HR 6819 : le « trou noir le plus proche » n’en est finalement pas un
Les certitudes d’hier font les boulettes de demain
Le 02 mars 2022 à 16h30
7 min
Sciences et espace
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Il y a de deux ans, des chercheurs identifiaient un « imperceptible objet accompagné de deux étoiles visibles à l’oeil nu »… si imperceptible qu’il n’existe pas. Preuve une fois encore qu'il faut toujours garder un esprit critique. L’ESO fait amende honorable et explique le cheminement qui a conduit à cette erreur.
L’histoire que nous raconte l’European Southern Observatory est originale et rappelle, s’il en était besoin, que nos connaissances et certitudes ne sont jamais figées dans le temps. Un rapide résumé pour comprendre la situation cocasse de l’ESO qui a publié un communiqué pour contredire un de ses précédents communiqués.
En mai 2020, des astronomes de l'Observatoire européen austral (ESO) identifient ce qu’ils présentent comme « le trou noir le plus proche de la Terre, situé à seulement 1 000 années-lumière dans le système HR 6819 ». Ces résultats sont rapidement contestés par d'autres chercheurs, notamment par une équipe internationale basée à la KU Leuven (Belgique).
Les deux équipes ont alors travaillé de concert et sont arrivées à la conclusion que, en effet, « il n'y a en fait aucun trou noir dans le système HR 6819, qui est plutôt un système "vampire" à deux étoiles dans une phase rare et éphémère de son évolution ».
Le système du trou noir le plus proche ne contient pas de trou noir
C’est donc le 6 mai 2020 que l’ESO a publié un communiqué affirmant qu’un de ses instruments avait découvert « le trou noir le plus proche de la Terre ».
La présentation et les citations ne laissaient aucune place au doute : « Situé dans la constellation du Télescope, le système est si proche de nous que les étoiles qui le composent peuvent être observées à l’oeil nu par temps clair et par nuit noire depuis l’hémisphère sud ». « Nous avons été très surpris de constater qu’il s’agissait du tout premier système stellaire composé d’un trou noir visible à l’œil nu », expliquait Petr Hadrava, co-auteur de l’étude.
Les chercheurs expliquaient alors que le trou noir était situé dans le système HR6819 composé d’étoiles doubles. L’équipe de l’époque « a pu détecter sa présence et déterminer sa masse en étudiant l’orbite de l’étoile composant la paire intérieure » : « Un objet invisible doté d’une masse équivalant à 4 masses solaires ne peut être qu’un trou noir », affirmait Thomas Rivinius, auteur principal de l’étude. La publication scientifique – « A naked-eye triple system with a nonaccreting black hole in the inner binary » – était publiée dans la revue Astronomy & Astrophysics, gage de relecture par des pairs.
Les certitudes de 2020 : le trou noir (en rouge) et les deux étoiles (en bleu). Crédits : ESO
Deux ans plus tard, une autre étude – « HR 6819 is a binary system with no black hole: Revisiting the source with infrared interferometry and optical integral field spectroscopy » – vient contredire ces conclusions. Dans son nouveau communiqué, l’ESO explique que « Thomas Rivinius et ses collègues étaient convaincus que la meilleure explication pour les données dont ils disposaient, obtenues avec le télescope MPG/ESO de 2,2 mètres, était que HR 6819 était un système triple, avec une étoile en orbite autour d'un trou noir tous les 40 jours et une deuxième étoile sur une orbite beaucoup plus large ».
On passe d’affirmations à un sentiment plus mitigé avec la « meilleure explication », nuance qui n’était malheureusement pas du tout présente dans le premier communiqué. Il n’est pourtant pas rare de voir des chercheurs parler de faisceaux de preuves, d’indices ou des mots de ce genre. Il n’est pas question d’une volonté de tromper les lecteurs ou de faire des fake news, les chercheurs devaient certainement être persuadés d’avoir raison à l’époque.
Si ce n’est pas un trou noir, c’est quoi alors ?
Pour Julia Bodensteiner (alors doctorante à la KU Leuven, en Belgique) et son équipe, une autre explication était tout à fait possible : « HR 6819 pourrait aussi être un système avec seulement deux étoiles sur une orbite de 40 jours et sans trou noir du tout. Ce scénario alternatif nécessiterait que l'une des étoiles soit "dépouillée", ce qui signifie qu'à un moment donné, elle a perdu une grande partie de sa masse au profit de l'autre étoile ».
« Nous avions atteint la limite des données existantes, nous avons donc dû nous tourner vers une stratégie d'observation différente pour trancher entre les deux scénarios proposés par les deux équipes », explique Abigail Frost (KU Leuven) et auteur de la nouvelle étude publiée aujourd'hui dans Astronomy & Astrophysics.
Les chercheurs se sont tournés vers les Very Large Telescope (VLT) et Interferometer (VLTI) de l'Observatoire : « Le VLTI était la seule installation capable de nous fournir les données indispensables dont nous avions besoin pour distinguer les deux explications », explique Dietrich Baade, un des auteurs de la publication de mai 2020.
Les deux scénarios « étaient plutôt clairs, très différents et facilement distinguables avec le bon instrument », ajoute Thomas Rivinius. Dans les deux cas, les scientifiques sont d’accord sur un point : il y a deux sources de lumière dans le système HR 6819 car le trou noir n’en est pas une. Pour départager les hypothèses, il fallait répondre à une question : les deux étoiles orbitent-elles l'une autour de l'autre de manière rapprochée (scénario de l'étoile dénudée) ou très éloignée (scénario du trou noir).
Le couperet est tombé : l’instrument MUSE du VLT « a confirmé qu'il n'y avait pas de compagnon brillant dans une orbite plus large, tandis que la haute résolution spatiale de GRAVITY [instrument du VLTI, ndlr] a permis de résoudre deux sources brillantes séparées par seulement un tiers de la distance entre la Terre et le Soleil », explique Abigail Frost. Ces données ont donc permis de conclure que HR 6819 était un système binaire sans trou noir.
Pourquoi une telle erreur ?
« Notre meilleure interprétation jusqu'à présent est que nous avons observé ce système binaire peu après que l'une des étoiles a aspiré l'atmosphère de sa compagne stellaire. Il s'agit d'un phénomène courant dans les systèmes binaires proches, parfois appelé "vampirisme stellaire" dans la presse. […] Alors que l'étoile donneuse a été dépouillée d'une partie de sa matière, l'étoile receveuse a commencé à tourner plus rapidement », explique Julia Bodensteiner de l'ESO.
De son côté, l’Observatoire préfère voir le verre à moitié plein : « Observer une telle phase post-interaction est extrêmement difficile car elle est très courte […] Cela rend nos découvertes pour HR 6819 très excitantes, car elle présente un candidat parfait pour étudier comment ce vampirisme affecte l'évolution des étoiles massives, et à son tour la formation de leurs phénomènes associés, y compris les ondes gravitationnelles et les violentes explosions de supernova ».
Thomas Rivinius, auteur principal de la première étude en 2020 est beau joueur : « Il est non seulement normal, mais il devrait être courant que les résultats soient revus […] et un résultat qui fait les gros titres encore plus ». Cette histoire rappelle une fois encore l’importance de la vérification et montre que, malgré tout, il est toujours possible de se tromper. L’important est alors de le reconnaitre et de ne pas en avoir honte : l’erreur est humaine après tout.
On peut désormais voir une alerte sur le communiqué de l’ESO de 2020, précisant que ces conclusions ont été réfutées par une nouvelle publication en mars 2022. Elle est présente sur la version anglaise, mais pas encore les déclinaisons dans d’autres langues.
HR 6819 : le « trou noir le plus proche » n’en est finalement pas un
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Le système du trou noir le plus proche ne contient pas de trou noir
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Si ce n’est pas un trou noir, c’est quoi alors ?
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Pourquoi une telle erreur ?
Commentaires (6)
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Abonnez-vousLe 02/03/2022 à 17h48
Moi qui me disait “all in on Uranus”…
Le 02/03/2022 à 19h34
Plus qu’un beau joueur : c’est un vrai scientifique. Bravo monsieur.
Le 03/03/2022 à 14h59
ha oui, carrément !
Le 02/03/2022 à 20h47
Voilà un bel exemple de science, et des difficultés.
On se trompe, on essaye, on interprète, on réfute et on progresse.
Trouver des étoiles pile à ce moment de leur vie est une sacrée chance (ça existe dans la science), et les scientifiques n’y ont pas cru tellement c’était improbable.
Quitte à faire une hypothèse fausse, l’explorer, l’étayer, pour la détruire et découvrir alors une choses impensable.
A montré à tous les experts Facebook/twitter en COVID et complotisme…
Le 03/03/2022 à 00h05
Tout à fait accessoirement, c’est l’article n°50 000 de NXI ! Que ça tombe sur un sujet astronomique est loin de me déplaire ! :3
Le 03/03/2022 à 13h34