y sont déjà essayés savent certainement de quoi il s’agit.

Pour y arriver, « Il faut mettre en place des systèmes de formations dédiées », ajoute-t-elle. De son côté, Nicolas Sangouard (chercheur à l’Institut de physique théorique de CEA-Paris-Saclay) rappelle à toutes fins utiles qu’il « y a une grosse demande de la part des industries pour embaucher des ingénieurs qui ont cette expertise ».

Dans la dernière partie de notre dossier, nous aurons l’occasion de voir comment le Plan Quantique compte essayer de garder/attirer des chercheurs, ainsi que comment il s’articule au niveau européen et face aux autres nations. Nous évoquerons aussi la question environnementale de l’informatique quantique.

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Sommaire de l'article

Introduction

Des capteurs toujours plus précis, avec une sensibilité « ultime » ?

Ne surtout pas négliger la recherche fondamentale

Les enjeux autour des algorithmes quantiques

Les algorithmiciens en embuscade/attente

#LeBrief : modalité des amendes RGPD, cyberattaque agricole, hallucinations d’Amazon Q, 25 ans d’ISS

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Commentaires (7)


alex.d. Abonné
Il y a 3 ans

L’algorithmie ? Seriouslie ?
Si on veut être cohérent, l’algorithmie est étudiée par des algorithmiens, pas des algorithmiciens.


gathor Abonné
Il y a 3 ans

eres a dit:


même si je me rends compte que j’aurais fait la même erreur, il est vrai que le bon terme est l’algorithmique … et puis… ça claque mieux!




C’est changé :chinois:


Patch Abonné
Il y a 3 ans

(quote:1852597:alex.d.)
L’algorithmie ? Seriouslie ? Si on veut être cohérent, l’algorithmie est étudiée par des algorithmiens, pas des algorithmiciens.




Le francais a tellement d’exceptions dans ses règles (d’ailleurs y a-t-il une seule règle de francais qui n’a pas d’exception? :D ) que ca ne serait pas impossible d’avoir droit à “*ie” pour la matière et “*icien” pour ceux qui y travaillent :D


eres Abonné
Il y a 3 ans

(quote:1852597:alex.d.)
L’algorithmie ? Seriouslie ? Si on veut être cohérent, l’algorithmie est étudiée par des algorithmiens, pas des algorithmiciens.




même si je me rends compte que j’aurais fait la même erreur, il est vrai que le bon terme est l’algorithmique … et puis… ça claque mieux!


JoePike
Il y a 3 ans

Patch a dit:


Le francais a tellement d’exceptions dans ses règles (d’ailleurs y a-t-il une seule règle de francais qui n’a pas d’exception? :D ) que ca ne serait pas impossible d’avoir droit à “*ie” pour la matière et “*icien” pour ceux qui y travaillent :D




C’est vrai que connerie et connericien ça aurait de l’allure
:mdr:


Z-os Abonné
Il y a 3 ans

Patch a dit:


Le francais a tellement d’exceptions dans ses règles (d’ailleurs y a-t-il une seule règle de francais qui n’a pas d’exception? :D ) que ca ne serait pas impossible d’avoir droit à “*ie” pour la matière et “*icien” pour ceux qui y travaillent :D




S’il y en avait une ce serait l’exception. :)


Triton Abonné
Il y a 3 ans

Patch a dit:


(d’ailleurs y a-t-il une seule règle de francais qui n’a pas d’exception? :D )




Oui, la règle de conjugaison à l’imparfait de l’indicatif.
C’est d’ailleurs une bonne indication de pourquoi on l’appelle « imparfait ». :fume: