Pierre Lescure peu inspiré par la légalisation des échanges non-marchands
Marchandage
Le 14 mai 2013 à 15h30
7 min
Droit
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Pour l'heure, la légalisation des échanges non-marchands n'est pas considérée par Pierre Lescure comme une « réponse crédible à la problématique du piratage ». Lui trouvant de nombreux et « indéniables » avantages, la mission Acte 2 soulève effectivement de sérieux obstacles, notamment juridiques, pour écarter cette piste. Afin de sauver la face, les conclusions du directeur du théâtre Marigny préconisent néanmoins d'approfondir la réflexion sur ce sujet. Une façon de ne pas fermer complètement cette porte.
Fin août, quelques semaines avant même d’avoir commencé ses auditions, Pierre Lescure le clamait haut et fort : il y aurait « forcément une partie de la réponse qui [comporterait] la légalisation des échanges non-marchands ». L’ancien numéro un de Canal+ insistait bien, « il y a forcément une partie qui abordera ça et qui l’intégrera ». Mais l’envolée du responsable de la mission Acte 2 semble avoir débouché sur une belle impasse. En effet, la proposition n°54 (p. 347), se borne à recommander d’ « approfondir la réflexion sur la légalisation des échanges non marchands, afin d’en préciser les contours et de définir les modalités de leur reconnaissance juridique ».
Avant d’en arriver à cette conclusion, Pierre Lescure rappelle que la légalisation des échanges non-marchands, qui est portée notamment par des organisations telles que La Quadrature du Net, consisterait à « créer un droit positif d’usage, hors de tout contexte commercial ou rémunérateur, qui sécuriserait les internautes dans leurs échanges sans but lucratif, sans faire obstacle à l’application des droits exclusifs de propriété intellectuelle pour les usages commerciaux et professionnels ». Sauf que les ayants droit, qui ont le monopole d'exploitation de leurs oeuvres, ont toujours refusé d'entrouvrir un tant soit peu ce sujet.
Il n’empêche, le rapport de la mission Acte 2 dresse les avantages « indéniables » d’une telle solution. Cela favoriserait tout d’abord « l’accès de tous à l’ensemble des contenus culturels disponibles sur Internet ». Une telle légalisation « résoudrait ensuite la question épineuse de la lutte contre le piratage, et permettrait de concentrer la répression exclusivement sur les sites qui exploitent la contrefaçon à des fins lucratives ». Pierre Lescure reconnaît également que « la réponse graduée, qui peut être contournée par tout internaute doté d’un minimum de compétences informatiques, serait démantelée, et le budget correspondant pourrait être réorienté en faveur de la lutte contre les véritables contrefacteurs et du soutien à la création ». On appréciera ici que l’ancien PDG de Canal + préconise quelques pages plus loin de conserver ledit dispositif de riposte graduée tout en reconnaissant les failles de ce dernier...
La légalisation chute au saut d’obstacles
Même si la mise en place de ce droit aurait pu donner lieu à l’émergence d’un nouveau financement (de type rémunération compensatoire ou contribution créative), la mission Acte 2 retient cependant que « la légalisation des échanges non marchands se heurte aujourd’hui à trop d’obstacles juridiques, économiques et pratiques pour pouvoir constituer, à court terme, une réponse crédible à la problématique du piratage ». Sur le plan du droit, Pierre Lescure explique en effet que le partage entre internautes d’œuvres protégées sans l’autorisation de leurs ayants droit, et ce exclusivement dans un cadre non marchand ou sans but lucratif, ne peut être envisagé « qu’à l’échelle européenne, dans le cadre d’une révision de la directive 2001/29/CE ». Autrement dit, impossible aux yeux de la mission Acte 2 de mettre en place un tel système en France du fait des règles actuellement en vigueur au niveau européen, que ce soit en se basant sur la théorie dite de l’épuisement des droits ou sur l’instauration d’une nouvelle exception aux droits exclusifs.
Pierre Lescure, en décembre 2012.
Tout en affirmant qu’il est pour l’heure impossible de légaliser les échanges non-marchands, la mission Lescure abonde d’arguments en faveur d'une mise à l’écart de cette option. D’un point de vue économique, elle fait par exemple valoir que « la coexistence d’échanges non marchands légalisés et d’une offre commerciale ne bénéficiant pas de cette exception au droit d’auteur paraît difficilement envisageable ».
De plus, le montant de la « contribution créative » payée par les abonnés en échange de ce nouveau droit s’avérerait très importante, au point de « représenter un coût peu acceptable » pour ces derniers. Des montants de 20 à 40 euros par mois sont ainsi mis en avant, lesquels permettraient d’irriguer les secteurs de la musique, de la vidéo, du livre, du jeu vidéo, de la presse et de la photographie. Sur un plan pratique, la mission Lescure affirme d’autre part que « la répartition du produit de la contribution des internautes, fondée sur la mesure des échanges non marchands, impliquerait une observation du trafic plus systématique et plus intrusive que celle mise en œuvre dans le cadre du dispositif de réponse graduée. Elle risque donc de se traduire par des atteintes aux libertés individuelles et à la vie privée plus graves que celles auxquelles elle prétend mettre fin ».
Mais en dépit de tous ces obstacles, la mission Acte 2 se garde bien de fermer complètement la porte. « Compte-tenu de l’incertitude sur les évolutions économiques à venir, illustrées par les initiatives récentes de certains acteurs de l’Internet qui fragilisent les services gratuits financés par la publicité, aucun modèle ne doit être a priori écarté ». La mission recommande donc d’approfondir la réflexion sur la légalisation des échanges non-marchands, « tant au plan national qu’à l’échelle communautaire ». Plusieurs pistes de réflexion sont d’ailleurs tracées : « préciser la notion de partage non marchand dans l’univers numérique et en définir les contours, afin de distinguer, dans l’ensemble des échanges en ligne, ceux qui correspondent réellement à une logique de partage entre individus et non à une simple logique de consommation » ; s’intéresser à « la redéfinition (...) du "cadre privé" et du "cercle de famille" », etc.
LQDN regrette les arguments mis en avant par la mission Lescure
De son côté, La Quadrature du Net estime que malgré une introduction de cette problématique « intéressante » au sein du rapport Lescure, « les arguments avancés pour la rejeter retombent dans les pires effets rhétoriques ». L’association de défense des libertés numérique considère effectivement que « contrairement à ce qui est affirmé, la mise en place de financements mutualisés n'implique nullement une surveillance des échanges, intrusive pour les individus, alors que c'est ce qui va perdurer avec le système d'amendes recommandées ».
Une légalisation de fait des échanges non-marchands ?
On notera enfin que certains ont pu voir entre les lignes de l’ensemble des propositions de la mission Lescure une légalisation de fait (et non pas de droit) des échanges non-marchands. C’est notamment le cas du député (PS) Christian Paul, ardant opposant aux projets de loi Hadopi, qui nous expliquait ce matin comment les propositions de Pierre Lescure, en ciblant tout particulièrement les cas de contrefaçon commerciale et les échanges effectués à des fins lucratives, pourraient conduire à une légalisation des échanges non-marchands dans la pratique. L’élu perçoit en effet une « logique de légalisation de fait des pratiques de partage non commerciales », laquelle s’imposerait désormais peu à peu.
Pierre Lescure peu inspiré par la légalisation des échanges non-marchands
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La légalisation chute au saut d’obstacles
Commentaires (33)
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Abonnez-vousLe 14/05/2013 à 15h39
La légalisation de l’échange non-marchand est une simple extension de l’application de la copie privé à un cercle plus large, que le cercle familial, déjà définit par la loi.
D’ailleurs, une compensation existe déjà !
Le 14/05/2013 à 15h42
Ces propositions ont été sponsorisées par “cul entre deux chaises magasine”, le magasine mi figue mi raisin ! " />
Le 14/05/2013 à 15h43
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Il n’a de réponse à tout, mais on peut retenir qu’il a écouté et qu’il en parle.
Le 14/05/2013 à 16h00
aucun souci pour les futurs échanges non marchands des articles premium de pci hein, si ça va dans cette direction, on est bien d’accord ? :p
suis plutot d’accord sinon, comme beaucoup de choses, ça semble joli sur le papier, mais ça se prend des murs de brique dès que ça se retrouve confonté à la réalité … (et l’analyse comme quoi ça impliquerait hadopi+++, j’applaudis tellement c’est vrai)
Le 14/05/2013 à 16h00
Les échanges non marchands c’est pas le partage de fichiers comme le P2P?
Si c’est ça je vois pas trop ce qui pourrait inciter les ayants droits à l’accepter??? " />
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Le 14/05/2013 à 16h11
Le 14/05/2013 à 16h17
On ne m’enlèvera pas de la tête qu’au départ c’est la loi sur la propriété intellectuelle et les droits d’auteurs qui gènère ce bordel
et tant qu’on considèrera que ces loix sont sacro-saintes on continuera à foutre des rustines qui ne satisferont personne sauf ce que la loi considère comme des ayants droits ( les majors ou les descendants d’artistes morts depuis 20 ans)
edit: ortho
Le 14/05/2013 à 16h28
Le 14/05/2013 à 16h30
Le 14/05/2013 à 16h33
Le 14/05/2013 à 16h36
Le 14/05/2013 à 16h40
oui à rien… non à tout… " />
Le 14/05/2013 à 16h50
désinformation en direct sur Europe1 en ce moment
Le 14/05/2013 à 16h57
Un peu tard pour éditer " />, donc je précise par rapport à mon post précédent que je parle bien de fichiers sous copyright, pas d’interdire le moyen qu’est le P2P (qui n’est qu’un moyen dans l’histoire).
Il ne faut pas d’extrême dans un sens comme dans l’autre comme on a pu le voir avec Hadopi.
Le 14/05/2013 à 17h00
Je m’aperçois au fil des news et au fil des commentaires desdites news que toutes les propositions que je croyais bonnes sont en fait bonnes à jeter.
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Le 14/05/2013 à 17h07
erreur
Le 14/05/2013 à 18h52
Deja, dans son intervew, je trouvais qu’il etait un peu hypocrite (par exemple “absolument aucune nouvelle taxe” suivi de “ah oui, il y a bien une nouvelle taxe, c’est une exception”), mais plus on y reflechit, plus ses propositions paraissent minables et sans ampleur.
J’imagine l’ambiance apres les “meetings”…
“Alors voyons la liste point par point…
Ca, ca passe, ca ne change rien.
Ca non, c’est trop revolutionnaire.
Ca, c’est limite ok, mais plus tard: faudrait pas bousculer nos sponsors artistes.
Ca, ok, les sponsors artistes l’ont reclame.
Ca, ok aussi, le CSA le demande depuis longtemps.
Ca, on etait cense y reflechir: on va suggerer une mission pour faire des propositions sur le sujet. Celui qui a dit: “c’est nous la mission en question” est prier de s’avancer pour que je lui mette une gifle.”
Le 14/05/2013 à 20h51
Notre monde est atteint de la maladie comptable.
La seule chose qui ait de l’importance dans ce monde capitaliste, c’est ce qui génère des profits comptables, même si c’est au détriment de l’intérêt de millions de gens malheureux.
Mais ce qui produit du bonheur humain n’est pas compté et donc sors complètement des enjeux de sociétés.
Le 14/05/2013 à 21h36
beaucoup de bonnes intentions, mais au final le rapport Lescure ne fait que changer le flacon pour ne surtout rien changer a l ivresse des ayant droit. hadopi deguisée en CSA, qui permet au CSA de mettre un pied sur le net, conservation des taxes déjà présentes et création de deux nouvelles sans changement contraignant pour les industriels de la “culture”.
on peut comme ici tenter de formuler des propositions concrètes et lucides, mais en face il y a mur, certes proche de l état de ruines, mais qui par définition ne se remettra jamais en cause.
Le 14/05/2013 à 22h08
Le 14/05/2013 à 22h10
nan c tellement plus simple d’assimiler/comparer deux correspondants du bout du monde via internet* à des mafieux qui fabriquent des contrefacons pour les vendre par containers entiers niveau peine et crime moral
c’est tellement plus simple de dire: “envoyer un mp3 par mail à un correspondant c’est pire que violer une petite fille ou braquer un fourgon blindé, et en plus ca tue les bébés chats et ca pollue la planete”
avec des raisonnements comme ca on ira loin
(j’parle pas d’un follower tweeter ou d’un membre d’un site payant, juste d’une personne avec qui vous entretenez une relation suivie, souvent aussi dense qu’avec un pote irl, sauf que physiquement vous avez peu de chance de vous croiser en vrai)
Le 14/05/2013 à 22h44
Le 14/05/2013 à 23h37
Le 15/05/2013 à 00h34
Le 15/05/2013 à 00h53
Le 15/05/2013 à 01h30
Oh, je n’ai absolument pas la prétention d’avoir la science infuse, et encore moins de proposer une quelconque analyse pertinente. C’est juste un constat
Maintenant, je ne suis pas contre le service public, bien au contraire. Je trouve juste qu’il est inutile d’avoir autant de chaînes, et qu’il aurait mieux valu en avoir une seule totalement libre avec un budget beaucoup plus conséquent.
Prends les grands compositeurs. Morts depuis des siècles, leurs partitions sont dans le domaine public, mais toutes les interprétations qui en ont été faites sont protégées. Prends les grandes pièces de théâtre. Il n’existe aucune captation sous licence libre. Prends les grands classiques de la littérature étrangère passée dans le domaine public. Aucune traduction sous licence libre.
Au final, si je suis un enfant, un étudiant fauché ou, plus simplement, l’un des huit millions de français (13,4 % de la population, en 2007) vivant sous le seuil de pauvreté et que j’aimerai accéder à un peu de culture, ben je l’ai dans l’os. Le service public ne produit que du proprio (encore une fois, c’est bon de le rappeler, pourtant payé avec nos impôts).
Alors oui, il y a bien des médiathèques, mais uniquement dans les grandes villes, sans forcément un choix conséquent, sans la facilité d’accès que procure Internet, et sans permettre tout ce qu’autorise le libre en terme de réutilisation, adaptation…
Ah oui, puis je n’ai jamais parlé de licencier des milliers d’employés de France Télévisions. Supprimer une chaîne, c’est aussi pouvoir réaffecter ses effectifs, ou supprimer d’un côté, tout en embauchant de l’autre. Pour créer une chaîne totalement libre, et sachant qu’à l’heure actuelle, hormis 2-3 courts métrages et les très vieux films du domaine public, c’est le néant absolu question programmes audiovisuels sous licence libre, il aurait fallu beaucoup plus de monde pour pouvoir produire à 100% en interne.
Le 15/05/2013 à 06h58
Le 15/05/2013 à 16h09
Le 15/05/2013 à 16h17
Le 15/05/2013 à 21h27
Le 15/05/2013 à 21h35
Le 16/05/2013 à 00h02
Le 16/05/2013 à 07h07